A peine rentré de vacances, je retrouve ce bon vieux monde des médias traditionnels dans un état de morosité avancé. MySpace débarque en France et j'entends déjà certains de mes confrères parler (à tort) de nouvelle menace pour les médias. "Menace" est un mot très à la mode en ce moment dans les salles de rédaction françaises.
Pire : à peine le cabinet Precepta publie-t-il une étude à 3000 euros (lire ici, ici et là) pour nous révéler que la presse française est (très) en retard sur le Net (qui en doutait ?), que The Economist y va à nouveau de son clairon moribon : ça y est, les journaux sont morts ! (lire ici, ici et ici) Ou ils le seront bientôt. Ils disparaîtront en 2043, par exemple. L'an passé, on disait la même chose, mais on parlait de 2014 ou 2015. D'ailleurs, pour l'un des plus grands groupes de presse mondiaux, Knight Ridder, ce sera sans doute 2005 (ici et là). L'empire n'a pas su s'adapter au changement, et c'est peut-être bien là le problème.
Bref, la rentrée a des airs de Toussaint. Quand, lors de mon intervention au congrès "Médias et proximité" de Biarritz, j'ai expliqué (ici), chiffres à l'appui, que le business model de la presse écrite payante était mort, s'il n'incluait que la presse écrite payante, j'ai bien cru que certains confrères allaient s'étouffer. "Dis coco, c'est encore le papier qui te fait vivre, ne l'oublie pas..."
C'est vrai: aujourd'hui ce n'est pas Internet qui ramène le steak à la maison, c'est le papier.
Mais ce n'était pas le fond de mon discours qui choquait : tout le monde est d'accord pour reconnaître que même si, en grapillant ça et là, la diffusion et les revenus publicitaires peuvent encore augmenter, la presse quotidienne ne recrute plus de nouveaux lecteurs. Tandis que les coûts de production, eux, continuent de grimper.
On le pense, donc, évidemment, on le sait. Mais de là à le dire publiquement, il y a un cap.
C'est comme un coming out. Une fois que c'est dit, on se sent beaucoup mieux.
Tenez, moi, par exemple, je vais très bien. Je travaille dans la presse papier et je me sens en pleine forme pour démarrer la rentrée.
Il est clair que les géants de papier doivent faire aujourd'hui comme faisaient nos anciens : élever leurs enfants pour assurer demain leur retraite. Le papier, qui gagne de l'argent, doit investir dans le Net, qui n'en gagne pas, pour que demain le Net fasse vivre le papier.
Le business model du papier n'a mathématiquement pas d'avenir, mais le papier en a encore un, jusqu'à nouvel ordre, parce qu'il contribue à asseoir la marque. Ceux qui affirment le contraire sont des "madame Soleil", pas des stratèges. Et même si, au bout du compte, le support papier n'avait pas d'avenir, où est le problème ? C'est un débat de marchands de papier, pas de patrons de presse. Sony, qui venait d'inventer le walkman cassette, n'a pas vécu l'arrivée du disque laser comme le glas de sa profession. Au contraire. Mais l'industrie électronique est organisée autour du changement. Pas la presse. C'est là que le bât blesse. Et tue, parfois...
La presse est morte ? Vive la presse ! La presse aujourd'hui, surtout la presse locale, c'est d'abord une communauté, une marque. C'est un sillon tracé depuis des années dans le paysage de la population. Il y a un demi siècle, rappelle Loïc Le Meur, Arthur Miller disait déjà qu'un bon journal était une nation qui se parlait à elle même. C'est sur cette base ancestrale que repose le vrai modèle économique de la presse de demain : la communauté. Pas sur la seule vente de contenus d'information, qui ne dégage pour l'instant aucun business model prometteur.
Dans l'hyperconcurrence qui s'annonce en ligne sur le marché des news et des services, l'implication historique et affective de la marque presse dans le quotidien de la population est plus qu'un atout. C'est un coeur qui bat.