Dans la série "Internet est une poubelle qu'il faut contrôler", Arte diffuse ce mardi soir un nouveau documentaire consacré aux... dangers du web: "Les effroyables imposteurs". Coïncidence: cette diffusion intervient
A travers une compilation un peu fouillis sur les conspirationnistes de tous bords, l'auteur du documentaire nous ressert le discours du "Web-poubelle-de-l'info", peuplé de dangereux "non-professionnels" qui font circuler les pires rumeurs.
On connait la chanson. En ces temps de médiapocalypse, elle sonne comme la vaine tentative d'un système figé de sortir d'un lectorat/électorat qui lui échappe.
La rengaine ressurgit de temps à autre chez quelques représentants encore vaillants de cette vieille presse (pour preuve ce débat hallucinant de non-experts sur le web, chez Franz Olivier Giesbert), comme chez les politiques (voir la polémique, tout aussi hallucinante, autour de l'affaire Hortefeux).
Etrange miroir, d'un monde se contemple du haut de ses vieilles tours sans comprendre cette révolution qui a innondé ses terres.
Dans le docu d'Arte, le journaliste conclut son propos en s'attaquant évidemment au web participatif.
Pour appuyer sa thèse, il a déniché un article publié sur la page personnelle d'un internaute sur LePost.fr (dont je suis le co-fondateur) qui avait échappé à l'équipe de modération.
Je passe sur la méthode (le journaliste me contacte en me mentant sur l'objet de son reportage).
L'article détecté a naturellement été modéré à la suite de l'interview. Fin de l'histoire.
Comme de nombreux sites d'infos (Le Monde, Le Nouvel Obs, 20 Minutes etc), Le Post permet aux internautes de se créer un blog sur leur page personnelle. Et comme pour toute plateforme de blogs, le site ne censure pas a priori des contenus publiés sur ces pages personnelles.
Il ne le fait pas parce qu'il n'est pas éditeur de ces contenus amateurs, mais hébergeur. La modération se fait a posteriori, sur alerte des internautes ((Sur LePost.fr, comme sur LeMonde.fr, nous allons cependant plus loin: les contenus sont 24h/24 par une société de modération, qui supprime les posts contraires à leur charte).
C'est la loi. Qui défend par là même la liberté d'expression. Les blogueurs sont responsables de leurs contenus et peuvent être évidemment poursuivis si leurs propos sont diffamatoires ou portent atteinte à la vie privée. Mais la loi n'impose pas aux hébergeurs un contrôle a priori des contenus. Pourquoi ?
Parce que, premièrement, c'est techniquement impossible. La France compte plusieurs millions de blogs. Sans compter les twitter et Facebook dont le nombre de membres a explosé ces derniers mois.
Imposer un contrôle a priori reviendrait à obliger ces médias sociaux à mettre la clef sous la porte.
Deuxièmement, vouloir imposer un contrôle a priori sur tous les contenus diffusés sur la toile, c'est commencer à mettre un verrou sur l'expression citoyenne. Un verrou imposé par le seul hébergeur (sur ordre de qui?) sur ce fameux "contenu généré par l'utilisateur" qui fait si peur aux politiques et à un certain nombre de mes confrères.
En témoigne l'article surprenant de Xavier Ternisien, dans le Monde daté du dimanche 7 et lundi 8 février, à propos de ce documentaire. Pour ce journaliste, régulièrement attaqué par la blogosphère (ou par ses confrères du web), aucun article rédigé par un non-professionnel ne doit être mis en ligne "sans avoir été validé par un journaliste".
Les journalistes ne se trompent jamais, c'est bien connu.
De quoi ont-ils peur ?
D'une remise en question ?
Car de cette "poubelle" qu'est Internet, de cette poubelle que serait finalement la blogosphère (parce que c'est bien la blogosphère dans son ensemble qui est attaquée dans ce docu), émergent de vrais talents, des analystes pertinents, des militants féroces. On y trouve même des "amateurs" qui, parfois, enquêtent et dénoncent les erreurs des journalistes professionnels. Inconcevable!
De cette poubelle émergent des Maître Eloas... Quand cet avocat-blogueur, qui refuse d'être assimilé à un journaliste, commente, analyse l'actualité du droit, fait témoigner des professionnels de la justice, et sort de temps à autre des infos exclusives, il concurrence effectivement les journalistes dans leur coeur de métier.
Il est rigoureux, il vérifie ses informations. Il participe à l'effort d'information du citoyen.
L'information, ce maillon fragile entre le citoyen et la démocratie.
De cette poubelle émergent des opinions qui dérangent, des vidéos que l'on aurait préférées laisser sous le sceau du "off", des infos qui ne passent jamais au 20h, des remises en question des médias traditionnels qui, pendant longtemps, ont vécu dans le confort du surveillant jamais surveillé...
Evidemment, tous ces nouveaux contenus ne sont pas de qualité. Certains sont mêmes illégaux. Mais ils n'échappent pas ni à la loi, ni à la vigilance des communautés sur Internet, qui savent aussi s'organiser pour débusquer les fausses informations.
Surtout: toutes ces masses d'"effroyables" amateurs qui se passent des infos, les commentent, les éclairent, les détournent, échappent non seulement au filtre des médias et des politiques, mais ils remettent également en cause modèle économique. Crime ultime !
C'est le nerf de la guerre de la loi Hadopi, poussée par des lobbies du disque en mal d'esprit d'entreprise: on préfère aller contre les usages pour punir et contrôler. Aberration économique.
C'est l'argument massue de la prochaine loi Loppsi2: on exploite la peur du pédophile ou du nazi pour justifier un contrôle d'Internet.
Oui, il y a n'importe quoi sur le Net.
Oui, il y a de très belles choses aussi.
Oui, il y a des contenus et des auteurs devenus aujourd'hui indispensables.
Et cet indispensable n'aurait jamais émergé dans cet environnement contrôlé a priori par les médias traditionnels.
Les journalistes seraient plus inspirés de trouver leur place dans ce nouvel écosystème plutôt que de faire perdre l'argent à la télévision publique à tenter de démontrer avec des ficelles aussi grosses que des gazoducs que le web est dangereux.
Ils devraient la jouer "Journalistes+amateurs" plutôt que "journalistes contre amateurs".
Se battre contre l'effroyable amateur en brandissant le sceau divin de sa carte de presse, ce n'est pas à l'honneur d'une profession qui, au fil du temps, a toujours sur prouver qu'elle était capable de s'adapter au bouleversement permanent du monde et des usages.
16 commentaires:
Le coup de la carte de presse, c'est très franco-français. Je me demande si la France ne va pas bientôt concurrencer la Chine en matière d'ouverture sur Internet. Genre "on contrôle pour votre bien"... Avec derrière les intérêts croisés des apparatchiks des médias en place (pas de tous les journalistes, loin de là) et des pontes de nombreux médias traditionnels qui verraient leur pouvoir leur échapper...
Très bon papier. C'est tellement facile de jouer les gardiens du temple quand on est incapable de se remettre en question.
"Les journalistes seraient plus inspirés de trouver leur place dans ce nouvel écosystème plutôt que"... de le critiquer.
Mon Dieu je vais bientôt avoir honte d'être française !
Ce dont ils ont vraiment peur, c'est de perdre le contrôle. Les médias traditionnels sont trop souvent le bras armé de grands groupes politico-économiques, chargés qu'ils sont de propagande, d'information orientée et manipulée. Internet échappe à leur contrôle, dans le bon comme dans le mauvais sens. Et certains d'entre eux, dans un geste désespéré, tentent de repousse l'inéluctable chute d'un système dépassé par les défis, qu'accompagnera une reprise de pouvoirs des citoyens et de leur intelligence individuelle et collective. Nous devons lutter de toutes nos forces contre cette tentative désespérée et reprendre le pouvoir grâce à Internet.
Je suis pour ma part très réservé sur les contenus du Post, je l'ai déjà exprimé ici. Disons que s'il y a bien pire sur le web on trouve aussi bien meilleur. Ce n'est que mon avis et je ne veux polémiquer avec personne.
Bien d'accord pour dire que globalement, la Télé sert les intérêts des politiques en diabolisant le Net. C'est absurde. Ou plutôt cela traduit une volonté de façonner l'opinion pour lui faire accepter plus facilement des restrictions drastiques de liberté sur le web.
Sur la question hébergeur versus éditeur, je ne serais pas aussi péremptoire quand tu dis "C'est la loi". Il se trouve qu'un arrêt récent de la cour de cassation vient de désigner Tiscali comme éditeur et non hébergeur (à lire ici: http://www.droit-technologie.org/actuality-1298/big-bang-sur-le-web-2-0-la-cour-de-cassation-remet-les-pendules-a-l.html)
C'est à dire que toutes les plate-formes de blog ont du mauvais sang à se faire ces prochains temps (et Le Post aussi), étant désormais considérés par la jurisprudence comme des éditeurs à part entière. Au motif que leurs pages sont truffées de pubs (pour faire court).
Il faudrait poser la question à Me Eolas, mais si j'ai bien compris le contexte jurisprudentiel, même la loi Hadopi ne protège pas
tant que celà les directeurs de publication... (http://www.droit-technologie.org/actuality-1304/chronique-en-droit-de-la-presse-le-directeur-de-publication-face-aux.html)
Article hyper interessant.
Ces gardiens du Temple sont les mêmes qui sur Twitter ou Facebook - faut pas deconner quand même, au cas où on raterait qque chose ... - ne daignent même pas vous repondre à une question ou un commentaire.
On n'est pas du même monde, faut pas pousser ! ;-)
D'ailleurs, il suffit de comparer le nbre de leurs tweets avec leurs reply, DM ou mentions. Le ratio est edifiant.
En tout cas cela n'est pas comme cela que je considere personnellement les echanges.
Bonjour,
Analyse que je partage entièrement. Et tout comme vous je déplore que d'éminentes personnalités du monde journalistique au lieu de s'emparer et d'enrichir le monde du net participatif en viennent à lui cracher dessus!
De ce qu'il m'a été donné d'observer, trop de journalistes en sont restés à une vision purement verticale de leur métier (j'écris, je publie, vous lisez) alors que dorénavant Internet permet et encourage l'échange et l'interaction avec les auteurs. Or souvent lorsque des plumes reconnues du monde journalistique interviennent, elles "balancent" leur article/edito comme si c'était les nouvelles tables de la Loi et ne daignent pas répondre aux intervenants. Ou comment creuser un fossé...
Je ne sais si la profession de journaliste fera son aggiornamento et si elle le souhaite, mais ce que je sais pertinemment c'est que le monde évolue et ne l'attendra pas.
Cordialement
@Phil: l'objet de ce débat n'est pas de discuter des contenus du Post.
Ni même de nier qu'il y a du n'importe quoi sur Internet.
Ce qui me gène, c'est l'utilisation de cet argument pour justifier un contrôle a priori des contenus.
Je connais la jurisprudence Tiscali. Ce n'est pas une avancée pour la démocratie.
Espérons qu'elle évoluera avec le statut d'éditeur en ligne.
J'attends de voir le documentaire pour me faire une idée. Il semble que le parti-pris du documentaire soit très nettement annoncé, ce qui n'enlève en rien son potentiel dommageable.
Ce qui me fait davantage peur, c'est la suite baptisée "8 journalistes en colère".
Détail du programme : Que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en inquiète, l'info à l'heure d'Internet vit une incroyable mutation. Ancien directeur de L'Express, Denis Jeambar a sollicité des journalistes, des directeurs de rédaction et des patrons de presse : huit hommes et femmes qui vivent de l'intérieur cette révolution et qui s'interrogent sur leur métier. D'Arlette Chabot à David Pujadas en passant par Edwy Plenel, Éric Fottorino, Franz-Olivier Giesbert, Jean-Pierre Elkabbach, Philippe Val et Axel Ganz, chacun pousse un coup de gueule face caméra. Dictature de l'émotion, confusion entre information et divertissement, manque de moyens, nouveaux défis imposés par le Web... : ils dénoncent les excès et s'inquiètent d'un journalisme qui va mal, mettant en danger la démocratie. À l'heure de l'info disponible à tout moment, du bruit médiatique, du people, de la presse gratuite, de la victimisation, ils disent ce qu'ils ont sur le cœur et reconnaissent aussi leurs erreurs.
Comment dire...
- "huit hommes et femmes qui vivent de l'intérieur cette révolution " de l'intérieur des médias, oui, du web beaucoup moins sûr (je pense à FOG en particulier).
- "chacun pousse un coup de gueule face caméra" : donc c'est une charge, on est prévenus.
- "Dictature de l'émotion, confusion entre information et divertissement" : en effet.
- "ils dénoncent les excès" : sélectifs je suppose
- "et reconnaissent aussi leurs erreurs" : j'attends de voir
Il faut évidemment penser SANS TARDER à pénaliser ces enfoirés, dans le cas présent, d'ARTE....
C'est la seule vraie défense concrète, le reste étant bien intéressant mais un peu blablabla...
Depuis 2002, ARTE nous entube avec des pseudo-documents de COLLABOS, je me souviens d'une nuit passée avec d'autres à agiter son forum et à réclamer des comptes pour "émission" spéciale pro-OGM qu'ils venaient de passer.
Une des pistes de contre-attaque concrète, à réfléchir sérieusement, est de faire la liste des annonceurs et des produits (ou pour Arte "soir",, des "souteneurs" financiers qui lui font faire la Pute), et de les Boycotter très soigneusement, petit calepin à l'appui, et en se tenant groupés :-)
Tactique à affiner bien sûr, mais on ne s'en sortira jamais en se bornant à étaler ses états d'âme au coup par coup , après chaque TRAHISON (ça va faire 10 ans que ça dure) de ces enfants de putes.
A vos réactions lol
"On y trouve même des "amateurs" qui, parfois, enquêtent et dénoncent les erreurs des journalistes professionnels. Inconcevable!"
Je suis d'accord avec le fond du papier mais "l'amateur" en question, c'est moi, et je suis journaliste professionnel, désolé. Carte de presse 78939.
@Olivier Bonnet: Je ne parlais pas de vous, Olivier.Je sais que vous êtes journaliste. Je parlais du blogueur américain qui avait fait l'enquête (http://wakeupfromyourslumber.com/node/9917).
Enquête que vous avez relayée sur votre page perso sur LePost.fr.
Cémoi,
Je suis sur que vous pouvez faire encore mieux ...
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