lundi 8 février 2010

"Les effroyables imposteurs" sur Arte, Hadopi, Loppsi2: la revanche des anti-Internet



Dans la série "Internet est une poubelle qu'il faut contrôler", Arte diffuse ce mardi soir un nouveau documentaire consacré aux... dangers du web: "Les effroyables imposteurs". Coïncidence: cette diffusion intervient la veille le jour du débat sur la loi Loppsi2 qui vise à instaurer des nouvelles techniques de contrôle des contenus sur le Net (lire aussi ici).

A travers une compilation un peu fouillis sur les conspirationnistes de tous bords, l'auteur du documentaire nous ressert le discours du "Web-poubelle-de-l'info", peuplé de dangereux "non-professionnels" qui font circuler les pires rumeurs.

On connait la chanson. En ces temps de médiapocalypse, elle sonne comme la vaine tentative d'un système figé de sortir d'un lectorat/électorat qui lui échappe.

La rengaine ressurgit de temps à autre chez quelques représentants encore vaillants de cette vieille presse (pour preuve ce débat hallucinant de non-experts sur le web, chez Franz Olivier Giesbert), comme chez les politiques (voir la polémique, tout aussi hallucinante, autour de l'affaire Hortefeux).
Etrange miroir, d'un monde se contemple du haut de ses vieilles tours sans comprendre cette révolution qui a innondé ses terres.

Dans le docu d'Arte, le journaliste conclut son propos en s'attaquant évidemment au web participatif.
Pour appuyer sa thèse, il a déniché un article publié sur la page personnelle d'un internaute sur LePost.fr (dont je suis le co-fondateur) qui avait échappé à l'équipe de modération.
Je passe sur la méthode (le journaliste me contacte en me mentant sur l'objet de son reportage).
L'article détecté a naturellement été modéré à la suite de l'interview. Fin de l'histoire.

Comme de nombreux sites d'infos (Le Monde, Le Nouvel Obs, 20 Minutes etc), Le Post permet aux internautes de se créer un blog sur leur page personnelle. Et comme pour toute plateforme de blogs, le site ne censure pas a priori des contenus publiés sur ces pages personnelles.
Il ne le fait pas parce qu'il n'est pas éditeur de ces contenus amateurs, mais hébergeur. La modération se fait a posteriori, sur alerte des internautes ((Sur LePost.fr, comme sur LeMonde.fr, nous allons cependant plus loin: les contenus sont 24h/24 par une société de modération, qui supprime les posts contraires à leur charte).

C'est la loi. Qui défend par là même la liberté d'expression. Les blogueurs sont responsables de leurs contenus et peuvent être évidemment poursuivis si leurs propos sont diffamatoires ou portent atteinte à la vie privée. Mais la loi n'impose pas aux hébergeurs un contrôle a priori des contenus. Pourquoi ?

Parce que, premièrement, c'est techniquement impossible. La France compte plusieurs millions de blogs. Sans compter les twitter et Facebook dont le nombre de membres a explosé ces derniers mois.
Imposer un contrôle a priori reviendrait à obliger ces médias sociaux à mettre la clef sous la porte.

Deuxièmement, vouloir imposer un contrôle a priori sur tous les contenus diffusés sur la toile, c'est commencer à mettre un verrou sur l'expression citoyenne. Un verrou imposé par le seul hébergeur (sur ordre de qui?) sur ce fameux "contenu généré par l'utilisateur" qui fait si peur aux politiques et à un certain nombre de mes confrères.

En témoigne l'article surprenant de Xavier Ternisien, dans le Monde daté du dimanche 7 et lundi 8 février, à propos de ce documentaire. Pour ce journaliste, régulièrement attaqué par la blogosphère (ou par ses confrères du web), aucun article rédigé par un non-professionnel ne doit être mis en ligne "sans avoir été validé par un journaliste".

Les journalistes ne se trompent jamais, c'est bien connu.

De quoi ont-ils peur ?
D'une remise en question ?

Car de cette "poubelle" qu'est Internet, de cette poubelle que serait finalement la blogosphère (parce que c'est bien la blogosphère dans son ensemble qui est attaquée dans ce docu), émergent de vrais talents, des analystes pertinents, des militants féroces. On y trouve même des "amateurs" qui, parfois, enquêtent et dénoncent les erreurs des journalistes professionnels. Inconcevable!

De cette poubelle émergent des Maître Eloas... Quand cet avocat-blogueur, qui refuse d'être assimilé à un journaliste, commente, analyse l'actualité du droit, fait témoigner des professionnels de la justice, et sort de temps à autre des infos exclusives, il concurrence effectivement les journalistes dans leur coeur de métier.
Il est rigoureux, il vérifie ses informations. Il participe à l'effort d'information du citoyen.
L'information, ce maillon fragile entre le citoyen et la démocratie.

De cette poubelle émergent des opinions qui dérangent, des vidéos que l'on aurait préférées laisser sous le sceau du "off", des infos qui ne passent jamais au 20h, des remises en question des médias traditionnels qui, pendant longtemps, ont vécu dans le confort du surveillant jamais surveillé...

Evidemment, tous ces nouveaux contenus ne sont pas de qualité. Certains sont mêmes illégaux. Mais ils n'échappent pas ni à la loi, ni à la vigilance des communautés sur Internet, qui savent aussi s'organiser pour débusquer les fausses informations.

Surtout: toutes ces masses d'"effroyables" amateurs qui se passent des infos, les commentent, les éclairent, les détournent, échappent non seulement au filtre des médias et des politiques, mais ils remettent également en cause modèle économique. Crime ultime !

C'est le nerf de la guerre de la loi Hadopi, poussée par des lobbies du disque en mal d'esprit d'entreprise: on préfère aller contre les usages pour punir et contrôler. Aberration économique.

C'est l'argument massue de la prochaine loi Loppsi2: on exploite la peur du pédophile ou du nazi pour justifier un contrôle d'Internet.

Oui, il y a n'importe quoi sur le Net.
Oui, il y a de très belles choses aussi.
Oui, il y a des contenus et des auteurs devenus aujourd'hui indispensables.
Et cet indispensable n'aurait jamais émergé dans cet environnement contrôlé a priori par les médias traditionnels.

Les journalistes seraient plus inspirés de trouver leur place dans ce nouvel écosystème plutôt que de faire perdre l'argent à la télévision publique à tenter de démontrer avec des ficelles aussi grosses que des gazoducs que le web est dangereux.
Ils devraient la jouer "Journalistes+amateurs" plutôt que "journalistes contre amateurs".
Se battre contre l'effroyable amateur en brandissant le sceau divin de sa carte de presse, ce n'est pas à l'honneur d'une profession qui, au fil du temps, a toujours sur prouver qu'elle était capable de s'adapter au bouleversement permanent du monde et des usages.