dimanche 25 janvier 2009

Presse écrite: et si l'avenir c'était le papier ?


Et je ne dis pas ça parce que Nicolas Sarkozy a décidé vendredi dernier, à l'issue des Etats-Généraux de la Presse Ecrite, de verser plusieurs centaines de millions d'euros (en aides et en pub) aux journaux (600 millions, calcule Frédéric Filloux). 

Ni parce qu'il a annoncé qu'il allait abonner tous les jeunes de 18 ans gratuitement à un quotidien (ce qui devrait coûter plus de 117 millions d'euros par an...).

Ni parce qu'il veut favoriser l'assouplissement du réseau de distribution, donner des aides aux diffuseurs, et supprimer les charges sur le portage (ce qui est une bonne chose).

Ni parce qu'il veut aider la PQR et la PQN à faire baisser de 30 à 40% les coûts d'impression en coupant dans les sureffectifs et en négociant avec le tout puissant syndicat du livre un "nouveau contrat social" (je leur souhaite bon courage).

Avec tous ces cadeaux, il sauve de la faillite un certain nombre de quotidiens (notamment nationaux, dont certains grands titres, quand ils ne se font pas racheter par les Russes, étaient en train de se demander comment ils allaient payer leurs journalistes en 2009... du jamais vu!). 
Il serait de mauvais goût de s'en plaindre, même si , pour avoir participé aux Etats-Généraux, je ne pense pas que la majorité des patrons y ayant participé ait vraiment pris la mesure de la révolution qui s'impose. 

Même si (au-delà de s'étonner de cette curieuse manière qu'a la France de régler la crise de l'information) le citoyen est en droit de s'interroger sur l'indépendance et la crédibilité d'une presse subventionnée par les pouvoirs publics parce qu'elle ne parvient pas à se remettre en cause, se condamnant ainsi à un pragmatisme de courte vue...

Alors, pourquoi titrer: "et si l'avenir c'était le papier ?"

D'abord parce que je fais deux constats: 

- Ce n'est pas le papier qui est mort, mais l'usage de l'information qui a changé. Au regard de cette révolution dans les usages, c'est le modèle industriel de l'info papier qui est mort. Ce n'est pas la même chose. On lit toujours sur le papier, mais moins souvent et différemment... Or, les coûts d'impression sont trop élevés et le mode de production est inadapté aux usages d'aujourd'hui.

- Internet est en pleine expansion mais aussi en pleine crise, parce que les acteurs de la publicité en France n'ont pas encore opéré leur révolution, et que le marché de la  pub traditionnelle sur les sites d'info est en train de s'effondrer.Alors que le modèle de la pub sur le papier (surtout sur les publications gratuitesà) est encore loin d'être mort.

Ensuite, parce que la crise de la presse écrite me fait penser à celle de  la photographie. A quoi a-t-on assisté? 

A un effondrement des entreprises qui vivaient du modèle de la photo argentique en fabriquant des pellicules ou en développant un business autour du développement papier de ces mêmes pellicules (Ilford, Agfa, Kodak, Polaroid)... Celles qui n'ont pas su s'adapter sont mortes.
Aujourd'hui, que se passe-t-il?
Il n'y a plus de pellicule photo. Mais on prend plus de photos qu'avant. Et, surtout, on les imprime toujours! Très souvent! Et grâce à Internet, on les imprime de plus en plus facilement, et ça coûte de moins en moins cher. 
Ce que je veux dire par là c'est que, avec l'arrivée du numérique, le modèle industriel de l'industrie photo était mort,  ce qui ne voulait pas dire que le papier était mort. Il fallait renverser le modèle.

Voici quatre pistes (en avez-vous d'autres?):

1- Le reverse publishing: j'en ai parlé sur ce blog et dans d'autres publications. On renverse le modèle. L'effort principal des anciennes publications quotidiennes doit être porté sur la publication d'infos online. L'info doit être accessible partout, en 24/7, sur le Net et les mobiles. Elle doit s'écrire en réseau, ouvrir des conversations, renforcer des communautés. L'édition papier est un complément. Elle peut être gratuite, payante, hebdomadaire... En région, distribuer une publication gratuite hebdo permet de financer le coût de fonctionnement d'un site d'infos locales. C'est l'exemple de Grenews à Grenoble. Je donne plusieurs exemples dans ce post consacré au Christian Science Monitor, premier quotidien national lancé dans le reverse publishing.

2- Puisque l'on renverse le moteur, il faut changer le modèle industriel de l'impression. 
Ce dont on a besoin, c'est de rotatives légères, pas chères, numériques, qui permettent de créer des publications à la demande, et personnalisées. Le print est toujours attractif, mais il est un complément, il doit coûter moins cher et être plus moderne et plus souple. La diffusion est moins massive, mais elle est rentable. A partir du site d'infos, je peux proposer par exemple, d'imprimer un journal unique pour chaque lecteur. Il existe des outils permettant de le faire.

3- Il faut développer et moderniser le portage, à domicile, au bureau, à toute heure.

4- Il faut investir dans des petits produits print intelligents et adaptés aux usages. C'est l'exemple  du magazine XXI: face aux flux surabondant que représente Internet, le magazine se construit dans une logique de rééquilibrage: prendre le temps du récit. Vendu en librairie sur 1000 points de vente seulement, avec des articles de 30 feuillets minimum, et sans interactivité. Le mag est vendu à 35.000 exemplaires et est rentable. 
On peut aussi imaginer ce modèle (qui joue la qualité, la rareté, et s'adapte aux usages) en complément de petits médias d'info.


14 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant, ce parallèle entre presse print et photographie !

Anonyme a dit…

Excellent papier. Et excellentes pistes. A part peut-être la quatrième. A quel prix un mag tiré (et surtout vendu) à 35 000 peut-il être rentable, surtout avec les conditions éditoriales que tu poses.

Je crois beaucoup plus dans le reverse publishing. Ça, c'est l'avenir.

Anonyme a dit…

oui, c'est (peut-être bien) un livre, le journal papier de demain, conçu "à la demande", imprimé à la maison ou livré en peer to peer... et seulement quand on en a le temps et le souhait...

oui, cette presse là est tentante.

un delicious-like ou netvibes++ pour sélectionner les contenus à lire (plus tard) et un canard dédié à chacun.

Un aaalien-paper en fait :-)

Rosselin a dit…

Benoît, comment as-tu pu oublier Vendredi (www.vendredi.info) dans ta démonstration ? Surtout avec un titre pareil. Vendredi, un nouvel hebdo papier réalisé entièrement à partir de publications du net ?
Même les américains s'y mettent avec the printed blog (www.theprintedblog.com), un quotidien gratuit réalisé sur le même modèle (on est copiés, comme Ségolène !).
Le net ne vas pas laisser à la presse papier que le créneau des revues ou des trimestriels. Tout de même...

Bien sûr que l'avenir est aussi au papier :
- un modèle économique connu et éprouvé (éprouvant aussi).
- une expérience de lecture unique et irremplaçable.
- un média pratique et agréable pour consommer de l'écrit.
- un foisonnement d'informations de plus en plus ingérable sur le net pour les lecteurs, qui favorise le développement de médias agrégatifs, qu'ils soient électronique ou papier
- une information nouvelle produite par des milliers de nouvelles sources. Une nouvelle info qui va enrichir les journaux papier, leur donner une énergie éditoriale nouvelle et leur apporter de nouveaux lecteurs, y compris des natifs numériques.

Quant aux subventions directes, elles sont visiblement réservées aux quotidiens nationaux et régionaux. Pas aux hebdos ou aux nouveaux journaux. Hélas...

JR

Anonyme a dit…

Concernant la piste n°2, pour avoir déjà travaillé sur ce genre de supports dans le secteur de la communication, je pense que l'impression « à la demande » d'exemplaires personnalisés reviendrait très cher au numéro, même en impression numérique, et même avec moitié moins de pages par numéro que la version « full » actuellement disponible en kiosque. Si c'est pour servir de complément imprimé à une version web qui serait centrale, autant miser sur un gratuit à fort tirage (cf. « votre » piste n°1) ou sur des impressions d'articles précis depuis nos imprimantes perso, non ?

Concernant la piste n°3, vous n'êtes pas le premier, ni le dernier, à parler d'une modernisation et d'une meilleure mobilité du portage mais j'ai toujours autant de mal à appréhender la démocratisation de la chose d'un point de vue économique, pour ce qui concerne l'équipement nécessaire. Sauf à tous posséder dans les 3-4 prochaines années des appareils de types smartphones ou netbooks avec abonnement internet mobile à 50 € par mois et par personne (2 personnes abonnées dans une famille = 100 € par mois + le prix des appareils à changer tous les 3- 4 ans -> compter une moyenne de 1500 € par an et par foyer pour se connecter ou l'on veut), je pense qu'un paquet de rédactions de quotidiens nationaux auront eu le temps de couler avant que ces connexions nomades ne se soit démocratisées au point de leur apporter un réel plus en terme de connexions et donc de revenus supplémentaires significatifs. Quel que soit l'évolution des tarifs dans le futur, cela imposera toujours une machine et un abonnement par personne. L'information « gratuite », accessibles depuis partout sur internet est encore très chère, et à mon avis, cela le restera pendant des années encore, enfin je pense.

Je ne suis pas un expert mais ce sont les réactions qui me viennent à l'esprit en lisant ce billet.

Anonyme a dit…

Merci pour cette excellente synthèse Benoît.
Une question au passage : pourquoi ne pas continuer la comparaison avec l'industrie photo en imaginant qu'une partie des impressions de journaux "à la demande" se fera sur l'imprimante du lecteur directement et non chez l'éditeur ?
Une belle opportunité pour les vendeurs d'imprimantes, de papier et d'encre ...

Que sont-ils devenus? a dit…

Merci pour cette synthèse. Pour répondre à Krstv, à quel prix est rentable le mag de qualité à 35000 exemplaires? 15 euros, le prix de vente de XXI. Et oui, c'est très cher. Mais c'est un très beau produit, de luxe. C'est effectivement un bon modèle, mais pour des titres de niche qui cible des CSP++.
Pour l'info à grande échelle le reverse publishing semble être la bonne solution. Sauf qu'il faudra au moins 20 ans pour y arriver en France, vu la lourdeur des structures de la PQ...

Anonyme a dit…

Contrairement à krstv, je pense que la piste XXI est la plus intéressante pour l'avenir pour les journaux.

Les quotidiens doivent se détacher d'un simple compte-rendu de l'actualité, qu'on retrouve déjà sur Internet en temps réel si on le souhaite. Pour trouver de nouveaux lecteurs, la presse papier devrait aller plus dans l'analyse, les enquêtes travaillées, où on laisse de la place à une information construite, dans le style de ce que XXI propose.

En tant qu'étudiant, j'ai la chance de disposer gratuitement dans mon université des principaux titres de la presse quotidienne nationale. Si je prends l'exemple du Monde, il est totalement impossible que j'envisage à l'heure actuelle de l'acheter tous les jours, je n'y trouverais tout simplement pas mon compte. Ce qui m'intéresse le plus dans le quotidien, ce sont les pages Débats, le Portrait ainsi que les Focus qui sont régulièrement réalisées en fin de journal. C'est ce type de contenus que les quotidiens devraient aujourd'hui développer pour affirmer leur différence par rapport au web, et reconquérir ainsi un lectorat.

Bien entendu, l'impression et la diffusion doivent également être repensées...

Anonyme a dit…

Pour enrichir la discussion, trois pistes:

-XXI prouve que des lecteurs sont prêts à payer pour de l'information "pure et dure", sans people, ni buzz. Et ça c'est une petite rupture par rapport aux idées toutes faites.
35.000 ex de moyenne à 15€, c'est le CA d'un mensuel de 5€ vendu à plus de 100.000 ex. Ils sont peu nombreux à afficher ces chiffres, surtout sans 1€ de pub dépensé en communication et avec seulement 1.000 points de vente.

-Les lecteurs de XXI ne sont pas aussi CSP+ qu'on peut l'imaginer. Ce sont simplement des lecteurs qui aiment lire et prendre le temps pour cela.
Donc beaucoup d'étudiants et de lycéens (prés d'un tiers des ventes), des retraités, des femmes (70% des achats de romans sont réalisés par des femmes).
Ce sont des gens simples souvent, si l'on en juge par les courriers reçus (infirmières de nuit, pépiniéristes, instituteurs). La répartition des ventes, avec de bons scores dans les petites villes de province confirme ce sentiment.

-le visuel est un élément important du succès de XXI. L'Express de 2009 est visuellement proche de celui de 1979. Or les lecteurs sont élevés par la presse pour enfant, la BD, la 3D des jeux vidéos. L'investissement dans le visuel est essentiel, c'est l'atout N°1 du papier, d'autant plus que le web est beaucoup plus lourd et contraignant en la matière.

En somme les usages de lecture sur Internet et sur le papier vont profondément évoluer les uns ET les autres. L'idée de pousser au paroxysme ce que l'on sait faire et de laisser le reste aux autres est valable pour les sites comme pour les magazines.

L'époque est passionnante par la violence des remises en cause et la multiplication des pistes. Mais à trop parler de projets économiques et technologiques, de concepts et autres business plan, on en oublie les auteurs. Leur qualité, leur style, leur regard, leur énergie. C'est à partir d'eux qu'il faut construire. Ce moteur là vaut tous les modèles.

XXI n'est évidemment pas "la" réponse, il y en a cent ou mille autre. Mais son succès invite à faire plus de création et moins de low cost, plus de commerce et moins de marketing, plus de journalisme et moins et communication. Rééquilibrons la balance!

Anonyme a dit…

Quid du "customized newspaper" (OJR: http://www.ojr.org/ojr/people/fulton/200901/1628/)

Anonyme a dit…

Les propositions 1 et 4 me paraissent très prometteuses ! Le cas de Politis sera également intéressant à suivre. Avec XXI on a deux exemples de lignes éditoriales tant sur le fond que la forme qui se démarquent du paysage français.
Les points 2 et 3 me semblent en revanche anecdotiques ou à côté de la plaque. Certains commentaires ont déjà abondé dans ce sens et je suis assez d'accord. L'important serait déjà de faire baisser les coûts de production et de distribution !

Benoit Raphael a dit…

@ Emmanuel Bruant: Le point 2 est une piste à explorer et à débattre, pas un projet.
Qui aurait imaginé il y a quelques années que l'on pourrait fabriquer de véritables livres à partir de ses photos personnelles à des prix extrêmement bas sur FlickR, par exemple?
Le projet cité par Pascal dans les commentaires est intéressant. Lire les détails de l'expérience ici: https://personalnews.syntops.de/index.php?id=10&no_cache=1&L=5

@ Jacques Rosselin: je n'ai pas parlé de Vendredi parce que je n'ai pas de chiffres... :)

Anonyme a dit…

Dans un univers plus spécialisé et avec des « plumes » qui marient science et journalisme, le modeste succès de notre revue L'Alpe (15 euros également) confirme, depuis dix ans maintenant, les commentaires de Laurent Beccaria (notamment sur l'iconographie). Commentaires auxquels j'ajouterai le nécessaire travail sur la complémentarité papier-web via la publication de liens commentés (voir notre cybercolporteur).

D'autres exemples de revues de ce type, dont certaines très anciennes comme Le Chasse-Marée, dans ce billet d'humeur déjà ancien :
http://www.lalpe.com/2007/02/une-presse-de-resistance

Pascal Kober

Anonyme a dit…

Je pense que la notion d'objet est également très importante dans le succès de certains mags. Des objets certes plus chers, mais que l'on conserve précieusement, que l'on archive, dont l'on prend soin, que l'on ne jette pas à la poubelle dès le lendemain, contrairement à la plupart des journaux. Des dos carrés ; du papier de qualité ; des articles et enquêtes de fond qui vieillissent moins vite et que l'on peut relire avec plaisir des mois plus tards ; et bien sûr, une bonne qualité visuelle (maquette + images). Par exemple, pour prendre des exemples bien popus, qui aurait l'idée de ne plus acheter un Géo ou un National Géographic pour ne lire que leurs versions Web ? Ça n'aurait aucun sens car on perdrait cette notion d'objet qui fait une grande partie du succès de ces titres, qui fait que les addicts sont toujours prêts à payer pour voir et aussi, pour avoir. Notons que cela n'empêche pas ces magazines d'avoir des version web complémentaires qui ont aussi leur petit succès.

De mon point de vue, tout ce qui est vendu sur papier en format et en contenu « jetable » est appelé à être concurrencé par le net (pour les gratuits, c'est autre chose). À l'inverse, je crois que cette notion d'objet y est pour beaucoup dans le succès d'un XXI, même à un prix élevé (bien entendu, cela demande un rythme de publication adapté).