dimanche 25 mai 2008

Journalistes: révolution ou choléra?

Je reviens des Assises internationales du journalisme de Lille (où j'intervenais sur le journalisme participatif).

Sur son blog (et sur Médiachroniques) Philippe Couve (l'un des animateurs de ces journées) n'est pas tendre avec la profession. Le bilan est morose:
"Ce sont le désarroi et la tentation du repli qui dominent"

Le constat est là. Après deux années où, dans les débats sur la révolution des médias, il était surtout question des nouvelles pratiques et des moyens d'y arriver, avec en toile de fond cette vague menace apocalyptique de l'effondrement du papier (mais personne n'aime les apocalypses), l'heure est aujourd'hui à une véritable crise existentielle.

C'est l'angoisse d'une profession qui commence aujourd'hui à réaliser concrètement que les temps ont changé. Que l''argent n'arrive plus. Que les plans sociaux s'enchaînent dans la presse traditionnelle. Que les coupes dans les grosses rédactions ne font que commencer.

Révolution ou choléra (pour reprendre l'expression de la présidente de l'Association des rédacteurs en chef aux Etats-Unis)? Cette sale ambiance s'alourdira encore dans les prochaines années en France, comme c'est déjà le cas aux Etats-Unis. La presse nationale surfe dangereusement sur l'effondrement. La presse régionale suivra.

C'est une révolution avant d'être un choléra. Une révolution d'autant plus angoissante pour les journalistes des "vieux médias" que l'univers d'Internet ne ressemble pas du tout au leur.
On essaie de se rassurer avec les expériences de Rue89 ou Médiapart qui plaquent sur le Net les fondamentaux du journalisme traditionnel (le reportage sur le terrain, la signature, l'analyse et, pour Mediapart, même si ça ne fonctionne pas, le modèle payant...), mais l'angoisse reste. Il n'y a plus de repères.

A côté du gros point d'interrogation économique (qui aura besoin de journalistes demain?), 2008 semble être, plus que jamais, le point d'interrogation existentiel de toute une profession.

"A quoi sert un journaliste ?" C'était la question leitmotiv des Assises du journalisme. Sous-entendu: un journaliste sert-il encore à quelque chose?

Dans "l'atelier des médias" sur RFI (à laquelle je participais vendredi dernier), Philippe Couve pose lui aussi la question. Vous pouvez y écouter les réponses d'une poignée de spécialistes . Et lire nombre de contributions sur le site des Assises.

Le débat est encore largement ouvert.

- Il semble clair que le journaliste est en train de perdre son rôle d'intermédiaire entre les faits (l'événement) et l'individu, entre les "grands" de ce monde et les citoyens. Internet, qui n'est pas un média, mais un réseau, a permis à l'information d'échapper au filtre des médias pour atteindre directement le public. C'est, sur le fond, une bonne chose (ça a permis à certaines infos de sortir), mais cela pose également très souvent un problème de validité de l'info. Et donc un risque de désinformation.

- L'un des premiers rôles du journaliste reste donc celui de la vérification, de la contextualisation et de l'édition de l'information. Par contre, la hiérarchisation lui échappe de plus en plus.
- L'un des ses rôles les plus fondateurs ne disparait pas non plus : celui de l'investigation. C'est un métier spécifique, qui n'est pas celui de tous les journalistes (même si tout journaliste fait quotidiennement un travail d'enquête sommaire). Même s'il est le plus romantique avec celui de reporter de guerre. Mais c'est un métier qui coûte cher.

- A côté, le journaliste perd peu à peu son rôle de témoin de l'info (les témoins directs pouvant désormais s'exprimer et envoyer leurs documents sur le Net). Il perd également sa fonction d'analyse (les experts s'expriment de plus en plus facilement sur leurs blogs ou sur les sites participatifs)

- Il y gagne un rôle d'animateur de conversations, qui ne plait pas à toute la profession, mais qui ne peut être fait que par un journaliste: animer un réseau d'informateurs, éditer et recouper les témoignages et la participation des internautes puisqu'ils sont désormais témoins et experts de leur propre actualité.

- Un autre rôle, dont on parle assez peu et que je trouve primordial aujourd'hui: le journaliste doit, plus que jamais, rendre l'information accessible au lecteur. Il doit la trier, la synthétiser, mais aussi rassembler ce qui se dit de plus intéressant sur tel ou tel sujet. La jungle d'Internet qui n'est pas seulement un réseau de médias, mais un nouveau terrain factuel à côté de la vie réelle, appelle la formation de journalistes dotés de nouveaux réflexes et de nouvelles compétences pour aider le public à s'y retrouver.

Un certain nombre de choses ont changé pour le journaliste, mais le changement n'est pas définitif. Tout évolue, et Internet tel qu'il se pratique aujourd'hui par les journalistes ne peut pas donner une idée sérieuse de ce que sera le journalisme sur le Net demain. L'une des principales raisons est que l'info est encore aujourd'hui produite essentiellement par les rédactions papier et télé. Le web joue donc aujourd'hui un rôle d'agrégation et de conversation qui devrait naturellement évoluer. Vers quoi ? Difficile à dire. Quand les grosses rédactions papier auront disparu, qui fournira l'info? De grosses rédactions sur le Net?

A moins que l'avenir du journalisme passe par un éclatement des rédactions au profit de petites unités de production, qui coûtent moins cher aux rédactions, et qui vendront leurs infos sur plusieurs médias. C'est une évolution déjà en marche en télévision.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Il était temps de faire un constat celui-ci a été fait, maintenant il faut aller de l'avant! Jamais un outil n'a été aussi dédié au journalisme qu'Internet. Seulement une bonne part des journalistes voient encore cela comme un moulin à rumeur, car trop peu s'y aventure réellement. Il y a beaucoup de choses à repenser en terme d'info et de traitement sur le web. Je trouve dommage que ce soit toujours à la manière de : la télé, presse papier, radio. Si l'outil commence à être connu, il n'a pas encore été assimilé. Trop rare sont les propositions concrètes permettant de bénéficier de la richesse de ce nouveau support. Les journaux en ligne paraissent bien en peine face à d'autre métier où le net a été acceuilli avec intérêt. Il est selon moi nécessaire de récrée les conditions pour susciter de l'attractivité chez le lecteur. La concurrence est d'autant plus rude sur le net qu'en un clic vous avez changé de site. Le hic c'est que peu d'entre eux peuvent se targuer d'avoir une plus-value par rapport à leurs concurrents. Sur Netvibes, je constate tous les jours que l'information est dupliquée sur tous les sites, sans qu'aucun ne prennent le soin d'approfondir ni d'enrichir le billet. Il y a une course à la publication qui est nuisible car potentiellement dangereuse, sans compter par la suite le discrédit apporté. Je reste persuadé qu'il y a mille et une manière de sortir de cette crise. Toutefois il faut cesser de vivre dans l'angoisse de la perte du support papier. Le net vis à crédit sur le print. Etant donné que l'idée d'un journalisme sur le net est acquise il faut s'en donner les moyens. C'est un nouveau métier, avec de nouveaux codes, de nouvelles contraintes. Je crois qu'un journalisme de qualité sur le net peut avoir des conséquences bénéfiques pour les autres supports. A nous donc journalistes de nous créer cette condition.

Anonyme a dit…

Bonjour Benoît,
Plutôt que "A quoi servent encore les journalistes" (qui reste une excellente question, cela dit, mais encore faut-il savoir à qui on la pose), n'est-ce pas plutôt "A quoi sert ce type de colloque" qu'il conviendrait de se demander? Sérieux, Philippe pensait qu'en invitant Plenel, Rachid Arhab et Jean-François Kahn, il ferait faire à notre profession un pas de géant vers notre avenir interactif en couleur? Des tas de journalistes, jeunes mais pas tous, polyvalents, conscients de la communauté, que ça amuse et qui s'en nourrissent, curieux et enthousiastes, auraient pu tenter de débattre de ce sujet (j'en ai deux ou trois chez moi, j'imagine qu'il doit aussi s'en planquer quelques-uns chez vous). Pas eux. J'ai été interviewé pour une émission de France 5, que je n'ai pas vu, mais dont on m'a dit qu'elle se concluait par un plateau dont les intervenants ont cassé de l'Internet à grands coups de battes de base ball (sur le mode "c'est du buzz, c'est pas ça le journalisme", le truc habituel). Nous qui nous coltinons ce média génial sommes assez d'accord, sur les évolutions nécessaires du métier mais aussi sur le rôle non moins nécessaire que DOIVENT y jouer les journalistes. Continuer à se demander si Internet est un bien ou un mal pour notre boulot en particulier et la démocratie en général, ça fait huit ans que je fais ça et il est largement temps de passer à autre chose, non? Par exemple: comment fait-on. Amistad, E.

Anonyme a dit…

Votre étude est très complète et apporte maints éclaircissements et sur l'interaction Journalisme / Nouveaux médias initiés par Internet comme le blog et la webTV.

Benoit Grenier a dit…

Tout un topo. Ici Au Québec, on assiste à une crise similaire où le journalisme est devenu une job de représentation d'intérêts publicitaires. Il est temps de repenser le tout.

Même le coneil de presse fait sa tournée à ce sujet.

www.z-nouvelle.com

jobexpertpk a dit…

good
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