lundi 20 avril 2009

Que (ou qui) peut-on faire payer pour sauver la presse écrite sur le web ?

La crise aurait-elle sonné le glas du gratuit ?
Après la révolution du web 2.0 qui, faute d'avoir apporté un modèle économique, s'en est allée en bouleversant les usages, la crise économique achève de semer un vent de panique dans les médias.

1- Aux US, les journaux mettent la clef sous la porte, tandis qu'en France la PQN n'est pas loin du dépôt de bilan généralisé (aujourd'hui c'est à celui qui tiendra le plus longtemps, jusqu'à ce que le concurrent s'effondre...). Rien à faire: on peut réduire les coûts, mais fabriquer et distribuer un journal coûtera toujours trop cher face à l'érosion chronique de la diffusion.

Et la pub ?
2- La pub s'effondre partout! Même sur Internet où l'on prévoit une baisse de 5% en 2009 aux USA. Du jamais vu.

3- Pire: le marché du display (la pub sur bannières), dominant chez les médias, est en crise. Inspiré du modèle du papier, qui fait reposer ses tarifs sur la rareté des emplacements, le display web ne peut que marquer contre son propre camp: sur le web, pas de rareté, mais des millions de pages. D'où l'effondrement des tarifs...

Face à cet ouragan, qui pourrait pousser les médias à être créatifs, à chercher à faire "le pas de côté" au lieu de courir après des dollars en pénurie, certains ressortent déjà les vieux démons.

- Et si on faisait payer nos contenus ?

Le débat n'est pas nouveau, mais il s'était essoufflé, tranché par les faits...
Il est revenu petit à petit sur la table. Sans doute avec cette déclaration du directeur du NY Times laissant entendre qu'il y avait "une discussion animée et très sérieuse au sein du Times sur la manière d'obliger le consommateur à payer pour ce que nous produisons", après avoir abandonné Time Select en 2007, faute de rentabilité.

On apprend même que les patrons des grands journaux américains se seraient rencontrés en secret au mois d'avril dernier, afin d'unir leurs forces pour: 1) Faire payer leurs contenus. 2) Faire payer Google qui distribue leurs contenus. 3) Comment reprendre le contrôle des petites annonces, trustées par le gratuit Craiglist... Non, non, nous ne sommes pas en 2006!

On semble presque oublier que les expériences dont on parle ont déjà été tentées par les médias, sans succès. J'avais dressé sur ce blog un état des lieux assez précis sur la question... en novembre 2006.
(On pourrait y ajouter le cas de Médiapart qui, après un an d'existence, en est à 14.000 abonnés à 9$/ mois, et espère atteindre les 40.000 d'ici 2011 pour atteindre le point zéro. Pas simple.)

Alors, qu'est-ce qui a changé depuis 2007 ? Le public serait-il plus mûr ? Y-a-t-il eu des études à ce sujet ? De nouveaux arguments ?
Non. Nous en sommes pour l'instant encore au stade de l'incantatoire: la pub (telle que nous la pratiquons) ne suffit plus, les contenus de la presse (tels que nous les produisons) coûtent cher, il faut faire les faire payer. Hadopi style...

Jeff Jarvis, qui ne croit pas au modèle payant actuel, lance sur son blog une réflexion pour recueillir des données et se faire enfin une idée sur le nouveau buzz du moment (traduction en français sur Rue89). Parmi elles, les calculs rapportés par Martin Langeveld (pour qui ça ne "colle pas") et la feuille excel multi-scénarii proposée par Jeff Mignon (pour qui faire payer les contenus sur le web ne permettra pas de couvrir tous les frais d'une rédaction) (remarquez, la pub non plus...).

Alors, où sont les solutions ? Qui a raison ?

Et si on prenait le modèle à l'envers ?
Posons un scénario à la Jules Vernes: imaginons le futur... imaginons que tous les journaux du monde entier se mettent d'accord pour mettre tous leurs contenus derrière un mur payant. Dehors Google! Que se passerait-il ? Peer to peer ! Blogs ! Qu'est-ce qui empêche un blogueur de reprendre (sans la copier) un info produite par un média ? On ne peut pas forcer l'usage. On peut en générer de nouveaux, mais on ne peut pas aller contre.

Oui mais: mon info coûte cher à produire! Certes, mais quelle valeur a-t-elle quand tout le monde peut la partager sur Internet quelques secondes après qu'elle soit devenue publique ? Quelle est la valeur d'une info?
Avant de parler de faire payer, il faut donc repenser l'info.
On parle de faire payer des "contenus", comme si le web était un simple support au même titre que le papier. Internet n'est pas un support, c'est un réseau. Internet, c'est justement la fin du contenu tel qu'on le concevait !

Ecrit avec la participation de l'audience, remis à jour au fil de la journée, construit à partir de liens provenant d'autres contenus, même la notion de copyright est bouleversée: sur Internet, le contenu devient process. Il devient "open-source". Comment je vends ça ? Qu'est-ce que je vends, en fait ?

Alors, quelles solutions ? Pas de solutions, mais des pistes d'expérimentation. La clef : ne parlons plus de contenus, mais d'usages !

1 - Le contenu est un process, le journalisme aussi: l'info sur le web se construit en réseau, avec d'autres journalistes mais aussi des non-journalistes (témoins, experts, relais...). Si, sur Internet, on remplace la traditionnelle "rédaction" par la communauté, peut-on demander à cette communauté de payer ses journalistes à l'acte ? David Cohn expérimente en ce moment avec Spot.us un modèle où le journaliste indépendant propose son idée de reportage et se fait payer par les lecteurs en amont sous forme de "don". Ici un exemple intéressant de reportage financé à 550$ par la communauté et réalisé en collaboration avec des médias locaux. Info en réseau... On ne vend pas qu'un contenu, mais une personnalisation interactive, une participation au process.
2- Si ne vend pas le contenu, je peux travailler sur la communauté: que puis-je lui vendre ? Quels services ? Quels contenus gratuits pour attirer vers quels services payants (coaching, newsletters, avantages, paris en ligne...), ? Est-ce que la force de ma marque me le permet ? Comment je fais payer ?
Organiser les communautés, voilà un nouveau rôle pour les médias, avec à la clef des modèles à expérimenter.

3- Repenser la pub, quand même: sur Internet, l'annoncer devient son propre média et interpelle directement les communautés: souvent via de nouveaux relais (les blogueurs). Ou, mieux, en créant ses blogs comme l'explique le fondateur de "The Company Blog": l'annonceur ne parle pas de ses produits, mais de sujets dans son domaine de spécialité. Une marque de supermarchés, par exemple, qui crée son site de recettes de cuisine... Il génère du bon référencement avec du contenu de qualité...
4- Enfin: le papier n'est pas mort, il est juste mal pensé! Le papier reste un support prestigieux, affectif. J'ai déjà évoqué tout l'intérêt que je portais au reverse publishing sur ce blog: on fédère la communauté sur le Net avec un média participatif et l'on finance l'opération avec un hebdo papier, financé par la pub ou payant...
On peut aussi faire de l'argent en publiant un livre reprenant les contenus d'un bon blog.

Ce ne sont que quelques pistes. D'autres idées ?

(Illustration: 7is7.com)

dimanche 5 avril 2009

Le web selon Howard Dean= communautés et décentralisation


Quelques éléments de réflexion après une rencontre avec Howard Dean lors d'un "tech-brunch" organisé par la Netscouade et Terranova ce midi à Paris.

Howard Dean, c'est l'ancien candidat US à la primaire présidentielle face à John Kerry en 2004. Ancien président du parti démocrate, il a surtout contribué à la mise en oeuvre de l'incroyable machine de guerre lancée par l'équipe Obama sur Internet pour remporter la présidentielle de 2008.

En exploitant intelligemment les réseaux sociaux et les outils participatifs, la campagne du parti démocrate (décrite en détail dans ce dossier complet de Terranova, et dans ce rapport) a fait entrer la politique dans le XXIème siècle.
Avec deux mots clefs: la décentralisation et les communautés.



Une rencontre passionnante sur laquelle je ne m'étendrai pas: on peut retrouver les vidéos de son intervention chez Natacha et Sacha QS (Mémoires Vives). Mais j'ai retenu quelques lignes de force qui me paraissent adaptables aux médias sur le Net :


- Communautés : le parti démocrate n'a pas utilisé Internet comme un média alternatif pour diffuser sa campagne, mais comme un outil pour organiser les communautés.

A ce propos, Howard Dean précise qu'ils n'ont pas créé ces communautés. Elles étaient déjà là. "Les gens voulaient faire partie de la campagne. Nous avons organisé tout cela." En utilisant les réseaux sociaux sur Internet.

- L'idée force : avec Internet, "You're the power" ("le pouvoir c'est vous")

- Décentralisé et participatif : conséquence de la démarche, une organisation fondée sur la décentralisation. Le parti démocrate ne fonctionne plus comme un parti national, mais comme un parti de communautés.
Grâce aux réseaux sociaux et aux outils contributifs sur Internet, l'équipe de campagne s'est donc appuyée sur les communautés, locales ou indépendantes. Plutôt que de centraliser (et donc alourdir) toute l'action au sein du parti, on "externalise" et on démultiplie les forces en faisant participer la communauté.

Résultat: beaucoup plus d'énergie et d'implication, notamment auprès des jeunes. "En 2008, les votants de moins de 35 ans étaient, pour la première fois, plus nombreux que les plus de 65 ans".

- Organisé et maîtrisé : les messages de campagne quotidiens étaient contrôlés par l'équipe nationale, mais l'organisation en réseau permettait une plus grande souplesse pour s'adapter à l'actualité.

- Personnalisation: sur Internet, chaque militant pouvait adapter son kit de campagne en fonction de sa communauté: en re-agençant l'ordre des paragraphes ou en changeant les photos sur les plaquettes...

(Photo: Howard Dean, Tech-Brunch du 5 avril à Paris- Natacha QS)