dimanche 18 novembre 2007

La participation populaire est-elle nulle?

Question provoc. Mais qui me vient d'une réflexion entendue hier, aux journées nethiques. J'y étais invité pour parler, avec d'autres confrères et blogueurs, de la déontologie dans le nouveau paysage de l'info sur le Net.

La réflexion, donc. Celle d'un intervenant (par ailleurs excellent blogueur). Que je résume :

Quand on lit les commentaires sur les articles, finalement, on se rend compte que la plupart d'entre eux sont inintéressants. Il y a d'ailleurs aujourd'hui des sites et des blogs qui s'interrogent sur un éventuel retour aux posts sans commentaires (ce ne sont pas ses propos exacts, je n'ai pas eu le temps de prendre de notes. Et peu importe leur auteur: je traduis une idée souvent entendue).

Sous-entendu :
- On se réveillerait avec la gueule de bois (mais un peu rassuré quand même). La participation aurait permis l'émergence de quelques excellents blogueurs, mais tout le reste serait d'un niveau très médiocre.
- Les médias auraient suivi, par crainte d'être dépassés (ou par intérêt financier), le "culte de l'amateur", avant de réaliser que, dans leur majorité, ces amateurs, ces anonymes qui ont trouvé sur le Net un accélérateur de popularité, seraient aussi inintéressants (d'un point de vue intellectuel) qu'on le pensait. Ouf!

D'autres lui répondront que, non, certains médias parviennent à canaliser la participation et recueillent des contenus intelligents... et de citer la qualité des commentaires du monde.fr (c'est vrai) ou ceux de la page "Comment is free" du Guardian. Intelligent, certes (ces gens là existent) mais pas très grand public!

Venant d'un blogueur influent, cette réflexion me ramène d'ailleurs à cette vieille impression : le phénomène des blogs, loin d'avoir permis l'émergence d'une expression populaire, a surtout apporté une bouffée d'oxygène à l'élite. Elle en avait besoin, c'est vrai. Et il y a de nombreux blogs très intelligents que je suis avec intérêt.

Mais bon, tout ça, c'est toujours le problème d'une élite. Pas des gens comme vous et moi (non, non, je ne fais pas partie de l'élite... on ne m'invite nulle part et, en bon ex-provincial, je ne comprends toujours rien aux codes de cet univers passionnant).
Ce n'est pas non plus le problème des responsables de médias qui cherchent à produire du contenu qui soit le plus proche du quotidien de leurs lecteurs.

Alors... cette participation populaire? Est-elle aussi "nulle" qu'on le dit?

Il n'y a qu'à écouter les radios locales ou participatives (et populaires) comme RMC Infos pour s'en rendre compte. Quand elle est animée, canalisée, mise en valeur, accompagnée (dans ce cas précis, c'est l'action conjuguée du journaliste animateur et du "standard" qui prépare les appels), cette participation de l'audience apporte une vraie valeur ajoutée. On est effectivement plus dans le témoignage que dans l'analyse. Les opinions ont tendance à s'annuler sur un site Internet, les témoignages, eux, nous interpellent toujours. Ils constituent bien souvent la matière première de l'info.

Quand je discute avec mes proches, ma famille, ou des gens rencontrés au hasard d'un café, je constate que, même (pour prendre un cas extrême) chez l'ouvrier bourru un peu extrême droite, il y a une souffrance à exprimer, un regard sur le quotidien qui peut toucher les autres, les interpeller, tout en apportant une image concrète, brute, du réel. C'est toute la valeur du partage d'expériences.

Ne leur demandez pas (à mes proches), par contre, de s'exprimer à travers les outils du web. D'abord, parce que ceux-ci sont compliqués. Mais aussi parce que ce mode d'expression (un fil de commentaires écrits) n'est pas forcément celui avec lequel ils sont le plus à l'aise.

Il y aura donc toujours besoin d'un travail d'animation, d'accompagnement et de mise en valeur de cette participation. C'est sans doute un nouveau métier pour les journalistes de demain (mais la radio a déjà bien défriché le terrain).

La participation, ce n'est pas forcément le "journalisme citoyen", les anonymes devenus journalistes. Mais plutôt une explosion des sources et des modes d'information pour rendre l'info plus vivante, plus proche de la réalité et du quotidien de l'audience.

Quatre pistes :

1- Ne pas se contenter de laisser ouvert le média aux commentaires et aux contributions. Il faut animer, former, éditer. Un commentaire maladroit et mal écrit peut cacher un témoignage fort. Il ne faut pas hésiter à contacter leurs auteurs.

2- La pratique du web est encore réservée à une élite : envoyer une photo avec son mobile, monter un film (un vrai, pas une copie d'une émission de télévision) et le mettre sur Youtube, créer son blog et le rendre lisible, c'est encore compliqué. Un wiki, c'est extrêmement complexe. Twitter, c'es branché, mais c'est incompréhensible. Il faut créer des sites simples. Et faciliter la participation.

3- Le témoignage ne vient pas tout seul. On témoigne : si d'autres témoignent, si le média est puissant et/ou si je me suis approprié la plateforme, si on est écouté par le plus grand nombre ou par un spécialiste (voire une célébrité), si c'est utile (on ne témoigne pas parce qu'un média nous demande de témoigner ou d'envoyer nos photos, les gens ne sont pas idiots...).

4- Il y a des tas de contenus amateurs potentiellement passionnants sur le Net (ici par exemple), mais pas toujours bien construits, compliqués à trouver, à lire ou à replacer dans leur contexte. Certains contenus passent inaperçus alors que, replacés dans un contexte d'actu, peuvent apporter une vraie valeur informative. Quel est le rôle d'un site média dans cet environnement ?

(Il y aussi quelques bons exemples de participation spontanée à l'actu...)

(Illustration : "Le culte de l'amateur", d'Andrew Keen)

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Benoît, merci pour ton intervention à la journée néthique, c’était intéressant d’en savoir plus sur lepost.fr. Par rapport à ta note et à l’avis que tu cites, il me semble qu’il y a une certaine forme d’hypocrisie autour des commentaires. Pour néthique, nous avons eu l’occasion de discuter avec des blogueurs ou certains éditeurs dont celui d’une plateforme participative citoyenne bien connue qui modère très peu. En fait, les commentaires sont parfois utilisés pour faire monter l’audience d’un blog ou d’un site et les combats (voire les trolls à demeure) sont «tolérés», car, cela «anime» le site. Certains n’animent pas du tout leur espace de conversation. Or, nous savons tous qu’un bon forum, blog ou site participatif est constructif s'il est animé, les modo (modérateurs) de forum le savent bien. Et c’est la raison pour laquelle on applique la nétiquette ou la néthique si on veut de la qualité, à moins que...

Francis Pisani évoquait l’idée que le journaliste deviendrait un « médiateur de conversation » (voir une note instructive publiée chez Emmanuel Parody qui rapporte qu’un étudiant journaliste disait se sentir rabaissé à cette idée). Il y a une forme de pédagogie à développer pour inciter ceux qui le souhaitent à s’exprimer par écrit. L’expression publique et écrite est difficile. On peut avoir quelque chose à dire et ne pas savoir comment le faire. C’est un apprentissage qui nécessite un accompagnement. J’ai souvenir d’en avoir discuté dans un podcast avec Thierry Vedel, notamment sur une forme «d’élitisme» des blogueurs. Il faut avoir le temps et savoir s’exprimer pour le faire. Cela écarte donc beaucoup de personnes (sans même parler du fossé numérique).

Il serait regrettable d’accepter les commentaires libres pour faire monter son audience et de les refuser une fois que l’audience ou la notoriété du site seraient acquises. Cependant, dans le cas de Boing Boing ou de Loic Le Meur, qui sont des blogs énormément lus, le fait de ne pas avoir les moyens humains de modérer les commentaires, entraîne parfois une obligation de "restriction" par défaut. Il faut respecter l’avis de tous, accepter les différences, raison pour lesquelles, encore une fois, je crois qu’une néthique est un bon moyen d’y parvenir (prévention et pédagogie). J’espère ne pas avoir été trop longue... pour finir, je suis tout à fait d'accord avec tes "quatre pistes".

Amaury de Buchet a dit…

Bonjour Benoit,
J'assistais hier aussi à la journée Néthique et ai été un peu surpris, non qu'on puisse trouver nuls le contenu de commentaires (chacun son opinion/goût), mais qu'on souhaite les faire disparaitre. Il existe de nombreuses façons de promouvoir les meilleurs commentaires (cf les "bonnes pratiques" partagées par L. Mauriac et C. Revelli lors de la dernière séance du Social Media Club, CR dispo sur Internet), le jugement final reposant autant sur celui de l'auteur de l'article que sur celui de chaque lecteur : la démocratie encore et toujours :) Une question pour toi et pour eux : combien de commentateurs (inscrits) avez-vous ? Parmi ceux-ci j'imagine que seuls une très petite poignée sont responsables de la plupart des commentaires ...
En ce qui concerne le développement d'outils simples permettant la participation d'un plus grand nombre, je constate que c'est de plus en plus le cas de Facebook. Je vois beaucoup de personnes s'y inscrire qui n'étaient sur aucun réseau social auparavant (une vérification/sondage rapide doit être facile à faire en recherchant chacun sur les 3-4 principaux réseaux ou sur Google). Le coté addictif et ludique de Facebook, son caractère automatique (avec ses risques :(), et la richesse des applications proposées contribuera sans doute à encourager de plus en plus de monde à "prendre la parole". En effet, chaque action sur Facebook faisant l'objet d'une notification dans le feed ... c'est déjà quelque part une prise de parole. Ce serait intéressant d'observer dans quelle mesure les auteurs en sont conscients et à quel point cela modifie leur comportement...

jeanRem a dit…

Je trouve aussi qu'il faut faire la part des choses : il y a de tout dans les comments, du plus lumineux au plus nul, du drôle au plus agressif, du plus informé au plus naïf. Comme IRL. Cependant, j'avoue avoir réduit ma lecture d'Agoravox par exemple, à cause de l'info-pollution. Je n'ai pas le temps de chercher l'aiguille du comment pertinent dans la meule de foin...

C'est là où la néthique peut apporter, il me semble, une base de réflexion, tant dans le tri nécessaire des comments virulents que dans celui de la sensibilisation en amont des jeunes blogueurs. Dans ce domaine un gramme de prévention vaut une tonne de traitement.

D'autant que les expériences de la "participation populaire" ou de "l'intelligence collective", sont toutes neuves. Il faut laisser du temps à l'appropriation des outils qui sont, comme tu dis, horriblement non-pédagogiques et continuer la sensibilisation et la réflexion, dans les blogs et lors de débats participatifs. Reste à trouver une bonne formule d'auto-organisation pour faire une écologie de l'information et aussi sortir de la tendance marketo-complaisante (oui à l'analyse de Natacha), de laisser aller le "boxon" des comment et jouer du spam-tag pour faire monter le rank.

Corrélativement, j'ai relevé une question intéressante posée par un des internautes qui a suivi les débats de samedi sur le blog du Carrefour Numérique : "Face au bombardement informationnel sur la Toile, s'il tend à avoir de plus en plus une mission de tri et de sélection de l’information, le journaliste ne devient-il pas un modérateur/médiateur de conversation ? (idée évoquée par Francis Pisani, leçon inaugurale des étudiants du CFJ)"

à suivre, pour cet intéressant débat...

Cédric Morel a dit…

Contribution au débat : analyse des modes de participation sur le Web à trouver sur le site http://webdoctors-iscpa.blogspot.com

Cordialement

Anonyme a dit…

Effectivement, cette remarque de Tristan m'a interpelé aussi. Elle est juste, je la partage, surtout elle est plus courageuse que la bienpensante idée reçu que le bonheur est dans l'ugc.

On essaie de se croiser un de ces jours ?! J'ai du courir après la conf pour sauter dans un TGV (vide et gratuit).

Anonyme a dit…

Pas facile de pondre des synthèses dynamiques sur la base de l'analyse des commentaires. Ca prend surtout du temps. Le jeu en vaut pourtant la chandelle sur certains fils.

Quid de la signalétique associée aux commentaires. Les étoiles sont bien jolies mais un poil réductrice tt de même. Il serait intéressant qu'une signalétique pointe les commentaires repris par les journalistes dans les papiers, ceux qui ont inspiré des sujets, etc.

Anonyme a dit…

Je prends le débat en marche, 5 mois après le post de cette réflexion sur la "participation populaire" (le pendant d'une participation clanique ou corporatiste ?). Notez que cette "intemporalité" des commentaires (le fait de poursuivre le débat) est une richesse : on n'est pas uniquement dans une perspective statique, d'archivage poussiéreux mais dans une mémoire dynamique. Et réactualisable : ce post figurera sûrement dans "Les derniers commentaires" et peut relancer le débat pour un article daté (mais d'actualité ;-).

Je tenais simplement faire part de mon expérience d'animateur d'un webzine d'info locale ayant une approche coopérative (MontBouge - http://www.montbouge.info). Notez que nous sommes à contre courant de la blogosphère prônant l'instantanéité de l'info : notre publication est mensuelle (exceptionnellement hebdomadaire), nous sommes un collectif de rédacteurs (non issus du journalisme ou de métiers de com') et essayons d'avoir une diversité éditoriale (art, politique locale, culture, éducation, architecture...).

Les élections municipales ont cristallisé nos forums (modérés a posteriori) : un boom pour nous (une trentaine par jour). Le plus souvent accaparé par les adorateurs d'un camp à l'autre. Nous accusant d'avoir rallier un camp (celui de la gauche locale). Logique pour les détracteurs. Est-ce une richesse éditoriale ? J'en doute. Alors que l'objet même de notre publication est de susciter le débat autour d'un texte fédérateur (l'article proposé en clair), on a dû subir des propose limites injurieux mais surtout d'une faible argumentation (on tombe vite dans les poncifs).
Par contre, la richesse me semble ailleurs : l'appropriation que chacun fait de notre webzine. Y compris en le critiquant. Une résonance de crédibilité forgée au fil des ans (on va fêter nos 5 ans de vie électronique le 18 juin prochain).

La question de responsabilité éditoriale (au sens juridique) que nous nous posons, est la modalité de publication : faut-il ou non s'enregistrer pour être commentateurs

Dernier point, nous ne sommes pas journalistes (c'est un métier), nous sommes habitants d'un territoire, citoyens actifs (la plupart de nous militons dans une association) et auteur – rédacteur sur notre quotidien à travers MontBouge.info (donc l'Internet). A ce titre, nous sommes des alterlocaliers ou alterlocalistes (néologisme à stabiliser ;-). Localiers non professionnels, altruiste pour les échanges que nous essayons de favoriser et l'appropriation citoyenne des TIC.
Pour en savoir plus : Place aux alterlocalistes - http://montbouge.info/spip.php?article528

Et ma participation à l'atelier des médias (RFI – Philippe Couvé) sur les médias participatifs.
http://atelier.ning.com/profiles/blog/show?id=1189413:BlogPost:19145