samedi 29 mars 2008

La mort des journaux... et d'un certain journalisme?

A lire, si vous avez du temps ce week-end, ce (très) long article du New Yorker annonçant la mort des journaux papiers et de leurs modèles: économiques et éditoriaux.

La crise est d'abord financière : les revenus des grands journaux s'effondrent aux Etat-Unis. Les rédactions subissent les coupes dans leurs effectifs comme une peau de chagrin.
"Pas encore morts" (titre du Guardian à propos de la presse écrite), certes, mais pas loin, "les journaux ont perdu 42% de leur valeur en trois ans", constate Eric Alterman du New Yorker.

Moyenne d'âge (en hausse) du lectorat américain : 55 ans. Seuls 19% des 18-34 ans déclarent ouvrir un journal de temps en temps.

La crise est également morale :
Moins de 20% des Américains déclarent croire la plupart des infos que publient les médias. Ils étaient 27% cinq ans plus tôt.

Dans le même temps, le Huffington Post, un média "pure-web" lancé en 2005 par Arianna Huffington, truste les places d'honneur de la presse en ligne (il annonce 11 millions de visiteurs uniques par mois). Il dépasse même d'une courte tête le Los Angeles Times, mais avec 40 fois moins de journalistes...

Le principe du Huffington Post: syndication et conversation. Ouvert aux commentaires, le site agrège le meilleur de ce qui se dit dans les médias, et fait reposer sa force éditoriale sur le débat, grâce à une escouade de blogueurs politiques.

La suite?
“Si l'argent de la pub continue de migrer vers le Online (et il continuera), HuffPost proposera de plus en plus de reportages en ligne (...) Des reportages vigoureux qui inclueront du 'distributed journalism' (participatif)", prédit Arianna Huffington qui croit à une convergence des modèles papier et web.

Le New Yorker raconte comment Internet est en train de faire ressurgir un vieux combat qui, dans la première moitié du vingtième siècle, avait vu s'affronter deux concepts de l'information et de l'opinion publique:

Walter Lippman, grand journaliste, militait pour une sorte de "despotisme éclairé" du journalisme. Une élite révélant, à un lectorat considéré comme passif face à l'actualité (et donc facilement manipulable par le pouvoir), les coulisses et les mécanismes des événements.

En face, le philosophe John Dewey, s'il ne croyait pas non plus à la sagesse populaire innée, croyait aux vertus du débat et de la conversation.
"Alors que Lippman voyait l'opinion publique comme une somme d'opinions individuelles, un peu comme un sondage, Dewey l'abordait plutôt comme un focus group", ajoute le New Yorker.

Surtout, Dewey remettait en cause le savoir des élites, trop éloignées des préoccupations quotidiennes de ceux qui ne sont pas de leur caste.
"L'homme qui porte les chaussures sait mieux que quiconque là où elles lui font mal, même si l'expert en chaussure est sans doute le mieux placé pour savoir comment résoudre le problème."

70 ans plus tard, Internet a fait vaciller le journalisme du modèle Lippman (info descendante, expertise), modèle dominant jusqu'ici, vers une vision plus proche de celle de Dewey (conversation et partage d'expérience).

Et donc fait vaciller le modèle de la presse écrite.

Et ouvert un vrai débat:

50 journalistes + 1 communauté peuvent-ils remplacer 500 journalistes?

- Dessin: Arianna Huffington terrassant la presse écrite - source The New Yorker)
- Lire également, sur le même sujet, l'article d'AFP-Media Watch sur la "mullet strategy" du Huffington Post

(Merci à JF)

mardi 25 mars 2008

Média participatif: le modèle de "Now Public"


Si vous ne connaissez pas "Now Public", je vous conseille d'aller y jeter un oeil. Ce site d'infos canadien est sans doute le média participatif le plus abouti du moment.
Principal fait d'armes : des contributions de l'intérieur de l’aéroport londonien d’Heathrow, lors d’une alerte à la bombe durant l'été 2006.
Il est depuis régulièrement cité parmi les sites de référence par de grands médias comme le Times ou le Guardian...

Now Public ne diffuse que des news envoyées par les internautes, revendique plus de 120.000 cyber-reporters témoins aux quatre coins du pays, et dans le monde. Avec un taux de croissance affiché de 35% par mois, relevait Libération cet été.


- Une rédaction qui sélectionne les meilleurs contenus (et les passe en "top stories" à la Une). Cependant, leur rôle n'est pas clairement affiché.

- Mais cette sélection s'appuie essentiellement sur le pouvoir de la communauté. Les membres peuvent monter en grade et accéder à différents statuts qui leur permettent de modérer, émettre un doute sur la qualité d'une info ou encore mettre en avant les news des autres. A la fin de chaque post, les membres sont invités à "flaguer" l'info : bonne info, mérite plus de détails, à améliorer etc...



- Il y a ainsi deux "Une": les contenus "top stories" sélectionnés par la rédaction (appuyée par les choix des internautes), et les contenus "crowd powered" (managés par la communauté) remonté par les membres "plus" du site.



- Plusieurs moyens d'envoyer ses infos : on peut écrire un article, évidemment, mais aussi se contenter d'envoyer une photo avec son portable ou une vidéo ("1 photo vaut 1000 mots" peut-on lire sur la Une du site). Chaque format peut-être consulté séparément.

Bonne idée : un téléphone rouge qui permet de laisser son info oralement, "en direct", sur un répondeur.



- Autre forme de participation, la veille de l'info. "Highlight a story", permet, grâce à un plugin à télécharger, de remonter et partager sur le site n'importe quelle news vue sur le Net, en un seul clic...



- Enfin, une des dimensions les plus originales de ce site, le "crowdpower". Il s'agit d'une application du principe du crowdsourcing à la mécanique de l'info (le crowdsourcing permet à une communauté d'internautes de se partager le travail sur un même sujet, chacun s'occupe d'une partie ou y consacre un pourcentage de son temps). Ici, vous pouvez faire appel à la communauté pour obtenir plus d'infos sur un début d'info. De même, n'importe quel internaute peut proposer une photo ou une vidéo à votre news.
Et vous pouvez également piocher librement dans les photos et les vidéos mises à disposition par la communauté sur le site... et sur le web (FlickR, Youtube). Très malin!

samedi 22 mars 2008

Presse sur le web: pourquoi ça coince dans les vieux médias

J'ai animé un stage cette semaine auprès de confrères issus pour la plupart de rédactions papier ou télé (très motivés d'ailleurs). Et j'ai été ramené brusquement à de vieilles réalités.
Après 10 mois passés dans un "pure player", j'avais oublié combien nombres de rédactions sont encore paralysées par des blocages internes absurdes et se retrouvent comme impuissantes face aux opportunités du Net.

En sortant, je suis allé prendre un verre avec un autre confrère, d'une télé nationale cette fois, qui m'a dressé un tableau guère moins ubuesque de la situation sur son média.

Il y a plusieurs raisons à ces blocages (si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas à les mettre dans les commentaires):

- d'abord, une méconnaissance de l'Internet, assaisonnée de fantasmes (le net, dénoncé à tort comme la "poubelle de l'info", a mauvaise presse). L'affaire du sms et du Nouvel Obs n'a rien arrangé.

- de la peur chez les cadres (mais aussi des reporters). Celle de voir évoluer leur média vers des domaines de compétences qu'ils ne maîtrisent pas (et donc d'être mis de côté). Parallèlement, d'autres cadres et journalistes sont hyper-motivés, ont plein d'idées et ne demandent qu'à être formés pour évoluer : ces gens risquent de quitter ces rédactions.

- l'âge de certains cadres qui, passés 50-55 ans, freinent des quatre fers en espérant arriver à la retraite avant l'apocalypse...

- des patrons de médias qui, n'y connaissant rien, se retrouvent amputés de leur meilleure arme: l'intuition. Capables d'investir sans hésiter dans un support papier ou télé, mais désemparés à l'idée de sortir plus de 10.000 euros dans un projet Internet.

- des modèles économiques pas encore complètement calés. Il y a de l'argent, mais les tarifs pubs sont trop bas, et la pub n'est pas aussi efficace qu'on pourrait l'espérer.

- des baronnies internes impossibles à dévisser, des placardisés qu'on retrouve dans les services internet...

- des patrons de l'Internet souvent incompétents (ils ne le sont pas tous) , placés là pour d'autres raisons, qui échappent... à la raison.

- des questions de droits d'auteur en suspens (alors qu'on en parle depuis 10 ans, de nombreux journaux n'ont toujours pas réglé avec les syndicats ces accords qui permettraient aux journalistes d'écrire ou d'envoyer leurs photos sur le web).

- des discours globalisants et donc tétanisants : vous devez devenir "plurimédia".

- dans les régions, une prise en main désordonnée du Net par les services pub ou des DG, pressés de sauver leurs petites annonces et de faire du business sur le Net, mais à l'ancienne... en distribuant n'importe quel contenu pourvu qu'il soit thématique.

- une vision désastreuse (pour le média) du Net, qui ne serait "qu'un nouveau support de distribution de nos contenus" (d'où le terme : "plurimédia", et les blocages syndicaux qui suivent...), alors que l'on doit concevoir la création d'un projet Internet comme celle d'un nouveau média (même quand on envisage une mutualisation des moyens).

- et maintenant tout le monde s'affole sur le mobile, sans avoir réglé le reste...

Dans ce climat, les stratégies globales sont souvent bloquantes et ont peu de chances d'aboutir (si vous en connaissez, n'hésitez pas à m'envoyer vos témoignages).

Les petits projets sont souvent la meilleure solution, à condition, bien sûr, de ne pas les aborder comme des "petits" projets. C'est à dire : pas chers, pas emmerdants...
Le web2.0 a apporté beaucoup de choses, mais éditorialement, ça ne fonctionne pas tout seul. De même, les portails où l'on distribue des contenus et des services automatiques, correspondent à une vieille idée.

Il ne s'agit plus non plus d'enrichir le site internet institutionnel du média. Mais de toucher des lecteurs. D'avoir un projet. L'intégration dans l'univers du média, n'est qu'un détail technique. De toute façon, 40% des lecteurs de ces nouveaux contenus viendront par Google... Il faut cesser de penser en "site".

Lancer, ne serait-ce qu'un blog dans une rédaction, doit être considéré comme le lancement d'un nouveau média.
C'est comme si un journal lançait une petite radio ou une télé.
Il faut définir une cible, une thématique, une baseline, mettre en place des formats, un ton, un rythme, animer une communauté... (J'ai souvent entendu des projets se définir ainsi : "on va faire le blog de la rédaction"...)

Et si l'on souhaite intégrer ce projet dans une rédaction, il ne faut surtout pas l'envisager comme une activité annexe que l'on pourrait bricoler à deux ou trois dans une rédaction, en plus du travail habituel. Il est important de se demander : combien d'heures par jour doit-on y consacrer, de qui ai-je besoin ?

L'avantage d'un petit projet, considéré comme un nouveau média, est qu'il a plus de chances de ne pas cristaliser les conflits et contradictions internes, et qu'il a surtout plus de chances de réussir... et donc de servir d'exemple pour des projets plus lourds.

Une seule idée, une bonne petite idée, simple, dans un petit projet à une ou deux personnes, peut dépasser, en quelques jours, le trafic du site internet du média. Essayez pour voir...

dimanche 16 mars 2008

Pourquoi il faut croire au média participatif


Le lancement aujourd'hui de Médiapart.fr (le média participatif d'Edwy Plenel) relance à nouveau le débat sur le journalisme participatif, embarquant au passage un certain nombre de vieux fantasmes (pas toujours à tort, d'ailleurs).

Ici on prédit la fin du journalisme, là on s'étonne de la piètre qualité journalistique de la production des non-journalistes (mais est-ce le bon critère qualitatif? J'ai déjà expliqué dans un post pourquoi on prenait le problème du mauvais côté)

Je n'ai pas grand chose (de pertinent s'entend) à dire sur Mediapart.fr. Il faut laisser à ce nouveau-venu dans la galaxie des médias d'infos en ligne le temps d'éprouver son modèle de participation façon club et son pari de l'abonnement payant. . .

En attendant, voici quelques idées volontairement développées sur le registre des valeurs, histoire d'alimenter le débat:

Pourquoi faut-il croire au média participatif ?

1-
Le participatif va dans le sens d'une démocratisation de l'info.
En s'impliquant dans la fabrique de l'information, en en comprenant les rouages, en collaborant étroitement avec des médias, en apportant dans cette mécanique son propre vécu de l'actualité, le lecteur (et notamment les jeunes générations) ont une opportunité extraordinaire de se réapproprier l'info.

2-
Le participatif multiplie les sources d'information.
Et, tout journaliste en conviendra, c'est plutôt une bonne chose.
Des millions de lecteurs = des millions de témoins. C'est la grande vertu du journalisme collaboratif: permettre aux témoins de faire remonter ressentis, photos, vidéos et infos inédites. Par la multiplication des témoignages, c'est la texture de l'info qui s'enrichit.

Jadis, le journaliste était le premier témoin de l'événement. Il a évidemment perdu ce statut au profit de ceux qui vivent l'actualité. Mais son rôle est désormais devenu essentiel dans le travail de qualification, de vérification et de tri de cette matière brute. Une mécanique qui doit également intégrer les process d'enquête journalistique.

3- L'info n'est plus seulement l'apanage des médias. La vérification et le filtrage, si.

Il est plutôt sain que le journalisme trouve dans la mécanique Internet son contre-pouvoir.
La multiplication des témoignages et des sources d'information sur le Net est une bonne chose. Cependant, cette situation inédite pose aujourd'hui un problème de clarté et de traçabilité à l'internaute en quête d'info. Les lecteurs (comme les journalistes d'ailleurs...) ne savent pas toujours comment réagir face à une info brute "buzzée" sur le Net via YouTube ou Facebook. Face à ce déferlement des sources d'information, ils se tourneront en priorité vers les médias qu'ils connaissent. Donc(s'ils ne rejettent pas ce rôle), vers des journalistes dont la pratique tient toujours de cet artisanat rigoureux : vérifier, filtrer, recouper et contextualiser cette nouvelle matière informative amateur (que CNN appelle le reportage personnel).

4- Il permet aux journalistes de se laisser à nouveau surprendre dans leur traitement de l'actualité.
D'abord parce qu'ils sont désormais en conversation permanente avec les lecteurs et les témoins (qui peuvent les corriger).
Mais pas seulement: alors que certains médias traditionnels ont encore tendance à aller chercher LE témoignage qui illustre la dépêche AFP (parfois en se passant les mêmes témoins entre médias), la participation fait exploser cette mécanique. Et confronte les journalistes à la complexité du terrain, notamment local.

Enfin, les lecteurs (qui influent sur la hiérarchisation des sujets à traîter), jouent aussi un rôle de veille de l'info, de mise en perspective. Ils peuvent faire remonter l'info dite "off" (off the media). Ainsi, interpellent-ils les journalistes (ou la communuauté) sur des faits qu'ils estiment avoir été injustement ignorés.

5- La participation aide à réformer les codes du journalisme. Inutile de rappeler tout ce que les blogueurs, avec leur traitement "pirate" de l'actu, ont apporté au métier en terme d'éditing, d'approche de l'info en réseau, du partage des données, de veille de l'info, de conversation...

Enfin, bonus track: quelques idées reçues à dépoussiérer:

- Participer ne veut pas dire que le lecteur se transforme en journaliste, encore moins en "journaliste citoyen". On l'a vu.
Pour autant, le média participatif, ce n'est pas non plus une rédaction qui laisse la parole aux "lecteurs" (qui d'ailleurs n'ont plus besoin des journalistes pour prendre la parole). C'est une rédaction qui fabrique l'information en conversation -mais surtout en collaboration active- avec des non-journalistes: c'est à dire avec les acteurs directs de cette actualité (qui peuvent être des anonymes comme des personnalités), dont elle accompagne la production. Il s'agit d'un réseau hyper-dynamique de sources d'information, que le journaliste doit savoir animer.

L'objectif étant de produire une info qui soit la plus proche du quotidien de ses lecteurs.

Les journalistes construisent donc leur information de façon poreuse, transcendant les notions d'objectivité et de subjectivité par celle de l'honnêté (formule empruntée à Philippe Couve).


- La participation n'a rien de nouveau. De tous temps, les non-journalistes ont participé à l'info. Créant même leurs propres médias (on l'a vu avec les radios libres).
Internet, qui n'est pas un média, mais une mécanique, a rendu cette dynamique de partage des données plus spontanée et plus libre.


- S'afficher média participatif aujourd'hui ne devrait plus être nécessaire. A terme, tous les médias sur le Net intègreront une dimension participative.

mercredi 12 mars 2008

Demain, le média exportable?

Retour sur le concept de "nomadisation de l'info", développé dans un précédent post.
J'évoquais la thèse du "canon à infos", mutation naturelle du traditionnel site de news:
"L'objectif étant de parvenir à placer l'info sur les trajectoires de plus en plus aléatoires du lecteur. Et, surtout, d'embarquer le plus de valeurs possibles (infos, marque, pub...) sur ces micro-contenus."
Philippe Couve (dans les commentaires) lui préfère le terme"info liquide". On pourrait aussi parler d'info "moléculaire". Ce qui reflète mieux ce concept de dispersion nécessaire et maîtrisée de l'info: une micro-news, éjectée du site pour atteindre le lecteur là où il se trouve (rss, mobile, blogosphère, moteurs de recherhce...).
Une info exportable, qui embarque avec elle un certain nombre de données.

L'effet YouTube: L'essor des plateformes de vidéos (YouTube et Dailymotion) qui permettent à chacun d'embarquer sur son site ou son blog les contenus vidéos d'autres sites ou auteurs, a contribué à installer cette culture d'une info de plus en plus nomade.



Avant, la tendance était à la protection jalouse de ses contenus pour ramener et conserver le trafic sur son site. Aujourd'hui, proposer un lecteur exportable de vidéo (le fameux code "embed" qu'on glisse dans le code HTML de ses posts) est devenu la norme.

Tout s'exporte...
"iReport", le nouveau site participatif de CNN, propose évidemment des lecteurs exportables pour les vidéos, mais aussi pour les portfolios, et même les simples photos:


Plus fort : Soitu.es, le nouveau site d'infos nouvelle génération espagnol permet à tous de reprendre son outil flash de publication des résultats des élections législatives. Une première.
Un petit code permet en effet à tout le monde de publier un média dynamique affichant les résultats. Un bel exemple (et un vrai modèle) de dispersion de l'info au service de la marque et des usages du lecteur:



Imaginez tout ce que l'on peut faire avec ce modèle...

Plus extrême, le site internet exportable.

Xavier de Mazenod en parlait sur son blog en novembre dernier (merci Philippe pour le lien): un mini site en flashs, avec un menu, des liens, des contenus textes et multimédias mais que chacun peut reprendre chez soi:



Demain, le média exportable?

lundi 10 mars 2008

La nomadisation de l'info va-t-elle tuer le lien média/lecteur?


Je remonte ici le commentaire de mon confrère Jean Abbiateci suite à mon post sur la nomadisation de l'info. Il pose beaucoup de questions, pertinentes, auxquelles je n'ai pas forcément de réponse évidente. Mais le débat est ouvert:

"Vous parliez du canon à info... Si je suis bien votre pensée, le lecteur/internaute/téléspectateur ne va plus forcément aller sur un site... Ce sera au site et au média d'aller directement sur les supports de diffusion (mobiles, blogs, mail, réseaux sociaux, télés)...

"Dans cette configuration nomade, un reportage sera donc dispatché sur ces différents canaux de diffusion... relayé par les internautes s'il le juge bon, exporté, podcasté puis commenté sur des blogs...

"Est ce que cette décentralisation de l'info ne va tuer le lien qui existe entre un média et ses lecteurs (peut-être est-ce déjà fait)...

"Comment des "marques" (c'est la mode dans le monde des médias de parler de marques) comme Le Monde par exemple ne vont se diluer dans ce flux d'information, partageant le canon avec d'autres contenus à faible valeur ajoutée.

"Est ce que cela signifie qu'on va arriver vers un marché de micro-niches éditoriales... ? Existera-t-il encore de la place pour une information à haute valeur ajoutée ?

"Si les "carrefours" que représentent les sites sont condammnés, est ce qu'on va passer d'une publicité d'audience à une publicité de sponsoring (à savoir, un annonceur va sponsoriser tel type de contenu)...

"Voilà, beaucoup de questions, à la hauteur de l'excitation provoquée par ces nouvelles technologies dans le métier de journaliste..."


La nomadisation de l'info va-t-elle tuer le rapport du média au lecteur ?
Difficile de répondre. Je suppose qu'elle est en train de "tuer", dans sa configuration actuelle, le traditionnel site d'info. Mais pas forcément la marque. Tout dépend comment elle s'organise.

Quatre pistes:

1- Tout d'abord, segmenter les contenus ne veut pas forcément dire renoncer à fidéliser une audience. Si le média assume sa porosité et organise la dispersion de ses contenus, pour apporter la bonne info à la bonne personne au bon moment, il n'y a pas de raison pour que l'internaute ne s'abonne pas à ses contenus et intègre le média dans son dispositif personnel de news (widget, netvibes, facebook, mobile...). Il ne prendra pas tout le package, mais il restera fidèle à la marque sur ce qu'il estimera être ses points forts.

Le vrai problème, pour le média, reste que la production d'un micro-contenu coûte plus cher que plusieurs contenus packagés. Ce qui pose la question de l'avenir de l'info à valeur ajoutée.


2- Nomadisation ne veut pas juste dire segmentation. C'est aussi la mobilité. Donner la possibilité à son audience d'embarquer le média avec elle, de rester connecté en permanence, est un axe non négligeable de fidélisation.

3- Une autre solution est de miser sur la communauté. L'intégrer dans la production et la gestion des contenus (ce que font iReport, et Le Post). Faire de l'info un moteur social.

4- Encore une fois, l'exception confirme la règle. Il y aura des sites d'infos qui se positionneront à l'inverse de cette nomadisation autour de contenus à forte valeur ajoutée sur des sites fermés . Et qui trouveront leur public. C'est la stratégie originale d'Arrêt-sur-Images et de Mediapart. La nomadisation est une réalité, ce qui ne veut pas dire qu'il faut l'embrasser. Juste se positionner par rapport à elle.


Enfin, sur les modèles économiques: toutes les pistes sont ouvertes. Celles du sponsoring en est-une. Il y a surtout les publicités embarquées dans les contenus. Mais il y a aussi la pub considérée comme un contenu, nomade lui aussi, mais viral et (ou) intéressant et (ou) utile. Il y a évidemment la qualification de l'audience par les contenus segmentés, et donc des tarifs plus élevés. Mais cela répondra-t-il aux besoins de campagne de masse? Pas sûr.

(Source illustration : fromdistance.com)

samedi 8 mars 2008

CNN lance le YouTube du reportage personnel


"iReport.com", c'est le nouveau site de citizen journalism lancé par la chaîne d'info continue américaine .

Le directeur du développement de CNN, l'a présenté ainsi lors de la conférence DNA2008 à Bruxelles : le site se veut le YouTube du reportage personnel.

Le service iReport existe déjà depuis 18 mois. Mais il fallait à l'époque envoyer sa vidéo à la rédaction pour espérer être publié.

90.000 contributions ont été reçues, annonce CNN, mais 90% étaient inexploitables par la chaîne (la chaîne en a publié 914).

10% n'est pas un chiffre surprenant. Ni même un mauvais chiffre. Mais plutôt décourageant pour les 90% recalés qui ne voyaient jamais leurs oeuvres publiées, même sur le web. Difficile, donc, d'installer une dynamique, si possible vertueuse.

CNN a donc choisi de créer un site communautaire à côté de celui de CNN.
"iReport" se présente comme une plateforme où chacun peut déposer son reportage et recevoir directement le retour de la communauté.

En créant deux sites séparés, la chaîne a décidé de ne pas faire cohabiter l'info vidéo de la rédaction de CNN et celle des internautes. Sauf lorsque cette dernière est reprise sur la chaîne d'info.

La baseline est d'ailleurs claire (et provocante) : iReport, "unedited, unfiltered, news". L'info non éditée, non filtrée!








Sur ce point, le site veut d'ailleurs laisser les clefs aux internautes. Ils seront également responsables de la modération qualitative du site (la modération légale sera effectuée par des professionnels) et d'exprimer leurs doutes sur la véracité de telle ou telle info.

"Nous voulons vraiment impliquer les gens, pas seulement dans la soumission de contenus, mais dans la gestion de ces contenus".


L'interface est plutôt intéressante: très épurée, avec une exploration par tags, un fleuve de contenus chapeauté par un bloc de contenus mis en avant.

On peut également proposer des portfolios de photos, présentés comme une vidéo.

iReport se pose donc comme une sorte de réservoir d'infos, avec une animation portée par la communauté.

Le moteur principal de motivation des internautes restant évidemment l'espoir d'être diffusé sur la célèbre chaîne d'info continue. C'est tout l'intérêt de ce type de mécanique.

(Source : journalism.co.uk)

jeudi 6 mars 2008

Médias: après le portail d'infos, le canon à infos


Il y a plus d'un an, nous étions déjà dans l'ère de la fragmentation de l'info: celle de la toute puissance des algoryhtmes des moteurs de recherche qui torpillaient la traditionnelle hiérarchisation de l'info.

Avec le RSS et l'apparition des tags (recherche sémantique), c'est la segmentation de l'info qui a pris le relais: avec pour conséquence l'hyperpersonnalisation et le fameux phénomène de la longue traine (graal de tous les acteurs de l'internet, mais tellement compliqué à financer).

Aujourd'hui, les médias doivent faire face à une nouvelle étape dans la révolution des usages: la nomadisation de l'info. C'est la suite logique et dynamique des deux précédents phénomène.

Qu'est-ce que l'info nomade ?

C'est une info qui abandonne progressivement non seulement la notion de support physique exclusif (papier, pure web, télé, mobile) mais surtout celle de support média envisagé comme un tout packagé (un site d'infos par exemple). C'est une info qui, parce qu'elle est segmentée, va venir toucher et interagir directement, immédiatement, avec son lecteur.
Ce qui laisse entrevoir beaucoup d'opportunités, mais pose également beaucoup de problèmes.


La fragmentation brise les modèles

Les nouveaux sites d'infos qui débarquent sur le marché, connaissent tous, à des échelles variable, cette dislocation des modèles fondamentaux de publication: Chez de nombreux pure-players, notamment, seuls 20% de leurs lecteurs arrivent chez eux via la page d'accueil du site. Le reste du "lectorat" débarque directement sur les articles via les moteurs de recherche, les flux RSS, les widgets, les blogs ou les agrégateurs.
Chaque contenu devient alors une nouvelle "Une", un espace autonome de distribution.


Après le portail d'infos, le canon à infos

Conséquence : aux débuts de la fragmentation de l'info, il était coutume de conseiller aux médias de passer du simple site traditionnel à la maîtrise des points d'engorgement (des points de passage des lecteurs sur telle ou telle thématique). A l'ère du portail et des sites univers (locaux ou thématiques), on rassemblait alors l'info fragmentée en chaînes pour créer des noeuds de concentration de trafic.

On parlait, certes, déjà de moteurs d'information: une marque produisant une info multi-supports selon l'heure de la journée et son lectorat. Mais on ne sortait guère de la notion de support packagé: un journal sur papier, un site d'infos sur le web, un espace services sur mobile...

Aujourd'hui, la question n'est plus tant de façonner ces points d'engorgement que de parvenir à placer l'info sur les trajectoires de plus en plus aléatoires du lecteur.
Et, surtout, d'embarquer le plus de valeurs possibles (infos, marque, pub...) sur ces micro-contenus.

Il faut, en quelque sorte, passer du carrefour d'infos au "canon à infos". Et maintenir ce lien, en permanence, avec ceux qui nous lisent. Dans cette stratégie là, demain, le mobile (mais pas seulement) sera évidemment un outil incontournable. On le voit déjà depuis quelques semaines avec le Iphone et la généralisation des forfaits illimités.

La bonne nouvelle: la nomadisation rapproche tout

Dans l'autre sens, la nomadisation rapproche tout. Dans la temporalité comme dans le rapport à la fabrication de l'info : le canon à info peut atteindre n'importe qui n'importe où, chez lui, au travail. Comme l'explique une récente étude médiamétrie ("Media In Life 2007" à télécharger ici), "de plus en plus accros aux médias, les Français les consultent désormais n'importe où et n'importe quand grâce aux nouveaux équipements, comme internet ou le téléphone mobile", résume l'AFP .

Plus de la moitié des Français (55,3%) écoutent la radio le matin entre 6h et 9h, et 1
Français sur 5 consulte la presse. L’Internet émerge fortement le matin : entre 9h et 12h, 14 % des Français sont connectés. A l’heure du déjeuner 2 Français sur 5 (41%) sont devant leur petit écran. Le soir, entre 21 h et 22h 30, 52,4 % des 15-24 ans regardent la télévision, 17,7 % téléphonent avec leurs mobiles et 14,9 % se connectent sur Internet ; chez les 35-49 ans, 70% regardent la télévision et 10 % lisent la presse ("Média In Life 2007").

Du coup, la consommation des médias augmente. Tous supports confondus. La question n'est plus de savoir si le papier ou la télé sont morts, mais d'être connecté au lecteur. Tout le monde peut en profiter, comme le signale avec élégance Christophe Barbier, le directeur de la rédaction de l'Express.

Et le lecteur étant de plus en plus connecté, l'info devient de plus en plus instantanée. Jusqu'à devenir "live".

Plus proche, le lecteur peut aussi contribuer de plus en plus facilement à l'info. Il façonne déjà sa hiérarchisation, désormais, il intervient sur sa fabrique directement sur le contenu, via les commentaires ou le trackback (il fait buzzer l'info et la complète sur sa page perso).

L'avenir du journalisme participatif sera déterminé par la capacité des médias à rester en contact en permanence avec leurs lecteurs. Un peu comme le fait déjà aujourd'hui la radio.

L'explosion des modèles économiques

Conséquence de la nomadisation : elle remet en cause les modèles des sites médias. Pour l'instant, les grandes marques de l'info parviennent à fédérer un lectorat qui vient quotidiennement chercher l'info sur leur site, mais demain? Pour les pure-players (les nouveaux moteurs d'infos sur le Net), la guerre a déjà commencé.

Le problème c'est que s'il est facile de vendre une audience de masse sur une page d'accueil ou sur de grandes séquences thématiques, il est beaucoup plus compliqué de vendre la segmentation à l'infini de l'audience.

Même problème pour les coûts de fabrication.

Et puis, les pratiques ont changé. Le lecteur choisit son info. Il est le maître du contenu. Il n'a donc pas envie d'être passif devant la pub. Donc il clique moins, ou moins automatiquement. Même sur les liens sponsorisés, qui affichent des taux de clics en baisse...

Quoi qu'on en dise, très peu de sites médias sont prêts à inventer de nouveaux modèles.
Les agences de pub, qui ont longtemps freiné des quatres fers, ont du pain sur la planche...


Pour conclure, la problématique des médias aujourd'hui, ce n'est plus tant celle de la canibalisation des supports que celle de trouver le meilleur support et le meilleur format pour se connecter au lecteur là où il se trouve.

Le graal sera sans doute demain le mobile, média nomade par excellence. Mais pour faire quoi ?

mardi 4 mars 2008

Quel avenir pour les médias?

Si vous ne l'avez pas encore vu, Politic Show/ Six35 vient de publier l'intégralité du débat filmé sur l'avenir des médias, auquel je participais avec Philippe Couve (CFPJ, RFI), Michel Levy-Provençal (France 24, ex Rue89), Damien Van Achter (RTBF) et François Guillot (consultant).

A lire également, la réflexion qui se poursuit sur les blogs des uns et des autres.






Je reviendrais sur le sujet un peu plus tard.


(Je suis en vacances, pour une fois j'ai un peu de temps devant moi...)