dimanche 4 mai 2008

Comment les blogueurs ont révolutionné le journalisme

On a beaucoup écrit sur l'affrontement blogueurs/ Journalistes, et sur la question de savoir si un blogueur pouvait être considéré ou non comme un journaliste.
Au delà de ce débat (qui n'en est plus vraiment un) on s'est rarement interrogé (en tout cas du côté des journalistes) sur ce que les blogueurs avaient apporté à la profession.

Pourtant, lorsque l'on observe les pratiques éditoriales qui se développent aujourd'hui sur le web (et même ponctuellement sur les supports traditionnels), il est difficile de nier. Les pionniers du blog, ces "non journalistes" ont révolutionné notre approche de l'info.

La nature a horreur du vide. Tandis que, pendant des années, les journalistes ont tourné le dos au web, les blogueurs ont investi ce nouvel espace d'informations. Ils en ont intégré parfaitement les règles et les pièges. Ils sont d'ailleurs à l'origine d'un certain nombre d'entre-eux.

J'ai retenu 10 apports majeurs (à vous de compléter... ou contester):

1- La conversation: c'était (et c'est toujours) la baseline du blog de Loïc Le Meur, l'un des premiers gros blogueurs français: "Les médias traditionnels envoient des messages, les blogs démarrent des conversations". Aujourd'hui, très peu de médias traditionnels envisagent sérieusement de ne pas ouvrir leurs articles aux commentaires. Cette généralisation a profondément modifié la façon dont les journalistes -mais surtout les lecteurs- abordent l'information. Un article, aujourd'hui, ce n'est plus seulement le billet du journaliste, mais le billet+les réactions des lecteurs. Ces derniers y apportent leur éclairage, leurs corrections, leur témoignage ou leur analyse. Ce bouleversement touche également l'écriture. On n'écrit pas de la même manière un article qui ouvre une conversation, qu'un article traditionnel.

2- L'info perfectible, ou l'info "work in progress": c'est la conséquence du premier. Un article qui ouvre une conversation n'a pas besoin d'être bouclé, les fondamentaux qualitatifs ne sont plus les mêmes. Il peut s'enrichir avec le temps, et les apports de la communauté. Il y a du positif et du négatif dans cette évolution. Négatif: on peut être tenté de lancer n'importe quel sujet avant de l'avoir verrouillé. Positif : l'info se fait moins démonstrative (les témoignages recueillis par le journaliste pour illustrer et justifier son propos) et s'ouvre sur la surprise.

3- Le buzz: il est quasiment né avec le blog. Il venait casser la hiérarchie des médias traditionnels. Après le scoop, le buzz: une sorte de bouche à oreille sur le Net qui transforme une "petite info", peu ou non relayée par les médias, en sujet dont tout le monde parle. Du coup, un journaliste sur le web pense désormais "buzz".

4- L'info antéchronologique et pas hiérarchisée: regardez la plupart des nouvelles formules de sites (20minutes, Le Figaro). Toutes commencent à intégrer ce qu'on appelle le "fleuve". Un "flow" de news, qui s'inspire du fil antechronologique des blogs (l'info en Une est la dernière info publiée). Aujourd'hui, cependant (à part Le Post.fr), tous hiérarchisent leur fil d'infos.

5- Le référencement: l'info est donc déhiérarchisée sur les blogs: on lit la dernière news publiée ou on fait une recherche sémantique. Par contre, l'info blog s'inscrit complètement dans la dynamique des moteurs de recherche. Un bon blogueur sait travailler ses titres, ses entames de texte, ses liens et ses tags de façon à être bien référencé. Ce qui ne veut pas dire que tout journaliste doit écrire uniquement pour être référencé. Mais intégrer ce nouveau compromis référencement/ précision de l'information dans sa logique d'accroche.

6- L'info tremplin: l'info se construit différement. Antéchronologique, elle peut être plus courte et feuilletonnée. On peut passer d'un post long et construit à un post simple qui montre juste du doigt: regardez cettte vidéo, allez lire ceci ou cela... Car l'info blog sert aussi de plateforme vers d'autres news vues ailleurs, grâce aux liens hypertexte: c'est la particularité du web.

On a ainsi vu se développer de nouveaux formats:

7 - L'agrégation, la veille d'infos: avec la révolution des liens hypertexte, les blogueurs ont réinventé un vieux format éditorial: la revue de presse. Dans leur grande majorité, les blogs n'apportent pas de nouvelle information, mais effectuent une veille de l'info (leurs sources sont généralement plus larges et moins rigoureuses que les médias traditionnels).
C'est une revue de presse, souvent pertinente, où le blogueur dépasse le copier-coller pour ouvrir une conversation ou pointer du doigt un détail important. Le Huffington Post, média pure-web américain, a fondé sa stratégie éditoriale (et son immense succès) sur la syndication de contenus, à la manière des blogueurs.

8- La liste : c'est un des formats éditoriaux les plus efficaces inventés par la blogosphère. Un article peut être composé d'une seule liste ("les 10 plus...", "10 idées pour", ...). Chaque entrée renvoie généralement vers un lien, mais on peut aussi avoir des listes d'images ou de vidéos. C'est un moyen de synthétiser l'info très efficace.

9- L'écriture à tiroirs: elle joue sur les liens qui permettent d'écrire plus court (on clique pour en savoir plus), mais aussi sur l'iconographie ou les vidéos qui viennent s'intégrer dans l'écriture même de l'article, pas seulement en illustration. Les blogueurs ont également intégré un certain nombre de jeux typographiques dans l'écriture: utilisation du gras, mais aussi du mot barré (qui indique qu'une correction a été faite après mise-à-jour).

10- Un ton nouveau: il est celui de la conversation. Plus libre, souvent plus proche du langage parlé, il intègre également cette écriture à tiroirs et la dimension interactive du web.


J'en ai évidemment oublié. D'autres exemples?

(Illustration : newyorkpersonalinjuryattorneyblog.com)

20 commentaires:

Danielle a dit…

J'ai toujours été dérangée par l'opposition faite entre les journalistes (dont je suis) et les blogueurs. Votre billet va tout à fait dans le sens de ce que je pense. Je fais de l'info microlocale au niveau d'une région, avec un journal "classique", ne paraissant qu'un mois sur deux faute de moyens supplémentaires; l'outil blog a permis de compléter ce média papier, mais en traitant l'actu de manière un peu différente, avec les particularités que vous décrivez ci-dessus.

Je suis persuadée que le journalisme s'est enrichi avec l'arrivée des blogs.

Anonyme a dit…

Rien n'empêche non plus d'être journaliste et d'écrire en tant que tel sur un blog.
Donc être blogueur ça n'est pas être journaliste mais l'un n'exclu pas l'autre.

Anonyme a dit…

Je complète votre remarque sur l'approche "rédaction web optimisée référencement" par le fait que les blogueurs se professionnalisent (enfin surtout à l'étranger) et tendent à devenir des "infopreneurs". Egalement, qu'un blogueur actif et 'qualitatif" possède des compétences en édition web : ergonomie, stratégie éditoriale, etc.

Anonyme a dit…

Benoît,

On peut également citer parmi les outils du blogueur, cette exploitation typographique du repentir qui consiste à biffer un mot ou un pan de texte.

Dans un premier temps, cela a été utilisé principalement pour signaler des modifications/corrections/actualisations apportées au texte.

Dans un second temps, c'est également devenu un signe de second degré.

Quoi que très utile, cet enrichissement typographique est assez peu utilisé par les [imaginez que le mot suivant soit barré] vieux [imaginez que le mot précédent ait été barré] médias traditionnels.

PS. Voilà un commentaire qui va être ruiné par le fait qu'il est impossible de barrer du texte dans le commentaire (snif)

Unknown a dit…

Hello Benoît,

Je rajouterai
- La portabilité et la démocratisation des outils de production. Plus besoin d'une machine à écrire de 15 kilos, d'une caméra betacam du même poids, d'un banc de montage ou d'un labo photo pour "publier de l'info". J'ai un sac, et avec le contenu de ce sac, je peux rendre public n'importe quoi depuis n'importe où dans le monde. A un prix de production drastiquement inférieur à celui que nécessitaient les outils sus-cités.

La corollaire pour le journaliste en tant qu'individu, c'est aussi la maîtrise de sa chaîne de production. Avec ça, il peut faire du copié/collé de dépêches, ou partir 6 mois enquêter sur la copulation des oursins en eau douce (ou celle des ministres en eaux troubles, au choix)

jb ingold a dit…

Il est curieux de voir l'opposition entre rue89 et mediapart métaphore du blog et du journal.
A noter que d'autres interfaces sont possibles http://veryelle.fr en est un exemple récent.

Anonyme a dit…

Bravo pour cet article très bien construit. Une seule réserve : le buzz n'existait-il pas avant les blogueurs ?

Aurélien Viers a dit…

Merci Benoît pour cette liste ! Sur certains salons on voit des badges "blogueurs" et des badges "presse", mais souvent la différence est mince...quand on publie des billets avec un angle précis, après avoir sélectionné et vérifié l'info, quelle différence avec le journaliste "tradi"? Ne faudrait-il pas revoir les conditions d'accès à la carte de presse?

Anonyme a dit…

J’en vois un autre qui est la “valeur internet”. Grâce à la “page rank” de la google tool barre, il est possible pour chaque page internet, pour chaque site et donc pour chaque blog et chaque article de chaque blog de connaitre sa “valeur internet” et donc sa valeur qualitative, ainsi que sa résonnance globale dans l’internet, sur une échelle objective, exponentielle, de 1 à 10.
Ainsi un bon blog d’un particulier anonyme peut avoir autant de valeur internet qu’un grand journal national, quelque part entre 4/10 et 8/10.
En surfant sur les blogs, instantanément, on peut savoir si on a affaire a du sérieux crédibilise par des milliers de liens qui y font référence, ou bien à du léger peu intéressant, peu lu, peu recommandé, peu référencé. Ainsi, amha, un blog écrit par une seule personne et qui est mesuré à 6/10 ou + est-il le travail de quelqu’un qui est (aussi mais également et surement beaucoup d’autres choses) un vrai journaliste.

On peut ne pas être d’accord, mais c’est un fait: par les temps qui courent, la résonance est plus importante que la raison. C’est certainement cette capacité de résonnance que n’importe qui peut acquérir sans être un journaliste raisonable, qui inquiète mais qui est la base de la liberté de l’information dont chacun est détenteur.

Anonyme a dit…

A part le dernier, le ton de la conversation, ce que vous dites est plus ce que le net en général a apporté aux journalistes, pas les blogueurs en eux-mêmes. Il n'y a sûrement pas de révolution blogs, mais plus multimédia en général, donc.
Et, en tant que journaliste, je dirais que la technique journalistique a beaucoup plus apporté aux blogueurs que le contraire. Je le remarque rien que par les titres (qui en appellent également au référencement, c'est sûr), les accroches, le buzz, qui n'a pas été inventé avec Internet. Votre article en lui-même, que vous le vouliez ou non, est très journalistique. Infos hiérarchisées, anglées, sources et même, chute en forme d'ouverture.

Anonyme a dit…

Je suis 1OO% d'accord, les formes de communication se sont enrichies et le blog joue un rôle nouveau surtout en matière de DIALOGUE. seulement, le blogueur va-t-il sur le terrain?

Anonyme a dit…

bonjour, article très intéressant commentaires idem.
Oui, j'avoue, je me sens journaliste en faisant mon blog. Le blog actuel est récent, car j'avais aussi besoin de technique, écrire ne me suffit pas, il faut que je puisse formater à mon gré la mise en page. Vous n'en parlez pas, et pourtant...
Donc j'en suis à ma 3è plate-forme.
La pagerank est effectivement intéressante, comparaison :
dans mes blogs précédents, peu lu comparativement à aujourd'hui j'étais 4, je le suis toujours pour un blog ouvert il y a un an, alors que le taux de lecture s'est multiplié par ? 10 ? 100 ?
Sur le contenu :
Durant la campagne électorale j'étais à l'affut de toutes infos qui fassent echo, je paraissais 1 voire 2 fois/jour
Actuellement j'ai totalement abandonné cette politique éditoriale pour parler de fond, ne plus courir les bruits, parler de ce que ma culture générale (je rougis) a accumulé au cours des ans
et là je prends bien plus mon pied, j'ai moins l'angoisse de pas être lu, je sais que je marche sur un plancher ferme qui aura un echo dans le temps (déjà vérifié d'ailleurs),et je parais 2 à 3 fois semaines max. merci de m'avoir lu

Juan a dit…

je crois, comme Danielle ci-dessus, à la convergence. Je vote pour les points 3, 7 et 9 ... à titre perso.

Anonyme a dit…

Bonjour Benoît

Même si je suis d'accord avec tous les points et trouve le papier très utile et bienvenu, je ne suis personnellement pas trop à l'aise avec l'idée de "révolution" et avec l'idée que cela impacte l'ensemble du journalisme.

Je dirais plutôt : "comment les blogueurs influencent une partie du journalisme", mais c'est moins choc ;-). Cette influence est en train de se généraliser, on est dans un process dynamique qui est en cours.

Sinon, j'ajouterais un point qui est celui de favoriser une information plus consumériste.

C'est le Monde qui livre il y a quelques mois une page entière sur l'iPhone et ses caractéristiques produit (une petite révolution en soi !), qui publie il y a une ou deux semaines un benchmark de la qualité des services des FAI, c'est Libé qui fait sa une sur GTA IV, etc. : les médias généralistes orientent de plus en plus leur contenu rédactionnel vers une information produit, un point de vue consumériste.

Et c'est tout à fait le genre de choses qu'on a commencé à voir sur des blogs (le blogueur qui teste un produit, parle de son expérience personnelle de consommateur, etc.)

Unknown a dit…

Bonjour Benoît,
J'ajouterais le recours à la première personne (en angle et pas en sujet) et l'intérêt pour les coulisses, les making-off...

Anonyme a dit…

Pour ma part je m'amuse de temps à autre à "faire le journaliste" en écrivant des dépêches AFP fictives. Vu les sujets traités (comme ici ou ), ça ne trompe personne, mais ça change un peu de ce qui se lit sur les sites agrégateurs d'infos (Google news et consorts).
Vain ? Oui.

Emilie a dit…

réponse pour Damien: La machine à écrire de 30 kilo me laisse perplexe... Vivrais-tu dans les années 80? Je veux essayer ta machine!!! (à remonter le temps pas le truc de 30 kilo);)

Emilie a dit…

Super papier. J'ajouterais que le blog et son corolaire les comm sont un outil de démocratisation de la rédaction de l'information. Ils permettent aux citoyens de se l'approprier et de devenir acteur du débat public. Et ça ca change tout le téléspectateur ou le lecteur est spectateur, l'internaute est acteur, c'est à mon sens un plein exercice de citoyenneté. Un peu plus démocratie et de liberté d'expression dans ce monde de communicant ça fait très bien plaisir ;)

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