mardi 27 mai 2008

Rob Curley rejoint le Las Vegas Sun: un modèle pour la presse locale

J'ai souvent parlé sur ce blog de Rob Curley. Le fondateur du site du quotidien local américain Lawrence Journal World (pour moi LA référence des sites d'infos locaux) est l'une des personnalités les plus intéressantes du monde de la presse en ligne.

Après être passé à la division numérique Washington Post (en tant que vice-president of product development) , il vient d'annoncer sur son blog qu'il rejoignait l'équipe web du quotidien régional "Las Vegas Sun".

L'occasion pour moi de rappeler que Rob a lancé pour le Washington Post un site hyperlocal d'infos que tous les patrons de presse quotidienne régionale devraient prendre pour modèle: le Loudoun Extra.


C'est un concentré de tout ce qu'il faut faire:

- Descendre le plus bas possible dans l'info hyperlocale, jusqu'aux tout petits clubs dans les quartiers.

-... et le présenter de la façon la plus "cool" possible. Avec de la vidéo, des photos, une belle interface, comme s'il s'agissait d'info nationale.

- ... et ne pas attendre la parution du quotidien pour donner l'info sur le site.

- Bases de données, bases de données, bases de données : toutes les écoles, toutes les églises, tous les clubs de foot avec des photos panoramiques, les noms des entraîneurs, guides de la ville... tout ce que la communauté cherche près de chez elle doit se trouver chez vous.

- ... idem pour les contenus froids du journal qui donnent de la profondeur au site.

- Des blogs pour faire vivre la conversation et mettre en valeur la communauté

- Des journalistes multimédias locaux, qui ne travaillent que pour le site.

Je reste persuadé que c'est ce type de "petit" projet qui doit être privilégié par la PQR, avant de repenser toute refonte du site ou toute réorganisation globale, source de blocages et de perte d'argent (des tas de journaux en France sont dans cette situation...).

Avec un budget de 60.000 à 100.000 euros par an, salaires compris, n'importe quel journal pourrait aujourd'hui expérimenter le lancement d'un vrai site de news hyperlocal sur une ville moyenne. A condition de bien penser le projet. Un ou deux journalistes web en charge à plein temps pour faire du terrain et constituer de vraies bases de données éditoriales, et traiter en direct les news apportées par l'équipe papier.

Et là, inutile de se creuser la tête: commencez déjà par recopier le Loudoun Extra.

Mise à jour 08 juin: le Wall Street Journal vient de publier un article sur l'expérience Loudoun (relayé par Ph.Couve sur Médiachroniques). Selon le quotidien économique, le site (lancé il y a un an) ne décollerait pas et les internautes ne se bousculeraient pas pour participer à l'info. Parmi les raisons invoquées: la dimension communautaire du site est mal exploitée et la fonction agrégateur du net local (dont parle H.Guillaud dans les commentaires) souhaitée par Curley n'a pas pu être mise en place... Le Washington Post poursuit néanmoins l'expérience, et il a raison. L'intérêt de ce type d'expérience n'est pas tant de faire du chiffre tout de suite que d'expérimenter afin de conquérir un territoire encore largement inconnu. L'expérience du Lawrence Journal World construit sur le même modèle (et créé par Rob Curley), comptabilise entre 30.000 et 50.000 visiteurs uniques par jour pour une population de 89.000 habitants (je vous laisse calculer le taux de pénétration).
Attention donc, dans tous ces nouveaux projets, à ne pas tirer trop vite des conclusions. Le concept, c'est bien, monter un projet au quotidien, analyser ses erreurs, savoir faire évoluer le site, c'est autre chose. Le Net, ce n'est pas mécanique. Et pas forcément rapide. Ce sera de plus en plus difficile, d'ailleurs de monter des projets à décollage immédiat. Il faut plus que jamais expérimenter, investir le terrain de l'hyperlocal, prendre le temps pour aller du concept séduisant à la concrétisation. Un projet doit forcément démarrer léger (ce qui reste le cas du Loudoun), afin de pouvoir corriger le tir au fur et à mesure. C'est indispensable.
(Chiffres LJW: Jeff Mignon)


A lire:

- Plus d'explications sur le départ de Rob Curley (merci à Emmanuel pour le lien).
- Et la réponse de Rob Curley à l'article incendiaire du Wall Street Journal sur le "flop" du Loudoun.

dimanche 25 mai 2008

Journalistes: révolution ou choléra?

Je reviens des Assises internationales du journalisme de Lille (où j'intervenais sur le journalisme participatif).

Sur son blog (et sur Médiachroniques) Philippe Couve (l'un des animateurs de ces journées) n'est pas tendre avec la profession. Le bilan est morose:
"Ce sont le désarroi et la tentation du repli qui dominent"

Le constat est là. Après deux années où, dans les débats sur la révolution des médias, il était surtout question des nouvelles pratiques et des moyens d'y arriver, avec en toile de fond cette vague menace apocalyptique de l'effondrement du papier (mais personne n'aime les apocalypses), l'heure est aujourd'hui à une véritable crise existentielle.

C'est l'angoisse d'une profession qui commence aujourd'hui à réaliser concrètement que les temps ont changé. Que l''argent n'arrive plus. Que les plans sociaux s'enchaînent dans la presse traditionnelle. Que les coupes dans les grosses rédactions ne font que commencer.

Révolution ou choléra (pour reprendre l'expression de la présidente de l'Association des rédacteurs en chef aux Etats-Unis)? Cette sale ambiance s'alourdira encore dans les prochaines années en France, comme c'est déjà le cas aux Etats-Unis. La presse nationale surfe dangereusement sur l'effondrement. La presse régionale suivra.

C'est une révolution avant d'être un choléra. Une révolution d'autant plus angoissante pour les journalistes des "vieux médias" que l'univers d'Internet ne ressemble pas du tout au leur.
On essaie de se rassurer avec les expériences de Rue89 ou Médiapart qui plaquent sur le Net les fondamentaux du journalisme traditionnel (le reportage sur le terrain, la signature, l'analyse et, pour Mediapart, même si ça ne fonctionne pas, le modèle payant...), mais l'angoisse reste. Il n'y a plus de repères.

A côté du gros point d'interrogation économique (qui aura besoin de journalistes demain?), 2008 semble être, plus que jamais, le point d'interrogation existentiel de toute une profession.

"A quoi sert un journaliste ?" C'était la question leitmotiv des Assises du journalisme. Sous-entendu: un journaliste sert-il encore à quelque chose?

Dans "l'atelier des médias" sur RFI (à laquelle je participais vendredi dernier), Philippe Couve pose lui aussi la question. Vous pouvez y écouter les réponses d'une poignée de spécialistes . Et lire nombre de contributions sur le site des Assises.

Le débat est encore largement ouvert.

- Il semble clair que le journaliste est en train de perdre son rôle d'intermédiaire entre les faits (l'événement) et l'individu, entre les "grands" de ce monde et les citoyens. Internet, qui n'est pas un média, mais un réseau, a permis à l'information d'échapper au filtre des médias pour atteindre directement le public. C'est, sur le fond, une bonne chose (ça a permis à certaines infos de sortir), mais cela pose également très souvent un problème de validité de l'info. Et donc un risque de désinformation.

- L'un des premiers rôles du journaliste reste donc celui de la vérification, de la contextualisation et de l'édition de l'information. Par contre, la hiérarchisation lui échappe de plus en plus.
- L'un des ses rôles les plus fondateurs ne disparait pas non plus : celui de l'investigation. C'est un métier spécifique, qui n'est pas celui de tous les journalistes (même si tout journaliste fait quotidiennement un travail d'enquête sommaire). Même s'il est le plus romantique avec celui de reporter de guerre. Mais c'est un métier qui coûte cher.

- A côté, le journaliste perd peu à peu son rôle de témoin de l'info (les témoins directs pouvant désormais s'exprimer et envoyer leurs documents sur le Net). Il perd également sa fonction d'analyse (les experts s'expriment de plus en plus facilement sur leurs blogs ou sur les sites participatifs)

- Il y gagne un rôle d'animateur de conversations, qui ne plait pas à toute la profession, mais qui ne peut être fait que par un journaliste: animer un réseau d'informateurs, éditer et recouper les témoignages et la participation des internautes puisqu'ils sont désormais témoins et experts de leur propre actualité.

- Un autre rôle, dont on parle assez peu et que je trouve primordial aujourd'hui: le journaliste doit, plus que jamais, rendre l'information accessible au lecteur. Il doit la trier, la synthétiser, mais aussi rassembler ce qui se dit de plus intéressant sur tel ou tel sujet. La jungle d'Internet qui n'est pas seulement un réseau de médias, mais un nouveau terrain factuel à côté de la vie réelle, appelle la formation de journalistes dotés de nouveaux réflexes et de nouvelles compétences pour aider le public à s'y retrouver.

Un certain nombre de choses ont changé pour le journaliste, mais le changement n'est pas définitif. Tout évolue, et Internet tel qu'il se pratique aujourd'hui par les journalistes ne peut pas donner une idée sérieuse de ce que sera le journalisme sur le Net demain. L'une des principales raisons est que l'info est encore aujourd'hui produite essentiellement par les rédactions papier et télé. Le web joue donc aujourd'hui un rôle d'agrégation et de conversation qui devrait naturellement évoluer. Vers quoi ? Difficile à dire. Quand les grosses rédactions papier auront disparu, qui fournira l'info? De grosses rédactions sur le Net?

A moins que l'avenir du journalisme passe par un éclatement des rédactions au profit de petites unités de production, qui coûtent moins cher aux rédactions, et qui vendront leurs infos sur plusieurs médias. C'est une évolution déjà en marche en télévision.

dimanche 4 mai 2008

Comment les blogueurs ont révolutionné le journalisme

On a beaucoup écrit sur l'affrontement blogueurs/ Journalistes, et sur la question de savoir si un blogueur pouvait être considéré ou non comme un journaliste.
Au delà de ce débat (qui n'en est plus vraiment un) on s'est rarement interrogé (en tout cas du côté des journalistes) sur ce que les blogueurs avaient apporté à la profession.

Pourtant, lorsque l'on observe les pratiques éditoriales qui se développent aujourd'hui sur le web (et même ponctuellement sur les supports traditionnels), il est difficile de nier. Les pionniers du blog, ces "non journalistes" ont révolutionné notre approche de l'info.

La nature a horreur du vide. Tandis que, pendant des années, les journalistes ont tourné le dos au web, les blogueurs ont investi ce nouvel espace d'informations. Ils en ont intégré parfaitement les règles et les pièges. Ils sont d'ailleurs à l'origine d'un certain nombre d'entre-eux.

J'ai retenu 10 apports majeurs (à vous de compléter... ou contester):

1- La conversation: c'était (et c'est toujours) la baseline du blog de Loïc Le Meur, l'un des premiers gros blogueurs français: "Les médias traditionnels envoient des messages, les blogs démarrent des conversations". Aujourd'hui, très peu de médias traditionnels envisagent sérieusement de ne pas ouvrir leurs articles aux commentaires. Cette généralisation a profondément modifié la façon dont les journalistes -mais surtout les lecteurs- abordent l'information. Un article, aujourd'hui, ce n'est plus seulement le billet du journaliste, mais le billet+les réactions des lecteurs. Ces derniers y apportent leur éclairage, leurs corrections, leur témoignage ou leur analyse. Ce bouleversement touche également l'écriture. On n'écrit pas de la même manière un article qui ouvre une conversation, qu'un article traditionnel.

2- L'info perfectible, ou l'info "work in progress": c'est la conséquence du premier. Un article qui ouvre une conversation n'a pas besoin d'être bouclé, les fondamentaux qualitatifs ne sont plus les mêmes. Il peut s'enrichir avec le temps, et les apports de la communauté. Il y a du positif et du négatif dans cette évolution. Négatif: on peut être tenté de lancer n'importe quel sujet avant de l'avoir verrouillé. Positif : l'info se fait moins démonstrative (les témoignages recueillis par le journaliste pour illustrer et justifier son propos) et s'ouvre sur la surprise.

3- Le buzz: il est quasiment né avec le blog. Il venait casser la hiérarchie des médias traditionnels. Après le scoop, le buzz: une sorte de bouche à oreille sur le Net qui transforme une "petite info", peu ou non relayée par les médias, en sujet dont tout le monde parle. Du coup, un journaliste sur le web pense désormais "buzz".

4- L'info antéchronologique et pas hiérarchisée: regardez la plupart des nouvelles formules de sites (20minutes, Le Figaro). Toutes commencent à intégrer ce qu'on appelle le "fleuve". Un "flow" de news, qui s'inspire du fil antechronologique des blogs (l'info en Une est la dernière info publiée). Aujourd'hui, cependant (à part Le Post.fr), tous hiérarchisent leur fil d'infos.

5- Le référencement: l'info est donc déhiérarchisée sur les blogs: on lit la dernière news publiée ou on fait une recherche sémantique. Par contre, l'info blog s'inscrit complètement dans la dynamique des moteurs de recherche. Un bon blogueur sait travailler ses titres, ses entames de texte, ses liens et ses tags de façon à être bien référencé. Ce qui ne veut pas dire que tout journaliste doit écrire uniquement pour être référencé. Mais intégrer ce nouveau compromis référencement/ précision de l'information dans sa logique d'accroche.

6- L'info tremplin: l'info se construit différement. Antéchronologique, elle peut être plus courte et feuilletonnée. On peut passer d'un post long et construit à un post simple qui montre juste du doigt: regardez cettte vidéo, allez lire ceci ou cela... Car l'info blog sert aussi de plateforme vers d'autres news vues ailleurs, grâce aux liens hypertexte: c'est la particularité du web.

On a ainsi vu se développer de nouveaux formats:

7 - L'agrégation, la veille d'infos: avec la révolution des liens hypertexte, les blogueurs ont réinventé un vieux format éditorial: la revue de presse. Dans leur grande majorité, les blogs n'apportent pas de nouvelle information, mais effectuent une veille de l'info (leurs sources sont généralement plus larges et moins rigoureuses que les médias traditionnels).
C'est une revue de presse, souvent pertinente, où le blogueur dépasse le copier-coller pour ouvrir une conversation ou pointer du doigt un détail important. Le Huffington Post, média pure-web américain, a fondé sa stratégie éditoriale (et son immense succès) sur la syndication de contenus, à la manière des blogueurs.

8- La liste : c'est un des formats éditoriaux les plus efficaces inventés par la blogosphère. Un article peut être composé d'une seule liste ("les 10 plus...", "10 idées pour", ...). Chaque entrée renvoie généralement vers un lien, mais on peut aussi avoir des listes d'images ou de vidéos. C'est un moyen de synthétiser l'info très efficace.

9- L'écriture à tiroirs: elle joue sur les liens qui permettent d'écrire plus court (on clique pour en savoir plus), mais aussi sur l'iconographie ou les vidéos qui viennent s'intégrer dans l'écriture même de l'article, pas seulement en illustration. Les blogueurs ont également intégré un certain nombre de jeux typographiques dans l'écriture: utilisation du gras, mais aussi du mot barré (qui indique qu'une correction a été faite après mise-à-jour).

10- Un ton nouveau: il est celui de la conversation. Plus libre, souvent plus proche du langage parlé, il intègre également cette écriture à tiroirs et la dimension interactive du web.


J'en ai évidemment oublié. D'autres exemples?

(Illustration : newyorkpersonalinjuryattorneyblog.com)