samedi 4 juillet 2009

Ce que nous apprend Twitter


Qui n'a pas entendu parler de Twitter ?
Twitter existe depuis 2006, mais ce n'est que depuis 2009 que, dans les rédactions, on ne parle (presque) plus que de ça (le reste du temps, on parle de la fin des journaux ou de modèle économique défaillant sur Internet...).
La "révolution Twitter"...: en juin 2009, l'expression a fait le tour des conversations sur le Web et dans les médias.

Que s'est-il passé ?

Il y a eu, bien sûr, l'élection américaine, en novembre 2008, qui a démontré la capacité de ce service de microblogging à diffuser un nombre incroyable d'informations plus rapidement que les médias traditionnels.

Juste après, il y a eu la crise terroriste à Mumbai. Laquelle a surtout montré les limites de la révolution Twitter: Twitter n'est pas un canal d'infos, c'est un bistrot mondial où s'échangent des contenus qui nécessitent une vérification.

Et puis il y a eu l'élection et la révolte iranienne en juin 2009.

Et là, on est monté d'un cran.

Pourquoi ? Parce que cette fois, les journalistes, écartés par le régime, ne pouvaient pas couvrir l'événement.
Résultat: Twitter s'est imposé comme la source d'information N°1.

A tel point que, le 18 juin, The Economist titrait "Twitter 1 - CNN 0" !

CNN qui, dans le rush du direct, a même utilisé Twitter comme source de témoignages, mais sans toujours vérifier... (CNN a également reçu près de 6000 contenus amateurs via sa plateforme participative iReport et diffusé 180 après vérification).

Privés d'infos de première main, les médias n'avaient pas le choix, constate le New York Times. Les médias sociaux étaient une source incontournable.

Près de 480.000 personnes ont participé à la conversation sur Twitter sur l'Iran, entre le 7 et le 26 juin.
Plus de 2 millions de tweets ont été partagés. Une grande partie d'entre eux étaient des "re-tweets", c'est à dire des duplications de tweets originaux (source : Web Ecology Project: "The Iranian Election on Twitter").

Twitter a également permis d'accélerer la diffusion de documents amateurs photo et vidéo. On retiendra la terrible scène de la mort de Neda Soltani, filmée par plusieurs téléphones portables.

Difficile de savoir combien, parmi les 480.000 "twitterers", tweetaient depuis l'Iran. Sans doute très peu. Plutôt des étudiants, déduit Gilles Klein sur son blog. Selon une analyse rapportée par le NY Times, il y avait 19235 utilisateurs de Twitter en Iran en juin, contre 8654 à la mi-mai.

D'ailleurs, note Francis Pisani, Twitter a surtout permis à l'info de circuler dans le monde, pas tellement aux manifestants de s'organiser... Et, tempère Slate.fr, il a aussi pu être utilisé pour désinformer...

Peut-on parler de révolution ?

C'est une vieille manie des observateurs d'Internet. Tout est "révolution". En fait, le Web procède surtout par "accélérations".

Comme le Web 2.0. avec les plateformes participatives (YouTube, blogs) et l'arrivée du haut-débit, le troisième cycle du web, via Twitter et le iPhone, n'est qu'une accélération des principes fondateurs d'Internet: la communauté, le partage et l'info en "live".

Mais c'est de cette accélération que procède la révolution qui s'opère aujourd'hui dans l'écosytème de l'info.

Quelles sont les clefs de cette révolution ?

1- Twitter = live.

Un tweet, c'est 140 signes maximum. C'est la culture du sms appliquée à l'écriture en ligne. Tout va plus vite. On écrit l'actu en live, comme elle vient, sans aucun souci de construction. La construction du contenu n'est plus grammaticale, elle s'incrit dans le temps, elle devient vivante et sociale.

2- Twitter = fragmentation.

Conséquence : Twitter pousse à l'extrême la fragmentation de l'information. On descend toujours plus bas: aux premiers temps d'Internet, c'était le site qui primait.
Mais avec le Web 2.0 (2005), dominé par l'efficacité diabolique de Google, on est descendu jusqu'au contenu: je ne cherche plus le site, mais le contenu qui m'intéresse.
Le post, l'article est devenu le centre de la navigation sur le web.

Mais Twitter nous emmène plus loin: demain, ce sont les commentaires, la mise à jour, et les liens qui prendront le dessus.

2- Twitter = partage.

Avec le micro-blogging, la notion de "site" s'efface donc devant celle de "lien", de partage.

Pourquoi Twitter a-t-il été autant utilisé pour l'Iran ? Parce qu'il échappait plus facilement à la censure parce qu'il était partout. Contrairement aux apparences, Twitter n'est pas un site de contenus, c'est un process, un système.
On peut consulter et produire ses tweets sur Twitter, évidemment, mais aussi depuis des dizaines de plateformes, de sites, de widgets, d'applications différentes...

Cela va profondément modifier l'architecture et les process des médias dans les prochaines années.

Mais aussi ceux des moteurs de recherche.

3- Twitter= hashtag.

Le hashtag est un mot clef accompagné du signe "#" (#tag), que l'on place au début de son tweet afin de créer des fils de conversation (avec un moteur de recherche, on peut alors visionner tous les articles utilisant ce mot-clef) .

Ainsi, l'article s'efface-t-il au profit du "topic" (sujet): un process communautaire où l'info est mise à jour, commentée et partagée par une communauté, à l'intérieur du "topic".

4- Twitter= copier-coller.

Twitter est le temple de ce nouvel usage de l'info: le copier-coller. On appelle ça "re-twitter", ou "RT". L'internaute reproduit à l'identique un tweet écrit par un autre, dans le seul but de le partager et d'en discuter avec sa communauté.

Les vieux médias ont le copier-coller en horreur. Notre culture même nous invite à considérer la copie comme une pratique négative (il est interdit de copier au bac...).
(Et je ne parle pas d'Hadopi...)

Et pourtant... Toute la culture d'Internet se concentre dans ce crime de lèse-droits d'auteurs: je re-copie un contenu, non pas pour le voler mais pour le partager et en parler avec mes amis.

5- Twitter= info sociale.

Car Twitter n'est pas un média. On ne lit que les contenus de ses "amis", les personnes que l'on a choisi de suivre. Il n'y a plus de mainstream. Plus d'info descendante, plus d'info de masse. C'est de l'info partagée.

De l'info sociale, c'est à dire une info qui sert de support à une sociabilisation: elle ouvre une conversation, elle me fait rencontrer d'autres personnes, elle est plus pertinente parce que prescrite par un ami.

5- Twitter = reply.

C'est une fonction essentielle de Twitter, que l'on trouvait déjà sur YouTube. Sur Twitter, on peut créer un contenu en "réponse" à un autre contenu. Ce qui crée des chaines de contenus qui échappent complètement au process classique de hiérarchisation. C'est l'accélération de la conversation. Chaque contenu est une partie d'une conversation qui, elle même, est devenue l'écosystème dans lequel l'info se distribue.

6- Twitter = info non vérifiée.

Une fois encore, je risque de choquer. Mais Twitter, comme YouTube en son temps, valide l'idée d'une information brute, qui ne procède pas du travail d'un journaliste. Une info qui, non seulement circule entre les individus, mais échappe de plus en plus à la lourde logique du journaliste vu comme "médiateur" entre l'info et le lecteur.
Une info est-elle une info si elle n'a pas été vérifiée par un journaliste? Dave Winer, l'un des inventeurs du flux RSS, pense que oui...

7- Twitter = attitude active.

Je pense que nous ne sommes pas au bout de la révolution de l'info.
Nous allons passer d'une culture de l'info certifiée à une culture de l'info partagée. C'est à dire à une culture de la désintermédiation et de l'info multi-sources.

Y-a-t-il danger ? Oui, comme dans toute transition. Et la capacité des médias à s'adapter sera déterminante dans cette phase critique de libéralisation extrême.

Nous verrons ainsi l'émergence d'une culture de la méfiance, ou (pour être plus positif) de la vigilance accrue face à l'info. Qui me dit ça ? Et pourquoi me le dit-il ?

Nous assisterons à la constitution d'un lectorat de moins en moins passif face à l'information. Chaque lecteur deviendra part du média.

Je vais trop loin ?

(Illustration: Gawker.com, sur l'utilisation de Twitter par CNN)

11 commentaires:

Corentin-san a dit…

Je pense qu'il y aura plusieurs niveaux d'utilisateurs / lecteurs : les passifs, qui ne partageront pas ou vraiment peu, les actifs, qui liront et partageront les contenus, le créant à l'occasion et les acteurs qui le créeront ET le partageront en permanence.

waltercolor a dit…

Bon article, mais ça reste un point de vue de journaliste. La vraie différence avec Twitter, c'est que le journaliste n'est plus la seule personne à devoir vérifier une info.
Il manque aussi l'essentiel : Sur Twitter, c'est "What are you doing right now". On dit ce qui nous vient à l'esprit, sans cloisonnement entre le discours professionnel, la vie personnelle, etc... devant des auditeurs qu'on ne voit pas, ont une écoute bienveillante, et qui, la plupart du temps, ne disent rien.
Et là, on est au plus près de l'idée freudienne de la libre association des idées.
C'est l'inconscient qui arrive au coeur de la démocratie.

Anonyme a dit…

C'est un bon article. mais j'ai certaines de me doutes. L'efficacité de Twitter en Iran a été mesurée par le tweets des citoyens. Mais que si le gouvernement a décidé de l'utiliser pour la diffusion de la désinformation? Qui est là pour vérifier? Et est-il vraiment nécessaire de diffuser toutes les informations dans une société? je dis de mon expériences en Inde, où de garder certaines informations cachées est le meilleur moyen de maintenir la paix intact.

marsupilamima2 a dit…

juste pour rire voir sur mon blog stephen colbert et jeff goldblum, twitter, twitter

Unknown a dit…

très intéressant, je rajoute que twitter suffit à lui meme et tue les autres sites petit a petit

Martin Lessard a dit…

Excellent, comme d'habitude.

Je rajouterais ceci. Pourquoi cette 'révolution' (accélération est effectivement un meilleur terme) a lieu avec l'Iran? c'est qu'il y avait une 'attente' de la part de la communauté international _avant_ l'événement.

Tous les autres exemples que l'on donne de l'usage de la micro-messagerie en temps de crise survient avec des évènements non prévus (tremblement de terre en Chine, attentat à Mumbai).

Actuellement il y a deux autres "crises" twitterizées qui passent inaperçu : #honduras et #xinjiang

Je rajouterais, aussi, si vous le permettez:

Twitter = anglais

La communauté iranienne sait depuis longtemps que communiquer en farsi n'ouvre pas les portes du globe. Avoir 'twitter' en anglais a été un élément déclencheur.

#honduras est en espganol
#xinjiang est en chinois

On pourra reparler dans un autre contexte de la balkanisation mondiale en continents linguistiques

Anonyme a dit…

A propos de Twitter = info non vérifiée : un peu lapidaire mais il est vrai que l'instantanéité favorise la rumeur plutôt que le fait. Une petite note : les URL raccourcies sont aussi des pièges, puisque la plupart du temps il n'est pas possible quand on utilise un client comme Twhirl ou Seesmic Desktop de "lire" l'URL pointée.

Information sociale : je suis partagé, l'information reste descendante, il y a des sources et ceux qui en grande majorité écoutent et ne parlent pas. Et même, il y a les sources et ceux qui retwittent beaucoup sans produire par eux-même, de simples perroquets au pays des piafs. Twitter n'est pas plat, il y a des altitudes.

Hashtag : on peut dire simplement taxonomie / folksonomie. Aujourd'hui c'est celui-ci, mais il n'est pas certain que ce soit le seul moyen de remonter un fil. On peut très bien chercher les conversaions entre deux personnes, ou même juste un terme. Puisque Twitter c'est 140 caractères seulement, il est plus facile d'y trouver le bon contenu (alors que dans les billets de blogs de plus de 2 000 signes... on multiplie le risque de trouvailles inutiles).

Concernant l'Iran : certes, sans journalistes on a eu un peu d'information. Mais c'est aussi parce que l'Iran est un pays fermé en partie seulement. Il y a accès à la technologie. On n'a pas d'informations de Corée du Nord, par exemple...

A propos de la graphie de Twitter, ire cet excellent billet d'Affordance sur la dimension hiératique de ces nouveaux hiéroglyphes : http://bit.ly/wZ8tk

Rastofire a dit…

Twitter = désinvestissement ?
Twitter m'a mis dans une position difficile : fallait il, oui ou non, que je fasse verdir mon avatar ? Si je le fais, est ce que cela est d'une utilité quelconque ? Et plus difficile encore : si je le fais, n'aurais je pas tendance à m'en tenir quitte et à m'éviter des manifestations dans l'espace géographique qui sont autrement plus fatiguantes physiquement.

Qu'est ce que manifester en ligne ? Ce que nous faisons (les avatars noirs pour HADOPI; verts pour #iranelection) est-ce quelque chose d'efficace ? Voila des questions auxquells j'aimerai avoir des débuts de réponses

Il y a aussi la question du choix. Pourquoi certaines crises apparaissent plus que d'autres ? Est ce la preuve que le fonctionnemen ubiquitaire de l'Internet est quelque chose d'idéal (?) Que finalement, nous nous comportons comme les médias classiques ? Mais qu'est ce qui organise ces choix ? J'aurais tendance a penser que les foules numériques sont bien plus facilement manipulables que les opinions. Il suffit de se rappeller que sur Twitter une infime partie détient l'ensemble des followers... Ce qui semblait être une promesse de démocratie - je peux parler de l'Internet - pourrait bien être son pire poison !

@muschroom : le what are you doing now n'est pas responsable du décloisemment de la vie privée et professionnelle. Celui date des années 80 quand on a commencé a dire que l'on pouvait s'épanouir au travail. Le travail devenait un lieu de plaisir; ce n'était plus une contrainte mais quelque chose de "fun". Il faut aussi prendre en compte que ce que nous considérons comme "privé" est une construction récente : fin XIXe. Certains éléments sont même très récents : la chambre individuelle est la règle en France depuis... les années 50 !

Josée a dit…

Peu importe ce qu'on pense de Twitter, au dernier point de votre billet vous relevez une constatation capitale: l'émergence d'une nouvelle culture de l'information. Les médias doivent tenir compte d'un lectorat beaucoup plus actif, plus exigeant et plus autonome (il peut à présent bâtir son propre écosystème informationnel). Les journalistes, eux, ne peuvent ignorer que les lecteurs peuvent jouer un rôle plus actif dans cet écosystème.

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