mardi 27 avril 2010

Twikio et Twitter: la fin du ranking à la Google ?


Invité par l'ami Pierre Chappaz, j'ai assisté hier soir à la présentation de Twikio, la dernière innovation des labs de Wikio.
Twikio, qui signifie Twitter+Wikio, est un nouvel algorithme qui permettra au célèbre agrégateur de médias de classer les contenus des blogs non plus seulement en fonction des backlinks (c'est à dire les liens pointant vers le contenus) mais aussi en fonction des citations sur Twitter.

Le passage du système des backlinks à celui de Twitter n'est pas anodin. L'exploitation des liens pour calculer la pertinence des contenus est la base du système du PageRank de Google.
Développé en 1998 par Larry Page et Sergei Brin (à l'époque beaucoup moins célèbres et riches qu'aujourd'hui...), le PageRank a marqué le début d'une nouvelle ère. Celle du "web 1", si vous voulez, qui permettait aux utilisateurs de trouver des informations pertinentes non plus en fonction de la hiérarchisation des annuaires ou des journalistes, mais du nombre de reprises par les sites Internet ou les blogueurs. C'est à dire en fonction du nombre de liens hypertextes (backlinks) pointant vers tel ou tel contenu.
Si les gens en parlent, c'est que ça doit être intéressant... Une vraie révolution à l'époque, qui a entrainé la fameuse fragmentation de l'information. A l'origine de la chute d'un certain modèle de presse.

Jean Véronis, le responsable de Wikio Labs, est à l'origine du fameux classement Wikio des blogs. Le chercheur, basé à Aix-en-Provence, a passé ces dernières années à analyser les liens hypertextes des blogs pour en tirer des tendances et des "buzz".

Son constat aujourd'hui est qu'il y a de moins en moins de liens.

Mais surtout que ce système de "ranking" basé sur les liens est de moins en moins efficace pour évaluer la pertinence des contenus. Pourquoi ? Parce que nous sommes passés d'un web sédimenté à un web en temps réel.

En 10 ans, on est passé de la recommandation des moteurs de recherche (le PageRank de Google) à celle des médias sociaux comme Twitter et Facebook.

Certes, après un bref passage dans la "bulle" du Web 2.0, où l'on a pensé ce serait le vote des utilisateurs (le système Digg) qui permettrait de hiérarchiser les contenus.

Avec Twitter et Facebook, nous sommes véritablement entrés dans une nouvelle ère: celle de l'Internet des réseaux. Ce fameux web+mobile en temps réel que Google a tant de mal à prendre en compte.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le géant américain multiplierait les contacts techniques avec Twitter, explique Jean Véronis. Pas seulement pour afficher de vagues tweets dans les moteurs de recherche, ce qui n'a que peu d'intérêt, mais pour prendre en compte la recommandation des contenus en temps réel dans leur pagerank.
Pas simple.
Une vraie révolution, que l'on mesure mal. Sans doute "la plus importante depuis l'apparition du web", ose le patron de Wikio Labs.
Un changement de paradigme qui fait dire aux observateurs que Facebook est en train de devenir le nouveau Google. Que, désormais, nous aurons autant besoin de SMO (Social Media Optimization) que de SEO (Search Engine Optimization) pour donner du poids à nos contenus. Notamment depuis que Facebook est passé devant Google News pour l'apport de trafic dans les sites d'infos.

Nous sommes en train de passer du référencement par sédimentation à la recommandation en temps réel.

Essentiel pour les sites d'info.

La fin du lien hyper-texte ? Peut-être pas encore. Mais l'architecture dans laquelle il s'inscrit, et qu'il a lui même contribué à créer, est complètement bouleversée. Jean Véronis se souvient du vertige qui l'avait saisi lorsque, à la fin des années 80, il avait cliqué sur son premier lien hypertexte. Imaginant encore mal la révolution que cette "simple" fonctionnalité allait entraîner. On entrait alors dans la troisième dimension de l'information. Les médias sociaux en ouvrent une nouvelle, tout aussi imprévisible.
Le lancement d'OpenGraph par Facebook la semaine dernière en est l'exemple le plus fascinant. Et effrayant...

Twikio s'appuie sur cette tendance pour proposer les contenus qui buzzent en temps réel, en combinant l'ancien système de réputation à la recommandation sur Twitter, matérialisée par le nombre de "re-tweets".  C'est à dire le nombre de fois où un contenu a été repris sur Twitter. Le résultat est ensuite comparé aux nombre de liens pointant vers ce contenu sur les blogs pour créer un nouveau ranking mixte.



Le service est encore en béta privée, il ne sera en ligne qu'en juin prochain mais j'ai pu jeter un coup d'oeil aux résultats. Ils sont assez surprenants. Twikio permet de détecter automatiquement les buzz en temps réel, grâce à une analyse poussée de Twitter. En gros, plus un lien vers un article est "re-twitté", plus il fait monter le score. Le poids de chaque membre de Twitter est pondéré en fonction de la communauté à laquelle il appartient (certaines communautés, comme les professionnels du référencement ou les blogueurs high-tech, ont tendance à re-tweeter plus facilement que d'autres, ce qui brouille le baromètre).
Demain, Twikio devrait également prendre compte le nombre de followers de chaque émetteur (c'est à dire le nombre de personnes abonnées à son fil Twitter).

Et Facebook ? C'est à l'étude. "Mais pour l'instant, les informations sont encore trop verrouillées", constate Jean Véronis. Avec OpenGraph la donne pourrait peut-être changer..

mercredi 7 avril 2010

IPad: premières impressions d'un "early adopter"


Comme certains d'entre vous ont pu le voir sur Twitter, ou sur certaines chaînes de TV (je n'ai pas trouvé les liens vers BFM-TV, si vous avez..., merci RichardTrois pour le lien) et de radio, j'ai eu la chance de pouvoir me rendre à New York le jour du lancement du iPad, avec l'ami Geoffrey La Rocca de RMC.

Je ne vais pas m'étendre sur le déroulé des événements. De nombreux compte-rendus ont déjà été faits. Je retiens simplement l'étonnante capacité qu'ont les Américains de faire du lancement d'un produit un moment de fête.  Mais surtout le professionnalisme d'Apple. Il y avait certes moins de monde que prévu, mais l'excellente organisation a permis d'éviter les bousculades et l'attente (moins de 20mn pour être servi après l'ouverture des portes). On aime ou on n'aime pas, mais j'ai pris une belle leçon de marketing.





1) Sauveur de la presse écrite ?

Premier constat, après de nombreuses heures de prise en main: l'iPad ne va pas sauver la presse écrite.


L'idée que la sortie d'un e-book allait brutalement changer les usages, c'est à dire faire oublier aux lecteurs quinze ans de navigation libre sur le web pour revenir au format traditionnel du magazine dans le même environnement fermé que jadis, était évidemment naïve.

Elle parait encore plus saugrenue une fois que l'on a eu la tablette en main.

Certes, les premières applications presse que j'ai pu tester pourraient être améliorées.
Je passe rapidement sur celle du Monde, simple Pdf porté sur e-paper, ridicule et inutile. Celle de Paris Match est dans le même esprit: on reproduit le magazine, à l'identique, sur iPad. Time Magazine fait pire: chaque e-magazine est venu plus de 4$!

La plus réussie jusqu'ici, est l'application du Wall Street Journal. Les éditions du jour sont payantes, mais on peut consulter gratuitement une édition "live". L'expérience est plutôt agréable. L'appli reprend l'architecture d'un journal traditionnel, ce qui se marie plutôt bien avec le format de la tablette, et remplace généreusement les photos par des vidéos. Ce qui donne la drôle d'impression de se retrouver devant le Daily Prophet, le fameux journal papier de Harry Potter, dont les photos sont animées.

Seul hic: la navigation web avec Safari est très agréable et n'a rien à voir avec celle sur iPhone. Ce qui réduit l'intérêt de l'application. Pour l'instant, il est presque plus intéressant d'aller sur le site du NY Times...



...que sur son application iPad.



Pour nous ramener vers leurs applications, les médias devront donc sérieusement travailler leurs interfaces, afin d'offrir une expérience utilisateur vraiment compétitive.
Sans doute devront-ils envisager les applications comme des hors-séries, des packaging "jetables", plutôt que comme des médias tout en un. Et faire appel à des game designer (les professionnels du jeu vidéo).

A ce titre, l'application d'AP, présentée comme un album photo/vidéo, est déjà beaucoup plus ambitieuse (même si je la trouve est assez ratée, par ailleurs).



2) L'avenir des appli média est là:


Parmi la première livraison, les applications média les plus intéressantes étaient les agrégateurs.


- Newsrack, par exemple, se branche sur votre compte Google Reader pour télécharger tous vos flux RSS. L'interface, sans être révolutionnaire, est claire et agréable, avec des outils de partage et la possibilité de "sortir" pour aller sur Internet.



Je peux y lire mes blogs favoris, mais aussi les sections du NY Times et du Monde qui m'intéressent.
C'est devenu la première application que j'ouvre sur mon iPad.


- StumbleUpon: il s'agit de l'application du service du même nom, que vous connaissez peut-être déjà sur Internet. Ce méta-média s'appuie sur ce que partagent les utilisateurs pour proposer une sélection de news, de photos, de vidéos et de billets de blogs.



- Early Edition: présente vos flux RSS sous la forme d'un journal dont on tourne les pages.



On le voit bien, si l'ergonomie de l'écran nous ramène au format magazine, cela ne veut pas dire que les médias papier sont avantagés. Rien n'empêche de présenter une sélection de contenus venus de plusieurs médias en ligne et de les présenter dans une interface ergonomique à la manière d'un journal ou d'un livre.

L'iPad est finalement plus une nouvelle façon d'aborder les contenus qu'un e-book au sens où on le comprenait jusqu'ici.


3) Mais à quoi va servir l'iPad ?

L'expérience utilisateur de l'iPad est vraiment incroyable. Les actions sur l'écran tactile sont fluides, agréables, l'expérience est à la fois sensuelle et intellectuelle.
Alors, oui, on peut le voir comme un objet hybride, difficile à situer entre notre smartphone et notre ordinateur portable. On peut le voir comme une gadget de trop.
Mais on peut aussi le voir comme une nouvelle façon d'aborder l'ordinateur, les médias, et le réseau.
Comme l'explique très bien Steven Levy dans Wired, cela fait des années que les interfaces des ordinateurs n'ont pas évolué. Alors que le web a bouleversé nos usages, nous avons conservé notre vieille façon d'utiliser un ordinateur: un clavier, un écran, des logiciels, des fichiers, des prises de connection (USB, Hdmi...), des lecteurs de BlueRay, de DVD venus remplacer le lecteur de disquette...

L'iPad ne va sans doute pas assez loin, on peut penser que la vision de Google du cloud computing (logiciels directement en ligne) et du réseau devrait ringardiser l'écosystème des applications installées sur la tablette. Nous verrons. Mais l'outil nomade tactile révolutionne déjà l'antique ordinateur. C'est une première étape. Et c'est la principale innovation de l'iPad: Plus qu'un e-book ou un mini-lecteur de médias, la tablette d'Apple est un "ordinateur" nouvelle génération.



Très léger, nomade (10 heures d'autonomie!), proposant une qualité d'image fantastique, l'iPad me permet certes de télécharger et de consommer des médias (livres, films, photos, jeux...) mais surtout de produire et de partager. Je peux écrire des textes, travailler sur des tableurs ou des présentations, retoucher mes photos, faire ou d'écouter de la musique, dessiner, prendre des notes, partager mes fichiers, régler mes achats...

A ce titre, le clavier tactile est une merveille d'ergonomie. Zéro défaut!
Personnellement, je laisse désormais mon Macbook Pro chez moi et ne me déplace qu'avec mon iPad.


4) Un outil incomplet

Dans cette optique, d'ailleurs, l'iPad est loin d'être parfait. Et même assez frustrant.

- L'écran: Il est agréable, certes, mais il se comporte assez mal au soleil. Trop de reflets. Lire un livre en pleine lumière est assez fatiguant. Même dans l'obscurité, l'écran rétro-éclairé abime les yeux, contrairement au Kindle.

- La portabilité des applications iPhone: Elle est présentée comme un atout. En fait, vous vous rendre vite compte qu'elle ne présente pas beaucoup d'intérêt. Le clavier devient ridiculement petit, et la résolution est médiocre.

- Pas de multi-taches: Devoir jongler entre les appli est vite frustrant. C'est un vrai handicap.

- Pas de connection usb: Une lacune qui limite l'utilisation de l'objet comme un nouvel ordinateur portable (même si on peut le connecter à un ordinateur). Partager ses fichiers est possible (une fonction d'iTunes vous permet d'importer vos documents Word ou Excel par exemple), mais il est très compliqué de les faire naviguer entre les différentes appli. Encore un handicap qui milite pour le Cloud Computing.

- Le prix des applications : On tourne en moyenne autour de 9$ l'appli. Deux à trois fois plus cher que sur iPhone. Les livres sont assez cher aussi: premier prix à 9,9$. On trouve parfois la version papier pour moins cher!

- L'absence de webcam. Frustrant, à l'heure de Chatroulette!

- L'absence de flash: La lecture des sites Internet est sérieusement limitée. Même si de plus en plus de médias abandonnent la technologie flash pour pouvoir être lus sur iPhone et iPad.
Plus généralement, il y a encore des progrès à faire avec le navigation web. Je n'ai pas pu rédiger mon billet depuis l'iPad par exemple. L'interface de Blogger présente de vrais problèmes de compatibilité.

D'ailleurs, l'ergonomie particulière de l'iPad (tout sur un écran, absence de scrolling vertical, pas de flash, la dimension tactile) va certainement bouleverser la façon dont nous concevrons, demain, nos sites web.

D'ici là, j'attends les prochaines versions. Et les tablettes des concurrents. On verra alors si les 300.000 ventes du week-end se transformeront en ras-de-marée. Et si l'iPad est bien la première étape d'une révolution des usages.

- Pour aller plus loin: Je vous conseille la sélection de liens d'AFP Médiawatch.
- Les photos et les captures d'écran sont de moi.