dimanche 13 décembre 2009

Comment l'info est devenue imaginaire. Comment elle révolutionne l'industrie


Avant d'être un pragmatique fasciné par Internet et la magie du réseau, je suis un rêveur hypnotisé par les livres. Je ne me déplace jamais sans, ils ont toujours accompagné ma route.
Plus les livres me font rêver, plus ils me sont indispensables.
Dans le business, on appelle les rêveurs des créatifs. C'est sans doute ce qui a sauvé ma carrière.

Ma mère me racontait que quand elle était enfant, elle se plongeait dans les histoires qu'ils distillaient et que c'était une façon de s'échapper, de voyager, de vivre autre chose. Aujourd'hui, elle lit 5 romans par semaine, mais elle garde toujours secret cet univers intérieur.
Le livre est l'un des supports matériels de l'imaginaire, la réalité intérieure qu'il partage avec son lecteur ne se diffuse que très rarement à l'extérieur.

J'ai appris à vivre ainsi, comme beaucoup d'entre-vous, sans doute: mon imaginaire intime, bien protégé par à l'intérieur de nous mêmes, et le monde matériel, qui n'en est qu'un très lointain reflet, parce que collectif et contraint.

Picasso et Jung ont dit, chacun à leur tour, que l'imaginaire était aussi réel que le matériel. Parce que le premier nous affectait autant que le second. Parfois plus. Or, tout ce qui nous affecte est réel, même s'il ne se matérialise pas collectivement. C'est la perception que nous avons des événements, réels ou imaginés, à partir du moment où ils nous affectent, qui leur donne corps, qui leur donne une "réalité" à nos yeux.
"Tout ce qui peut être imaginé est réel" (P.Picasso).
Le réel c'est notre perception, ou plus précisément, notre expérience du monde et de nous-mêmes.
L'expérience, voilà un terme qui définit parfaitement la structure des usages du XXIe siècle. Avec l'arrivée du virtuel, du web et du jeu-vidéo, nous sommes entrés dans la civilisation de l'expérience.
"Tout ce dont je fais l'expérience est psychique, jusqu'à la douleur physique, dont je ne ressens que la transcription psychique" (C-G. Jung).
Cependant, si dans la sphère personnelle, l'imaginaire et le concret se bataillent, dans la sphère sociale, tout ne se fusionne pas aussi aisément. Hors de l'intime, il reste une barrière. On ne peut que constater cette impuissance du monde à incarner parfaitement l'imaginé. Parce qu'il est contraint, c'est à dire univoque, alors qu'il est collectif. Impossible alchimie.

Je me suis souvent surpris à imaginer ce que serait un monde où notre imaginaire s'incarnerait systématiquement dans le réel.
Parce que nous sommes plusieurs, cette "réalité" serait forcément multi-couches.
Le monde matériel est assez limité. Et, majoritairement, sombre et frustrant. Sa vitalité dépend d'un certain nombre de béquilles qui, si elles venaient à disparaître, feraient sans doute s'effondrer tous les espoirs. C'est d'ailleurs la thèse déroulée par le roman et le film "La Route": les humains s'y suicident les uns après les autres, ou s'entredévorent, après qu'une guerre nucléaire a détruit toute possibilité de se nourrir!

Le monde n'est d'ailleurs pas aussi sombre et pervers qu'il le serait s'il était la transcription parfaite des imaginaires humains. Tout simplement parce que les hommes sont obligés de façonner dans la matière collective ce qu'ils ont dans le coeur.
Or, il y a une rupture entre le monde imaginaire et le monde réel, qui vient du fait que si vous êtes seul à façonner un tas de boue vous pouvez espérer réaliser à peu près ce que vous portez en vous (sauf moi, j'ai toujours été nul en poterie).
Alors que si vous êtes plusieurs, il faut façonner ensemble.
Le process de l'oeuvre collective est évidemment fascinant. Sans doute plus riche qu'une oeuvre solitaire, puisqu'il s'agit d'une tentative de matérialisation de plusieurs imaginaires. Mais il n'est pas vraiment collectif, parce que les mécaniques de collaboration sont déformées par de nombreuses barrières physiques.
Surtout, ce process n'est pas "juste", même s'il est de temps en temps démocratique. Son évolution dépend généralement du degré de pouvoir des uns et des autres.

Pour faire passer ses rêves dans le monde matériel, il faut donc beaucoup de pouvoir. Avec beaucoup de pouvoir, on pousse plus facilement les autrs à façonner la matière selon nos propres désirs, et la contrainte est moins forte parce que tout, ou presque, s'achète.

Pour que l'imaginaire se concrétise parfaitement, il faudrait donc que le monde autorise la coexistence de plusieurs couches de réalité simultanées.
Tout cela est parfaitement théorique... Mais là où je veux en venir, c'est que: cette capacité à matérialiser collectivement la simultanéité des imaginaires, on la retrouve sur Internet.

Même si cet imaginaire n'est pas, pour l'instant, très fécond: le réseau, trop fragmenté et peu confortable, ne sait pas encore bien intégrer les oeuvres plastiques, littéraires et cinématographiques.
Il est cependant, aujourd'hui, l'unique espace qui donne aux imaginaires cette persistance et cette image socialement perçues que l'on associe généralement à la matérialisation.

Qu'est-ce que cela nous apprend ? Cela nous apprend que le "network", le réseau qui constitue Internet, ne relève pas de la matérialité telle que nous la percevons depuis toujours, mais qu'il relève essentiellement de l'imaginaire.

Je repense à ce qu'il m'arrive parfois de répondre à des étudiants en journalisme qui me disent qu'Internet c'est la mort du terrain: "Mais Internet est aussi un terrain d'investigation! Même si ce n'est pas au grand air". Au grand air ou "irl", comme on dit désormais, "in real life" (dans la vie réelle).

Internet, par sa capacité à développer matériellement, psychologiquement, et socialement le virtuel, a "capillarisé" le réel, au point d'en épouser l'essentiel des caractéristiques. Manque le "grand air", donc, l'élément physique... mais avec les nouveaux outils tactiles et/ou utilisant des accéléromètres comme le iPhone ou la Wii, cette frontière du physique s'estompe peu à peu.

A sa façon, Internet est en train de donner corps aux théories de Jung et à la citation de Picasso: "Tout ce qui peut être imaginé est réel".

Il est finalement ce qui se rapproche le plus du concept de l'astral, théorisé (entre autres) par les bouddhistes. L'astral désigne l'espace collectif où se concentrent les rêves avant leur réalisation dans la matière. Je ne sais pas si les bouddhistes ont raison, mais je constate que ce qu'ils décrivent ressemble beaucoup, dans ses mécanismes, à Internet!
Sauf que cet astral collectif relèverait du domaine de l'inconscient. Alors que sur Internet, tout circule au plan conscient. Tout est révélé. Thanks Google...
"La conscience provient d'une psyché inconsciente plus ancienne (ou plus large, NDA) qu'elle et qui, en collaboration avec la conscience ou en dépit de celle-ci, continue de fonctionner" (C-G.Jung)
C'est pour cela qu'il faut insister sur le fait que le Net n'est pas un média, ni un tuyau comme un autre. Mais un espace d'échanges imaginaires en partie matérialisé.

Le Net est donc un espace où s'échangent des informations imaginaires. De la rumeur au détournement, en passant par le témoignage et la révélation, toute information partagée sur le Net doit être considérée comme imaginaire, avant qu'elle n'entre dans un processus de matérialisation.

Comment se définit une matérialisation ? Il s'agit d'un processus collectif de validation dans la perception et de mise en forme d'une "idée". Que cette matérialisation soit "physique" (papier, télévision) ou plus virtuelle, mais toujours socialement acceptée (média web ou mobile).
Sur le web, cette "validation" est néanmoins beaucoup plus flottante. Et mutante...
C'est le "risque" entraîné par la rencontre, l'entremêlement, de deux mondes jusqu'ici séparés: process imaginaire (puissant et chaotique), process matériel (faible et contraint).

Cela nous en dit également beaucoup sur la façon dont l'industrie doit aujourd'hui s'organiser autour de ce réseau.

Je vais m'en tenir à l'industrie de l'information, puisque c'est mon métier, mais on pourrait appliquer cette réflexion à l'ensemble des secteurs d'activité.

Pendant longtemps (et aujourd'hui encore!), l'industrie de la presse papier, par exemple, s'est considéré comme le coeur, et a entrepris Internet comme une destination. Comme l'une des matérialisations de son métier d'informer et de faire du "lien".
Or, c'est justement tout le contraire. Aujourd'hui, le coeur de l'information et des échanges sociaux, c'est le réseau. L'industrie de l'info papier étant l'une des matérialisation de ce réseau.
C'est pour cela qu'il est idiot de vouloir monétiser Internet en se disant qu'Internet va remplacer les supports traditionnels.

Internet a surtout renversé le rapport des compétences dans l'univers de l'information, et placé les supports à la périphérie.

Aujourd'hui, je distingue donc deux types de compétences :

1) Les compétences de valeur (réseau):

- Le "journalisme": à concevoir comme un réseau de compétences (comprenant ceux que l'on appelait jadis les journalistes), dont l'objet est la production et la valeur ajoutée de l'information. Ce journalisme de demain ne doit plus être considéré comme une rédaction physiquement rassemblée, mais comme une dynamique d'échanges. Non plus comme un métier mais comme une compétence. Une compétence forcément partagée qui relève du réseau (Internet), mais plus d'une industrie en particulier.

2) Les compétences de support (industrie):
- L'industrie du papier: elle s'occupe de la destination "print" du journalisme. Elle l'organise et le monétise.
- L'industrie de la télévision: elle s'occupe de la destination "broadcast" du journalisme. Elle l'organise et le monétise.
- L'industrie du web: elle s'occupe de la destination "web" du journalisme. Elle l'organise et le monétise.
- L'industrie du mobile: ... etc etc

Cette classification a au moins le mérite de mettre en lumière le drame de l'information d'aujourd'hui: c'est l'industrie du papier qui s'occupe également de la destination "web" du journalisme.
Résultat: elle est incapable de l'organiser, et surtout de la monétiser. Ce n'est pas son métier.
C'est à l'industrie du web d'inventer les supports et les mécaniques web du journalisme. C'est à dire à la génération des start-up du web, celle qui a donné naissance à Twitter, Google, Facebook, Yahoo, Skype ou Amazon.

(Illustration: Pablo Picasso, "Le rêve"- 1932)

jeudi 12 novembre 2009

Médias : le web sert-il vraiment à quelque chose ?


A entendre quelques patrons de médias au fil de mes rencontres ou interventions en conférence, c'est le sentiment qui domine. Puisqu'il semble acquis (sic) que le web ne servira pas à financer les budgets déficits des journaux ou les budgets des télés, ni même à remplacer le modèle, j'ai la nette impression que la tendance en France dans les médias est au repli. Et qui dit repli, dit pas d'investissement véritable. Pire: pas d'innovation. No future le web ?

Ce que j'entends :

1) "Il n'y a pas de modèle économique viable pour les médias sur Internet. Un visiteur unique rapporte dix fois moins qu'un lecteur. "

2) Donc : "Ne perdons pas d'argent sur le web, il n'y aura pas de retour sur investissement. Le web reste un complément, mais n'a pas à être au coeur de la stratégie."

3) Ce n'est pas nouveau mais ça revient très fort: "Tout ça c'est la faute à Google qui se fait de l'argent sur nos contenus. Google doit payer." Ou: "On va bloquer Google qui ne pourra plus indexer nos infos".

4) "Le Kindle d'Amazon c'est l'avenir de la presse écrite: Il faut juste attendre que ça se démocratise et on pourra à nouveau vendre nos journaux sur Internet."

5) "Le mobile est un réseau beaucoup plus viable que le web: il y a de vrais espoirs de modèles économiques puisque l'on peut faire payer les gens sans douleur, comme sur iTunes".


La réalité:

1) No pub ? Il y a plusieurs idées reçues et contre-vérités dans ce message.



- Oui, si l'on compte en visiteur unique, en passant du lecteur à l'internaute, la recette annuelle est divisée par 20.

- Non, si l'on compte en pages vues. Les calculs d'Olivier Bonsart de Ouest France montrent qu'une page sur le web rapporte plus qu'une page papier. Le problème c'est le trafic, pas assez important. Ce qui ne résout pas le problème, mais permet au moins de relativiser.

- La pub traditionnelle sur Internet est ringarde et inintéressante. Les agences et les régies pub bloquent sur ce modèle (le fameux "display") depuis des années et n'ont pas fait leur révolution, alors que de plus en plus d'annonceurs sont aujourd'hui prêts à se bouger. Il y a encore énormément à expérimenter sur Internet: transformer les marques en média, jouer les médias sociaux, faire du participatif maîtrisé, faire du clef en main, inventer inventer inventer. Mais qui osera bousculer les toutes puissantes agences ?

2) No future ? Arrêtons de considérer Internet comme un média.



Internet est une manifestation du réseau digital, dans lequel nous devons aujourd'hui inclure le mobile. Les médias doivent se mettre en réseau, mettre la digitalisation des contenus et des process au coeur de leurs stratégies. Et envisager les modèles économiques comme un ensemble. Considérer le réseau comme un accessoire, c'est signer son arrêt de mort, son bannissement de la sphère du consommateur et de l'annonceur.

3) No Google ? En 2009, la presse se cherche encore des coupables. Au lieu de s'inspirer du modèle Google, elle en fait un bouc-émissaire.



Ce mois ci Ruppert Murdoch (Wall Street Journal, Fox...) a menacé Google de ne plus rendre les contenus de ses médias accessibles par le moteur de recherche, qu'il traite de pilleur. Réponse de Google : pas de problème!
Suicide mode d'emploi...

4) No free model ? Autre option, très "Murdoch Style" aussi: faire payer les contenus actuels. Aucun modèle grand public ne fonctionne réellement, mais tout le monde en parle. Tout le monde travaille dessus. C'est évidemment très compliqué. Même Murdoch temporise...



Ce n'est pas le principe du payant qui pose problème. On peut faire payer des tas de choses sur le web, à commencer par des services. Le problème, c'est de vouloir faire payer l'info: dans un environnement où toute info est publique et accessible gratuitement (chez l'émetteur de l'info ou ailleurs) en 30 secondes, quelle est la valeur de l'info ? Que faire payer ?

En France, j'ai vu passer des projets, parmi les sociétés de journalistes, qui me font hurler de rire frémir: "Les éditeurs de presse pourraient s'accorder, au sein des associations professionnelles nationales et internationales, pour renoncer collectivement à la gratuité de l'information en ligne." Help !



La solution finale (si j'ose dire) ? Le e-paper. Là, c'est sûr, les gens vont enfin acheter le journal!
Pour preuve: le succès du Kindle d'Amazon (très relatif, aucun chiffre n'est disponible), lancé récemment en France.
Miracle en vue ?
Le problème est encore celui de la valeur de l'info, donc de son prix. La valeur d'une info, même présentée sous la forme d'un journal traditionnel sur un écran agréable, n'est pas comparable à celle d'un livre numérique dont le contenu reste (pour l'instant) difficilement soluble sur le réseau .

5) No web ? Ah, le iPhone! Le graal des patrons de médias ! D'abord parce qu'ils ont enfin entre les mains un objet qu'ils comprennent. Le iPhone est à l'Internet ce que la Wii a été au jeu-vidéo. C'est l'émergence d'une économie des "casual" internautes. Tout le monde comprend la Wii, même les séniors.



Le mobile va en effet bouleverser l'écosystème de l'info parce qu'il accélère les logiques du réseau, mais aussi parce que l'outil est beaucoup plus proche de l'utilisateur, beaucoup plus accessible que l'ordinateur.
Il est vrai que les mobinautes paient facilement les applications iPhone. Pour autant, ce n'est pas un modèle en soi, ni un modèle unique.
Et les usages mutent à vitesse Grand V sur le mobile. Pour l'instant, une appli par média. Demain: à nouveau les agrégateurs ?

Et vous, vous en pensez quoi ?

mardi 27 octobre 2009

Soitu.es: Les sites d'infos meurent aussi


Je trouve cette image terrible. Il s'agit de la rédaction du pure player espagnol d'infos Soitu.es, qui a fermé ses portes aujourd'hui, le 27 octobre 2009.

Elle me rappelle celle-ci:

La salle de rédaction du Rocky Moutain News, le quotidien régional de Denver, qui a cessé d'imprimer le 27 février 2009.
Même malaise. Mêmes visages dans le vide.
La différence entre les deux médias, c'est que le second était devenu le symbole d'une vieille presse à la dérive, fauchée par la révolution du web et par la crise.

Le premier représentait l'avenir. L'info sur le web, innovante, en prise avec sa communauté.

Je me souviens des fondateurs de Soitu.es. Ils étaient passés dans les locaux du Post.fr, au Monde Interactif, pour voir comment nos journalistes travaillaient avec les internautes. Ils n'avaient pas encore lancé Soitu. C'était fin 2007.
Beaux sourires. Beaux visages.

Ce qui est terrible dans cette image c'est qu'elle nous montre que la révolution qui, 600 après Gutenberg, frappe le monde de l'information, ne fait pas que des morts du côté du papier. Elle tue aussi les initiatives web. Et elle continuera de le faire.
Parce que les modèles économiques ne sont pas encore calés. Qu'il faut du carburant pour tenir dans cette phase indispensable d'innovation.
C'est ce dont les amis de Soitu.es ont manqué.

Le site était financé par le groupe bancaire BBVA, lui aussi touché par la crise, rappelle Pierre Haski sur Rue89. Gumersindo Lafuente, directeur de Soitu.es, a regretté de ne pas avoir réussi à convaincre l'établissement bancaire d'un principe important :

« Des projets qui naissent dans des secteurs nouveaux à un moment troublé nécessitent de la patience pour trouver leur place. »

Oui, il faut du temps. Entre 3 et 6 ans pour un média en ligne pour être rentable. Lancer des projets. Expérimenter et combiner les modèles économiques, se tromper, corriger, avancer.

Il faut aussi et surtout de la compréhension (j'allais dire une "vision") de la part de ses actionnaires. Mais en ces temps de crise plus qu'avant, la tendance dans les médias est à l'irrationnel et au repli sur soi.

C'est terrible parce que des journalistes se retrouvent au chômage. Terrible parce que le repli sur sa marque ou sur les vieux modèles ne fait que retarder le moment fatidique. Et qu'à ce moment là, quand les dernières gouttes de carburant auront été gaspillées par les groupes de presse, il n'y aura aucune alternative pour prendre le chemin du nouveau monde qui se dessine.

C'est aujourd'hui qu'il faut y croire.
Un ami consultant me confiait hier: "Je trouve les patrons de presse terriblement déprimants".

dimanche 25 octobre 2009

Pages vues web/pages vues papier : qu'est-ce qui rapporte le plus?


Je reviens de la conférence "Outlook 2010" de l'ONA/INMA (deux associations d'éditeurs de quotidiens print et en ligne) qui se tenait jeudi et vendredi derniers à Liverpool.

J'y étais venu présenter le modèle du Post.fr, mais aussi tater le pouls du dynamisme de la presse écrite en Europe. J'avais même l'espoir de trouver de nouvelles idées. Je repars avec la vision d'une presse à deux vitesses. Mais dont la plus grande partie est encore coincée dans le virage du web. Un virage psychologique, que la crise et l'âge grandissant des éditeurs ne sont pas venus adoucir.

On a même eu droit à un discours surréaliste tonitruant sur le Papier, support d'avenir, par un éditeur flamand (De Persgroep), fraîchement entré dans la bataille, qui reconnaissait ne pas avoir de stratégie web, encore moins mobile, parce qu'il "vaut mieux être bon sur une seule chose à la fois". Le groupe s'était déjà fait remarquer en septembre en traitant les blogueurs de "poubelle de l'Internet" (ça me rappelle quelque chose)...

De l'autre côté, il y a quelques médias qui, dans leur coin, tentent de faire bouger les choses (les Polonais de Gazetta, par exemple, toujours aussi renversants). Même sur le papier ! (Et encore, les plus belles innovations de ce côté sont apportées par un jeune de 23 ans).
Mais l'ensemble manque terriblement de souffle.

Et la crise, la chute des revenus (sur le papier comme en ligne), associée au ralentissement du trafic des sites d'infos traditionnels (l'effet saturation), ont fait se replier les moins frileux sur leurs vieux réflexes.

Jusqu'à nous donner une bouillie incohérente de discours sur le constat et la stratégie à adopter:

"Le papier n'est pas mort (répétez après moi: le papier n'est pas mort), Internet ne nous fera jamais gagner d'argent. On vous a hypnotisés avec de belles paroles mais regardez: ça ne marche pas, d'ailleurs on le savait, Internet c'est la mort du journalisme et la poubelle de l'info.
A moins de vendre nos contenus que personne ne veut acheter il n'y a pas d'avenir sur le web."

Je résume un peu violemment... mais je ne suis pas loin.
Je ne résiste d'ailleurs pas à vous donner le texte d'une chanson écrite spécialement pour l'occasion par l'organisateur de la conférence, le INMA (qui dit aussi des choses intéressantes quand elle n'écrit pas des chansons) sur l'air de YMCA: "News folks, Circulation is bad... Too few ads make you sad... Will you ever feel glad..." Hum...



Bon.

Il y avait aussi du bon.

Je retiens notamment (avec les bonnes idées des Polonais, dont j'avais déjà parlé sur ce blog l'an passé), la réflexion posée par Olivier Bonsart, de Ouest France.
Pas un des plus jeunes, mais pas le plus irrationnel. Loin de là.
Histoire de faire tomber quelques idées reçues sur le web gratuit et la pub, le directeur délégué du groupe SIPA/Ouest France a interrogé ses collègues éditeurs européens et américains pour leur demander leurs résultats publicitaires sur le web et sur le print.

Et de commencer par poser la bonne question : quand on dit que le potentiel du web par rapport au print est défaillant (1 visiteur unique rapporte 1€ , un lecteur papier 10€), encore faut il utiliser les bons critères.

Or, explique-t-il, cela fait des années que l'on calcule la performance des sites web des journaux en visiteurs uniques (c'est le sacro- saint panel Nielsen/Mediamétrie) alors que les deux mesures (lecteurs/ visiteurs) sont incomparables.

Et Olivier Bonsart de proposer de comparer ce qui est comparable, c'est à dire les pages vues.

Et là, sur la base de ces informations inédites, il arrive à des résultats plus qu'intéressants:

Un journal papier moyen:

- 300.000 exemplaires, 36 pages, 70% lues/vues, en semaine

- 900.000 lecteurs par jour, 25 mintes
- 45 millions d'euros de revenus publicitaires

Un site web de journal moyen:

- 4,4 millions de visiteurs uniques, 11,7 millions de visites/ mois
- 5,4 pages vues et 6,3 minutes/ visite
- 8 millions d'euros de revenus publicitaires

Ce qui donne:

Le ratio nombre de pages vues web et nombre de pages vues papier / mois (sur la base des chiffres qu'il a pu récupérer de 12 quotidiens en France et dans le monde) est de 11% (580M de pages vues sur le papier contre 63M sur le Net). Il est de 50% pour le nombre de visites (papier: 23M visites contre 11,7M pour le web) . Et de 13% pour le temps passé.

Pour les revenus publicitaires sur le web, le ratio est de 19% par rapport au papier. Ce qui n'est pas si mauvais: il est inférieur à celui du nombre de visites, mais si on le compare aux pages vues et au temps passé, il est au dessus...

Et de conclure :

1) Les sites de journaux sont moins puissants que leur version papier.
2) Si l'on retire les petites annonces des revenus pub, le revenu par page est supérieur sur Internet que dans les éditions papier.

"Le problème, ce n'est pas la pub, mais l'audience!"

Bonne conclusion.
Maintenant, on fait comment pour monter l'audience des sites web d'info ?

(Et pour trouver une alternative aux bannières ?)

- Télécharger la présentation d'Olivier Bonsart.
- Illustration: Forum 4 Editors

mercredi 14 octobre 2009

Manuel de survie du journaliste 3.0 en milieu mutant

Voici les slides de mon cours d'introduction au journalisme en réseau, donné hier aux étudiants journalistes de 1ère année du CFJ.
Je l'ai surtout utilisé comme support de conversation, mais je me suis dit que les données et idées rassemblées dans ce petit doc pouvaient intéresser un plus grand nombre.

Je n'ai pas cité mes sources dans le powerpoint, je le fais donc ici. En vrac : Jeff Jarvis, Jean-François Fogel, Jeff Mignon, Francis Pisani, Mathieu Stefani, Bernard Poulet, John Temple pour les données et l'inspiration...

jeudi 10 septembre 2009

Google veut révolutionner l'info payante: mais que vendre ?


Oubliez l'Apple Keynote d'hier soir (toujours rien sur l'Apple Tablet...), cette semaine, c'est Google qui fait l'événement. Et en mettant justement les pieds dans l'un des bastions les plus prometteurs d'Apple: le micropaiement.

Que propose Google ?
Tous les contenus doivent être accessibles, continue de plaider le géant américain, mais cela ne veut pas dire qu'ils doivent être gratuits.
Google va donc proposer dès l'année prochaine un système de micropaiement aux internautes.

Cherchez avec Google, payez avec "Google Checkout" (le nom de ce nouveau service).

Les applications envisagées iront de l'abonnement mensuel, à l'achat à l'unité jusqu'au paiement de packs de contenus émanant de plusieurs publications. Par exemple: un Top 10 des contenus éco du jour.

Comme Apple avec AppStore, ou comme avec son propre "Android Market" (le service d'applications mobile de Google) Google prendra 30% sur ces transactions.

Cette annonce, qui est en fait une réponse à une requête lancée par la NAA (Newspapers Association of American) sur la monétisation des contenus des journaux sur Internet, pourrait bien annoncer une vraie révolution.

Pourquoi ? Parce que le modèle du tout gratuit sur Internet est en crise.
Mais surtout parce que la proposition émane de Google. Et que Google est l'une des rares firmes (avec Apple sur le mobile) à pouvoir proposer un système unitaire de micro-paiement = Google organise l'information sur Internet, Google démocratise le système du "single-sign-on" (un seul compte pour plusieurs services), demain Google proposera le système de paiement sur les contenus qu'elle organise.

Voici le document envoyé par Google à la NAA:

Google's proposal to the Newspaper Association of America

J'avais déjà évoqué ce débat du gratuit/payant il y a trois ans sur ce blog, à la suite d'une discussion que j'avais eu en juin 2006 avec Nathan Stoll, le patron de Google News, à l'issue d'une conférence. Il nous disait: "Je ne suis pas pour le tout gratuit. Si payer est pratique pour les gens, alors il faut faire payer. Mais rien ne bougera tant que payer 1$ sur Internet sera compliqué pour le client".

Je n'ai pas changé d'avis.

Si Google démocratise le micro-paiement, et l'inclut de façon "indolore" dans le parcours de recherche de l'internaute, il y a fort à parier que cela entraînera une nouvelle mutation de l'écosystème de l'info.

Une question demeure : que peut-on vraiment vendre ?
Le parallèle avec iTunes a ses limites. Un morceau de musique est un contenu indivisible, qu'il faut pirater si on veut l'écouter sans payer, et dont on profitera toute sa vie. Une info, c'est beaucoup moins concret. Une info, une fois qu'elle est entrée dans le domaine public, perd sa valeur et peut être partagée gratuitement sans passer par la case copier-coller. Difficile de la vendre, même avec un système aussi "indolore" que le micro-paiement.

Le modèle payant dominant aujourd'hui est celui de l'abonnement premium. Un vrai come-back, même s'il a plus de dix ans.
Mais il relève en fait du modèle "freemium": il ne repose pas spécifiquement sur la vente de contenus mais plutôt l'appartenance à un club, le soutien à une cause, l'achat de services.
On crée du trafic en mettant à disposition gratuitement des contenus, et on fait payer des services.

Mais pas, à proprement parler, de vente de contenus d'info.


Y-a-t-il d'autres pistes ?
Revenons à la révolution Apple, qui semble se faire couper l'herbe sous les pieds avec le projet de Google.

Sur quoi repose cette révolution ? Avec le iPhone, Apple a bouleversé l'écosystème de l'info sur mobile. Et donc de l'info online puisque la mobilité est la prochaine étape du Net.

Revoyons ces étapes :
1- Années 90: l'ère WWW. L'info est organisée en rubriques sur le site Internet du média
2- Années 2000: l'ère Yahoo. L'info est rassemblée non plus sur des sites mais sur des portails
3- Années 2002-2008: l'ère Google et le web 2.0. L'info est fragmentée et s'organise autour des contenus organisés par Google.
4- Années 2010: l'ère iPhone et NetPC. L'info s'organise autour des applications téléchargées sur votre device mobile (Net PC, iPhone ou GooglePhone).

On pourrait s'amuser à faire un classement des médias pour voir à quelle étape ils sont restés... Et vous, à quelle étape vous situez vous ?

L'étape 4, c'est donc celle de l'application.
Elle s'est démocratisée avec l'iPhone et Android. Elles sont en train de se développer sur les Net PC. C'est l'une des grandes idées de Jolicloud (par Tariq Krim, fondateur de Netvibes), dont la version béta vient d'être lancée.

Et l'on se rend compte que ces applications se vendent plutôt bien, grâce au micro-paiement d'Apple (le modèle iTunes) et qu'elles vont également permettre (depuis cet été) d'acheter en un seul click des services et des contenus.

Et si nous pensions les contenus d'info de demain comme des applications ? A quoi pourrait ressembler une appli-documentaire, par exemple ?

Nous n'avons pas fini de re-penser l'info sur le réseau.

dimanche 19 juillet 2009

La note Matthew Robson (traduction française intégrale): ce que pensent les jeunes des journaux, de la télévision... et de Twitter


"Ce que pensent les ados": ils seraient nombreux à payer cher pour entrer dans la tête de ces "futurs consommateurs", à l'heure où le marché des médias est en pleine révolution, et qu'il valse encore entre le big crunch et le big bang...

C'est sans doute la raison pour laquelle Matthew Robson est devenu, en quelques jours, une vraie star chez les décideurs.
Ce jeune stagiaire de 15 ans et demi a pondu une note sur les habitudes de consommation des adolescents, pour la banque d'affaires Morgan Stanley, qui a décidé de la diffuser.
Depuis, le document a été publié en Une du Financial Times et a créé autant de polémique que d'enthousiasme (lire aussi l'article de Challenges)

Que nous dit cette note (téléchargeable ici en anglais)?

1- Les ados (environ 300 connaissances interrogées par Matthew lors de son enquête) ont le culte de la gratuité
2- Ils utilisent beaucoup leur téléphone mobile
3- Ils sont de plus en plus sélectifs devant la télévision...
4- Et ils n'aiment pas Twitter!

Je vous propose une traduction intégrale en français de ce document ( à mettre en parallèle, avec cette autre étude, relayée également sur ce blog en 2007).

Matthew Robson:
"Comment les adolescents consomment les médias"


Radio:

La plupart des ados ne sont pas des auditeurs réguliers. Ils la mettent de temps en temps, mais ils ne recherchent pas d'émission en particulier.
La principale raison pour laquelle les ados écoutent la radio: c'est la musique. Mais aujourd'hui avec les sites de streaming gratuit ils s'en fichent, puisque des services comme last.fr le font sans pub, et que les utilisateurs peuvent choisir les morceaux qu'ils veulent au lieu d'écouter ce que l'animateur ou le Dj a choisi pour eux.

Télévision:
La plupart des ados regardent la télé, mais il y a des moments dans l'année où ils la regardent plus que d'habitude. Ceci parce que les programmes fonctionnent par "saisons": ils regardent donc un programme à un certain moment pendant quelques semaines (aussi longtemps que le programme dure, en fait), mais ils peuvent ne plus regarder la télévision pendant des semaines une fois que le programme est terminé.

Les garçons regardent plus la télé pendant la saison de foot: en général deux matches et une émission sur le sujet par semaine (5 heures de visionnage au total).
Certains regardent des programmes réguliers (comme les soap operas), environ cinq fois par semaine pour une demi-heure, mais cette part est en baisse, parce qu'il est difficile de trouver du temps chaque jour.

Les ados regardent aussi moins la télévision depuis l'arrivée de services comme BBC iPlayer, lequel leur permet de regarder les émissions quand ils le veulent.

De plus, quand ils regardent la TV, ils doivent subir de nombreuses publicités (18 minutes chaque heure) et les ados ne veulent pas les regarder. Alors ils zappent ou font autre chose pendant la pub.

La majorité des ados à qui j'ai parlé utilisent Virgin Media comme bouquet de chaînes à cause des prix plus faibles et d'un contenu similaire à Sky. Une petite part d'entre eux a "Freewiew" mais ce sont de faibles consommateurs de TV (1h30/semaine), ils n'ont pas besoin des centaines de chaînes proposées par les autres.

Journaux
Aucun des jeunes que je connais ne lit un journal régulièrement: la plupart n'ont pas le temps et ne veulent pas le perdre à lire des pages et des pages de texte quand ils peuvent avoir un résumé de l'info sur Internet ou à la TV.

Les seuls journaux qui sont lus sont les tabloids ou les gratuits (Metro, London Lite...) en général à cause du prix: les ados sont très réfractaires au fait de payer pour un journal (d'où la popularité de gratuits comme Metro). Ces dernières semaines The Sun a baissé son prix de 20p, et j'ai vu de plus en plus d'ados le lire.

L'autre raison pour laquelle les tabloids sont préférés aux autres c'est que leur format compact rend la lecture plus facile dans le bus ou le train. C'est particulièrement vrai pour Metro qui est distribué dans les bus et les trains.

Jeux vidéo
Loin du stéréotype du joueur vu comme un jeune garçon, l'émergence de la Wii sur le marché provoqué l'arrivée pléthorique de joueuses filles et de très jeunes (6+) joueurs.
La console la plus utilisée est la Wii, suivie par la XBox360, puis la PS3. La plupart des ados possesseurs de console ont tendance à faire de longues sessions de jeu (plus d'une heure) plutôt que des petites parties.

Comme les consoles sont connectées à Internet, le tchat vocal est désormais possible entre les utilisateurs, ce qui a un impact sur l'utilisation du téléphone. On peut parler gratuitement avec sa console, ça pousse donc les jeunes à ne plus vouloir payer pour téléphoner...

Par contre, les jeux PC tiennent une très petite place, voire pas de place, sur le marché des ados. Sans doute par que la plupart des jeux sont disponibles sur toutes les plateformes et que pour qu'un jeu fonctionne à pleine capacité sur un PC il faut un ordinateur puissant, et donc cher.
De plus, le piratage est plus facile sur PC: on peut télécharger les jeux gratuitement, plutôt que d'acheter le jeu. En comparaison, il est quasiment impossible d'obtenir gratuitement un jeu sur console.

Internet
Tous les jeunes ont un accès à Internet, à l'école ou chez eux. A la maison, Internet est surtout utilisé pour le fun (comme les réseaux sociaux), tandis qu'à l'école (ou à la bibliothèque) il est utilisé pour le travail.
La plupart des jeunes sont très actifs sur plusieurs plateformes de réseaux sociaux en même temps.
Facebook est la plus utilisée: la plupart de ceux qui ont Internet y ont un compte et le visitent 4 fois par semaine. Facebook est populaire parce qu'il permet un interaction à grande échelle avec ses amis.
Par contre, les ados n'utilisent pas Twitter. La plupart ont créé un compte, mais ils laissent tomber le service quand ils se rendent compte qu'ils ne vont pas le mettre à jour (surtout parce qu'ils préfèrent envoyer des sms vers leurs amis que vers Twitter avec leur forfait).
De plus, ils se rendent compte que personne ne regarde leur profil, donc leurs "tweets" n'ont aucun intérêt.

En dehors du social networking, Internet est surtout utilisé comme source d'information pour différents sujets. Pour chercher sur le web, Google est l'outil le plus utilisé: tout simplement parce qu'il est connu et facile à utiliser. Certains ados achètent sur Internet (sur des sites comme eBay), mais dans un faible pourcentage, parce qu'il faut une carte de crédit pour payer et que la plupart des ados n'en ont pas.

Enfin, de nombreux jeunes utilisent YouTube pour regarder des vidéos (en général des "anime" japonais qu'il ne peuvent voir nulle part ailleurs), d'autres comme un lecteur de musique avec de la vidéo, pour écouter de la musique en fond.

Annuaires
Les ados n'utilisent jamais les vrais annuaires (comme les pages jaunes). Notamment parce qu'ils présentent des services comme les promoteurs immobiliers ou les fleuristes, qui ne leur servent à rien. Ils n'utilisent pas non plus les services de renseignement de type 118 parce qu'ils coûtent cher et que l'on peut trouver la même info gratuitement sur Internet juste en cherchant sur Google.

Marketing viral et affichage publicitaire
La plupart des ados adorent le marketing viral, parce que les contenus sont en général intéressants et amusants. Par contre, ils trouvent les pubs sur les sites Internet (bannières, pop-up) ennuyeuses et sans intérêt, ils ne leur prêtent aucune attention et ils les reçoivent tellement négativement que personne ne les suit.

L'affichage publicitaire ne suscite pas beaucoup d'intérêt chez les jeunes, mais parfois il crée un débat (comme par exemple avec les pubs Benetton). La plupart des ados ignorent les panneaux publicitaires traditionnels parce qu'ils les voient partout et que, généralement, les pubs ne leur sont pas destinées (sauf pour les films).
Cependant, des campagnes comme celle de GTA IV (un jeu vidéo, NDLT), avec les personnages peints sur la façade d'un immeuble, créent de l'intérêt parce qu'elles sont différentes et qu'elles poussent les gens à s'arrêter et à penser à la pub, les incitant peut-être à aller plus loin.

Musique
Les jeunes écoutent beaucoup de musique, en général tout en faisant autre chose (comme voyager ou utiliser leur ordinateur). Ce qui fait qu'il est difficile de savoir quelle est la part de leur temps utilisée pour cette activité.
Ils sont très réfractaires au fait de payer pour la musique ( la plupart d'entre eux n'ont jamais acheté un CD) et une grande majorité (8/10) télécharge illégalement depuis des sites de partage. Sinon, pour pour avoir de la musique gratuitement et légalement, ils écoutent la radio, regardent les chaînes musicales (pas très populaire: ces dernières ne diffusent de la musique qu'à certains horaires, qui ne sont pas toujours compatibles avec ceux des ados) et utilisent les sites de streaming (comme je les mentionné plus haut).

Presque tous les jeunes veulent avoir une copie de la chanson (un fichier qu'ils peuvent garder sur leur ordinateur et utiliser quand ils le veulent) pour pouvoir la transférer sur leur baladeur et le partager avec leurs amis.

Les outils utilisés pour écouter la musique varie selon le niveau social: les ados issus de familles aisées ont un iPod, les moins riches se servent de leur téléphone portables. Certains utilisent les deux, et il y a toujours des exceptions à la règle.

Certains vont sur iTunes (en général combiné avec leur iPod) pour acheter leur musique légalement mais, encore une fois, c'est impopulaire chez les ados en raison du prix élévé (99 centimes).

Certains utilisent plusieurs sources pour leur musique: parce que le son est meilleur sur les sites de streaming mais parce qu'ils ne peuvent pas écouter les morceaux offline, ils dowloadent le fichier de la chanson mais l'écoutent sur le site de streaming quand ils sont online.

Cinéma
Les ados vont souvent au cinéma, quel que soit le film. En général ils choisissent un film d'abord puis ils sortent pour aller le voir, mais parfois ils vont directement au cinéma et choisissent une fois sur place. C'est parce qu'aller au cinéma ce n'est pas seulement aller voir un film en particulier: c'est une expérience, et c'est aller quelque part ensemble avec ses amis.

Les jeunes vont plus souvent au cinéma quand ils ont entre 13 et 14 ans, mais après 15 ans, ils y vont beaucoup moins. Ceci en raison du prix: à partir de 15 ans, ils doivent payer le tarif adulte, qui est souvent le double du tarif enfants.

Il est aussi possible d'acheter un DVD piraté du film au moment où il sort en salles, ce qui coûte bien moins cher qu'un ticket de cinéma, ces jeunes choisissent donc souvent cette solution, plutôt que de le voir en salles.
Certains préfèrent le télécharger sur Internet, mais ils sont en général de mauvaise qualité, doivent être vus sur un petit écran d'ordinateur et il y a toujours le risque de récupérer un virus.

Téléphonie mobile:
99% des ados ont un téléphone portable, et la plupart des téléphones ont de nombreuses capacités.
De l'avis général, les Sony Ericsson sont supérieurs aux autres, en raison de leurs nombreuses fonctionnalités, du walkman inclus et de son prix (110£ pour un milieu de gamme).
Parce qu'ils savent qu'ils risquent de le perdre facilement, les ados ne dépensent pas plus de 200£ pour leur mobile.
Et ils ont des forfaits sans abonnement, parce qu'ils ne peuvent pas s'offrir un abonnement mensuel, ni souscrire à un engagement de 18 mois.

La plupart du temps, ils utilisent leur téléphone pour envoyer des textos et passer des appels. Les fonctionnalités comme appel vidéo ou message vidéo ne sont pas utilisées, parce qu'elles coûtent cher (vous pouvez avoir 4 textos normaux pour le prix d'un message vidéo).
Les services de messagerie instantanée sont utilisés, mais pas par tout le monde. Il faut pour cela que le téléphone soit compatible Wi-fi, parce que ça coûte très cher d'aller sur Internet avec son téléphone.

Comme la plupart de leurs téléphones supportent le "bluetooth", et comme le "bluetooth" est gratuit, ils l'utilisent souvent. C'est utilisé pour pour envoyer des chansons et des vidéos (même quand c'est illégal), et c'est un autre moyen pour les jeunes d'avoir des chansons gratuites.

Les jeunes n'utilisent jamais les services d'achat de sonnerie ou d'images, très populaires au début des années 2000. Ceci en raison d'une très mauvaise presse (par exemple des services à 20£ la semaine pour lesquels il était difficile de se désabonner) mais aussi parce qu'ils peuvent récupérer musique et images sur leur ordinateur et les transférer vers leur téléphone gratuitement.

Les emails mobile ne sont pas utilisés, les ados n'en ont pas besoin: ils n'ont pas besoin d'être connectés à leur boîte mail tout le temps parce qu'ils ne reçoivent pas d'emails importants.
Ils n'utilisent pas non plus les fonctionnalités Internet parce qu'elles coûtent trop cher et, généralement, s'ils attendent une heure ils pourront les utiliser chez eux sur leur ordinateur. Et ça ne leur pose pas de problème d'attendre, parce qu'ils n'ont rien de particulièrement urgent à faire sur Internet.

Enfin, les ados ne changent pas souvent de téléphone, en général tous les deux ans. Ils en changent à l'occasion de leur anniversaire quand leurs parents leur achètent un nouveau téléphone, parce qu'ils n'ont généralement pas assez d'argent pour s'en offrir un.
Télévision: la plupart des ados ont une TV, et migrent de plus en plus vers des écran plats HD. Cependant, peu d'entre eux utilisent les fonctionnalités HD, les chaînes de télé HD étant plus chères. Nombre d'entre eux ne veulent pas souscrire à ces programmes HD parce que les pubs sont diffusées en basse définition, ce qui fait qu'ils ne peuvent pas voir la différence.

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Ordinateurs:
Tous les ados ont accès à un ordinateur connecté à Internet, mais la plupart ces ordinateurs sont juste configurés pour des tâches basiques et usuelles. Presque tous ont installé Mircosoft Office, pour pouvoir faire leurs devoirs chez eux. 9 ordinateurs sur 10 possédés par les ados sont des PC, parce qu'ils sont bien moins chers que les macs et parce que les ordinateurs de l'école tournent sous Windows.

Consoles: Près d'1 tiers des ados ont une console récente (moins de 2 ans et demi): 50% ont une Wii, 40% une XBox360, 10% une PS3. La PS3 est moins bien représentée en raison de son prix élevé (300£) pour une configuration et une ludothèque équivalente à la XBox 360, beaucoup moins chère (160£). La domination de la Wii est due à la présence frères et soeurs plus jeunes dans la famille: ils ont une Wii et les parents ne sont pas prêts à payer pour une nouvelle console.

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Qu'est-ce qui est hot ?

- Tout ce qui a un écran tactile
- Les téléphones mobiles ayant d'importantes capacités pour la musique
- Les outils qui peuvent se connecter à Internet (iPhones)
- Les télés à écran géant ("Really big tellies")


Qu'est-ce qui ne l'est pas ?

- Tout ce qui a des fils
- Les téléphones avec des écrans noir et blancs
- Les téléphones "briques" encombrants...
- Les outils qui ont une batterie de moins de 10 heures....

Mise à jour 10/09/09: à lire, sur Read Write Wen, une bonne synthèse des études sur les habitudes de consommation de la "Génération Y"

samedi 4 juillet 2009

Ce que nous apprend Twitter


Qui n'a pas entendu parler de Twitter ?
Twitter existe depuis 2006, mais ce n'est que depuis 2009 que, dans les rédactions, on ne parle (presque) plus que de ça (le reste du temps, on parle de la fin des journaux ou de modèle économique défaillant sur Internet...).
La "révolution Twitter"...: en juin 2009, l'expression a fait le tour des conversations sur le Web et dans les médias.

Que s'est-il passé ?

Il y a eu, bien sûr, l'élection américaine, en novembre 2008, qui a démontré la capacité de ce service de microblogging à diffuser un nombre incroyable d'informations plus rapidement que les médias traditionnels.

Juste après, il y a eu la crise terroriste à Mumbai. Laquelle a surtout montré les limites de la révolution Twitter: Twitter n'est pas un canal d'infos, c'est un bistrot mondial où s'échangent des contenus qui nécessitent une vérification.

Et puis il y a eu l'élection et la révolte iranienne en juin 2009.

Et là, on est monté d'un cran.

Pourquoi ? Parce que cette fois, les journalistes, écartés par le régime, ne pouvaient pas couvrir l'événement.
Résultat: Twitter s'est imposé comme la source d'information N°1.

A tel point que, le 18 juin, The Economist titrait "Twitter 1 - CNN 0" !

CNN qui, dans le rush du direct, a même utilisé Twitter comme source de témoignages, mais sans toujours vérifier... (CNN a également reçu près de 6000 contenus amateurs via sa plateforme participative iReport et diffusé 180 après vérification).

Privés d'infos de première main, les médias n'avaient pas le choix, constate le New York Times. Les médias sociaux étaient une source incontournable.

Près de 480.000 personnes ont participé à la conversation sur Twitter sur l'Iran, entre le 7 et le 26 juin.
Plus de 2 millions de tweets ont été partagés. Une grande partie d'entre eux étaient des "re-tweets", c'est à dire des duplications de tweets originaux (source : Web Ecology Project: "The Iranian Election on Twitter").

Twitter a également permis d'accélerer la diffusion de documents amateurs photo et vidéo. On retiendra la terrible scène de la mort de Neda Soltani, filmée par plusieurs téléphones portables.

Difficile de savoir combien, parmi les 480.000 "twitterers", tweetaient depuis l'Iran. Sans doute très peu. Plutôt des étudiants, déduit Gilles Klein sur son blog. Selon une analyse rapportée par le NY Times, il y avait 19235 utilisateurs de Twitter en Iran en juin, contre 8654 à la mi-mai.

D'ailleurs, note Francis Pisani, Twitter a surtout permis à l'info de circuler dans le monde, pas tellement aux manifestants de s'organiser... Et, tempère Slate.fr, il a aussi pu être utilisé pour désinformer...

Peut-on parler de révolution ?

C'est une vieille manie des observateurs d'Internet. Tout est "révolution". En fait, le Web procède surtout par "accélérations".

Comme le Web 2.0. avec les plateformes participatives (YouTube, blogs) et l'arrivée du haut-débit, le troisième cycle du web, via Twitter et le iPhone, n'est qu'une accélération des principes fondateurs d'Internet: la communauté, le partage et l'info en "live".

Mais c'est de cette accélération que procède la révolution qui s'opère aujourd'hui dans l'écosytème de l'info.

Quelles sont les clefs de cette révolution ?

1- Twitter = live.

Un tweet, c'est 140 signes maximum. C'est la culture du sms appliquée à l'écriture en ligne. Tout va plus vite. On écrit l'actu en live, comme elle vient, sans aucun souci de construction. La construction du contenu n'est plus grammaticale, elle s'incrit dans le temps, elle devient vivante et sociale.

2- Twitter = fragmentation.

Conséquence : Twitter pousse à l'extrême la fragmentation de l'information. On descend toujours plus bas: aux premiers temps d'Internet, c'était le site qui primait.
Mais avec le Web 2.0 (2005), dominé par l'efficacité diabolique de Google, on est descendu jusqu'au contenu: je ne cherche plus le site, mais le contenu qui m'intéresse.
Le post, l'article est devenu le centre de la navigation sur le web.

Mais Twitter nous emmène plus loin: demain, ce sont les commentaires, la mise à jour, et les liens qui prendront le dessus.

2- Twitter = partage.

Avec le micro-blogging, la notion de "site" s'efface donc devant celle de "lien", de partage.

Pourquoi Twitter a-t-il été autant utilisé pour l'Iran ? Parce qu'il échappait plus facilement à la censure parce qu'il était partout. Contrairement aux apparences, Twitter n'est pas un site de contenus, c'est un process, un système.
On peut consulter et produire ses tweets sur Twitter, évidemment, mais aussi depuis des dizaines de plateformes, de sites, de widgets, d'applications différentes...

Cela va profondément modifier l'architecture et les process des médias dans les prochaines années.

Mais aussi ceux des moteurs de recherche.

3- Twitter= hashtag.

Le hashtag est un mot clef accompagné du signe "#" (#tag), que l'on place au début de son tweet afin de créer des fils de conversation (avec un moteur de recherche, on peut alors visionner tous les articles utilisant ce mot-clef) .

Ainsi, l'article s'efface-t-il au profit du "topic" (sujet): un process communautaire où l'info est mise à jour, commentée et partagée par une communauté, à l'intérieur du "topic".

4- Twitter= copier-coller.

Twitter est le temple de ce nouvel usage de l'info: le copier-coller. On appelle ça "re-twitter", ou "RT". L'internaute reproduit à l'identique un tweet écrit par un autre, dans le seul but de le partager et d'en discuter avec sa communauté.

Les vieux médias ont le copier-coller en horreur. Notre culture même nous invite à considérer la copie comme une pratique négative (il est interdit de copier au bac...).
(Et je ne parle pas d'Hadopi...)

Et pourtant... Toute la culture d'Internet se concentre dans ce crime de lèse-droits d'auteurs: je re-copie un contenu, non pas pour le voler mais pour le partager et en parler avec mes amis.

5- Twitter= info sociale.

Car Twitter n'est pas un média. On ne lit que les contenus de ses "amis", les personnes que l'on a choisi de suivre. Il n'y a plus de mainstream. Plus d'info descendante, plus d'info de masse. C'est de l'info partagée.

De l'info sociale, c'est à dire une info qui sert de support à une sociabilisation: elle ouvre une conversation, elle me fait rencontrer d'autres personnes, elle est plus pertinente parce que prescrite par un ami.

5- Twitter = reply.

C'est une fonction essentielle de Twitter, que l'on trouvait déjà sur YouTube. Sur Twitter, on peut créer un contenu en "réponse" à un autre contenu. Ce qui crée des chaines de contenus qui échappent complètement au process classique de hiérarchisation. C'est l'accélération de la conversation. Chaque contenu est une partie d'une conversation qui, elle même, est devenue l'écosystème dans lequel l'info se distribue.

6- Twitter = info non vérifiée.

Une fois encore, je risque de choquer. Mais Twitter, comme YouTube en son temps, valide l'idée d'une information brute, qui ne procède pas du travail d'un journaliste. Une info qui, non seulement circule entre les individus, mais échappe de plus en plus à la lourde logique du journaliste vu comme "médiateur" entre l'info et le lecteur.
Une info est-elle une info si elle n'a pas été vérifiée par un journaliste? Dave Winer, l'un des inventeurs du flux RSS, pense que oui...

7- Twitter = attitude active.

Je pense que nous ne sommes pas au bout de la révolution de l'info.
Nous allons passer d'une culture de l'info certifiée à une culture de l'info partagée. C'est à dire à une culture de la désintermédiation et de l'info multi-sources.

Y-a-t-il danger ? Oui, comme dans toute transition. Et la capacité des médias à s'adapter sera déterminante dans cette phase critique de libéralisation extrême.

Nous verrons ainsi l'émergence d'une culture de la méfiance, ou (pour être plus positif) de la vigilance accrue face à l'info. Qui me dit ça ? Et pourquoi me le dit-il ?

Nous assisterons à la constitution d'un lectorat de moins en moins passif face à l'information. Chaque lecteur deviendra part du média.

Je vais trop loin ?

(Illustration: Gawker.com, sur l'utilisation de Twitter par CNN)

mardi 9 juin 2009

Oui, mais qui va payer l'AFP?

Je reviens sur les réactions entraînées par mon post de vendredi dernier ("Forçats de l'info: on se pose les vraies questions?"): j'expliquais notamment que ce n'était ni la mission des journaux, ni celle des sites d'info de payer l'AFP puisque leurs dépêches étaient désormais publiques sur le Net (via Google News, notamment) en temps réel.

Sur Arrêt Sur Images, Dan Israël dégaine
:

"Raphaël oublie tout de même qu'une partie de l'information publiée sur LePost provient d'autres sites internet, eux-mêmes abonnés à l'AFP, et qui n'hésitent pas à réutiliser des dépêches d'agence.
Par exemple, on y trouve aujourd'hui un article sur la réaction de Nicolas Sarkozy après la victoire UMP aux européennes, qui cite comme source LeParisien.fr... qui reprend lui même intégralement la dépêche AFP sur le sujet. Autre cas : les résultats de la liste de Dieudonné : LePost cite LeFigaro.fr, qui ne fait que reprendre l'AFP. Et en commentaire, un internaute ne se prive pas de lister sept cas de pillage de dépêches...
Si tous les sites d'info suivaient la logique du Post, comment le site parlerait-il d'actualité ?
"
Comme on ne peut pas commenter les articles d'Arrêt sur Images, je lui ai répondu... sur Twitter:

Oui, c'est un vrai débat, passionnant. Parlons-en !

Depuis qu'Internet est né, la presse a une fâcheuse tendance à fonctionner par murs d'aveuglement. On refuse de voir le problème jusqu'au moment où le mur s'effondre. Puis on refuse de voir le second, etc. Pendant ce temps, des milliers de journalistes se retrouvent au chômage.

Encore une fois, il ne s'agit pas de remettre en cause la qualité du travail des agences de presse. Oui, si l'AFP, Reuters et AP s'arrêtaient demain de tourner, de nombreuses rédactions (mais pas toutes...) seraient en panique.
Evidemment, leur production est vitale pour les démocraties.
Aujourd'hui encore une grande partie du modèle de production de l'info repose sur les dépêches d'agence. Un bien ou un mal, c'est un autre débat. Mais c'est un fait.

Le problème c'est que la révolution numérique à laquelle nous faisons face depuis de nombreuses années a rendu petit à petit d'abord étrange, puis obsolète, le mode de financement de cette impressionnante machine à informer que sont les agences de presse.

En off, le patron d'un grand quotidien national, il y a quelques mois:

- Je paie 1 million d'euros pour les dépêches d'agences. Avec la crise, je me demande si je ne devrais pas mettre mon argent ailleurs.

Quelques jours plus tôt, le patron d'un quotidien régional :

- Si j'arrêtais l'AFP, je pourrais embaucher 15 journalistes qui iraient chercher de l'info sur le terrain. Je m'interroge très sérieusement.

Pourquoi s'interrogent-t-ils, ces patrons de presse ?

Parce qu'ils ne devraient pas être dans l'actu chaude mais dans l'éclairage, le scoop, le reportage sur le terrain... Et Presse quotidienne régionale plus encore qu'en PQN, les fameuses pages France et International qui coûtent si cher (des staffs de 5 à 10 journalistes qui font du batonnage de dépêches + l'achat de ces dépêches) pourraient être remplacées (s'il faut les remplacer) par une page digest de l'info générale façon revue de presse. Coût : 1 journaliste.

Oui mais en Presse quotidienne nationale, m'a répondu un responsable, même quand on ne fait pas de batonnage, on a besoin de l'AFP comme un filet de protection lorsque l'on traite un sujet. 1 million= 1 filet de protection...
J'ai expliqué que ces infos se trouvaient également sur le Net. Et même en plus grand nombre, si l'on tenait compte de la production foisonnante d'experts et d'indépendants sur les blogs et autres médias web...
Réponse: oui mais, allez demander à mes journalistes de faire de la recherche sur Internet!
Ce n'est donc qu'une question de formation.

Sur le web, même constat:
Nous sortons doucement (enfin, doucement pour Internet) de l'ère des portails d'agrégation, dont ont hérité des sites comme Yahoo, Orange, et même Le Monde.fr. Les internautes venaient lire leurs infos sur 1 média, sur Yahoo et Orange parce qu'ils y trouvent aussi leurs mails, sur Le Monde.fr parce que c'est un média de référence.
On était encore dans un modèle de média de masse: tant de visiteurs uniques par jour viennent sur mon site (on appelle ça l'accès direct), je dois leur offrir toute l'info. Donc j'achète l'info que je ne peux pas produire moi-même.
Aujourd'hui, nous sommes passés, merci Google, à l'ère du contenu. De plus en plus, le lecteur entre sur le site d'info par le contenu.
Pour les sites qui font du canon à dépêches, tout l'enjeu aujourd'hui est de faire en sorte que leurs dépêches AFP soient référencées plus tôt que les dépêches AFP des concurrents!
Pour certains (je n'ai pas les chiffres de tout le monde), l'audience sur ces dépêches commence à s'éroder.
Là, encore une fois, le journalisme de liens peut remplacer les dépêches, et dégager des ressources pour apporter de la valeur ajoutée à l'info.
Journalisme de liens, ce que Dan Israël appelle "pillage". Il s'agit simplement d'une pratique qui consiste à ne plus considérer le média comme un média global de masse qui doit produire toutes les infos, mais comme un ensemble de contenus qui, inscrits dans un réseau, vont aller chercher le lecteur là où il se trouve.
"Cover what you do best and link to the rest". C'est la link economy d'Internet, prônée par Jeff Jarvis et consorts...

Maintenant, la question de mon confrère est pertinente. Mais si les médias n'achètent plus l'AFP, qui va payer l'AFP ? Et s'il n'y a plus d'AFP vers quoi va-t-on faire des liens ?


Si plus personne n'achète l'AFP, alors achetez des dépêches AFP! L'info sera devenue exclusive et tout le monde fera des liens vers vous...

Sauf qu'un seul client ne suffira pas à faire tenir l'AFP.

Qui doit payer ?

- Google ?

- L'Etat ? L'AFP, dont la mission d'information est vitale, doit-elle devenir un service public comme France Televisions ?

- Une taxe Joffrin ?

Une idée ?

vendredi 5 juin 2009

Forçats de l'info, dépêches d'agence, coûts et salaires... on se pose les vraies questions ?


Je ne me suis pas exprimé sur la polémique provoquée par l'enquête édito de mon confrère du Monde sur les "forçats de l'info" (le surnom qu'il donne aux journalistes web).

Rien à ajouter au débat buzz, dont vous trouverez la plupart des éléments dans Libération (ainsi que sur le blog de "misspress", future journaliste web, et sur Rue89).

Rien à ajouter à chaud, parce que l'article qui a mis le feu aux poudres vulgarise caricature à l'extrême une situation complexe. Il simplifie trop (même s'il dit parfois vrai). Et il évite de manière trop évidente la nécessaire remise en question du vieux modèle de journalisme porté par l'industrie de la presse papier, pour nous permettre, nous professionnels de l'info sur le web, de débattre sérieusement d'un vrai sujet: qu'est-ce que le journalisme aujourd'hui ? Quels sont ses nouveaux rythmes, ses enjeux, ses frontières, ses contradictions? Quelle place donnent les médias papier, aujourd'hui dans l'impasse, à sa nécessaire mutation ?

J'ai donc préféré de rien dire (à part constater qu'il s'agissait du premier buzz orchestré (et brillamment orchestré! Sur Twitter!) par un journaliste papier du Monde. Ce qui, d'un point de vue sociologique, est assez intéressant).

Mais si on se posait les vraies questions ? Si on mettait (vraiment) les pieds dans le plat ?

1- Précarité, salaires: dire qu'un journaliste est mal payé, sans contextualiser, ne veut rien dire.
C'est tout le modèle de la presse online et offline qu'il faut prendre en compte, car les "OS" de l'info on en trouve sur le papier, en radio, en télé, comme sur le web, depuis des années. Les grilles de salaires varient selon les médias et leurs modèles d'affaire.

La vraie question à se poser aujourd'hui, pour chaque média c'est: Combien coûte, combien rapporte l'info ? Qui est payé, combien, pour faire quoi aujourd'hui? Pour quels vrais résultats, pour quelle valeur ajoutée ? Sur le web, comme ailleurs (surtout ailleurs), il y a d'importantes lignes de coûts que l'on pourrait supprimer pour les affecter ailleurs.

2- Par exemple: avons-nous besoin de payer (même mal) des journalistes pour reprendre mettre en forme des dépêches AFP ou Reuters?

Cela fait un moment que je pense que le modèle industriel sur lequel s'appuient les agences de presse est mort.

- A quoi ça sert, pour un média papier, de payer 1 million d'euros par an pour des dépêches AFP puisqu'on peut déjà les trouver sur Google ?

Je veux dire par là: pourquoi les publier puisqu'elles sont déjà accessibles (et donc dépassées), et surtout pourquoi payer la consultation sur le fil d'agences quand on peut consulter les mêmes infos, et même plus d'infos, sur Internet ?

Avec 1 million d'euros par an, on paie 15 journalistes.

Je ne dis pas que l'AFP ne sert à rien. Son travail de collecte d'info brute est indispensable. De qualité.

Je dis que la façon dont elle commercialise et distribue son info est obsolète.

Le batonnage des dépêches ne sert à rien. Ce n'est pas une mission pour des journalistes, mais pour des agrégateurs d'infos comme Yahoo ou Google News.
Qui va payer l'AFP ? Je ne sais pas. L'Etat, une taxe, Google... Mais pas les sites d'infos.
Pourquoi ? Parce que ce n'est pas leur mission.

- Un site d'infos qui se passerait des dépêches d'agence économiserait entre 10.000 et 50.000 euros par mois (si je tiens compte des salaires des journalistes chargés de mettre en forme ou d'enrichir les dépêches).

Avec 50.000 euros, on paie une petite dizaine de journalistes. On peut en affecter 1, 2 ou 3 à faire de la veille d'infos et du journalisme de liens pour produire les breaking news. Et le reste à faire : de l'enquête, de la contextualisation, du reportage, de l'animation de communauté, de la documentation etc etc

Quand j'ai arrêté l'AFP et Reuters sur le Post.fr, j'ai embauché deux journalistes et l'audience a grimpé de 25%.



3- Le paysage de l'info a encore muté ! L'info s'est accélérée, elle s'est techniquement scindée en deux.

Quel est ce paysage?

C'est Matt Thomson qui en parle (indirectement) le mieux. Matt a participé au fameux EPIC 2014 (sur l'avenir des médias) et au blog "newsless.org". J'ai eu le plaisir de croiser la semaine dernière.

Sa baseline, provocatrice (et intraduisible!):
"It's time to stop breaking the news, and start fixing it"
Je ne rentre pas dans le détail de son discours, je vous renvoie à ses travaux, mais ce qui ressort de son analyse c'est qu'il y a deux rythmes, deux valeurs d'infos, qui s'entrecroisent:

- Les breaking news, l'info en direct, remise à jour régulièrement. C'est désormais le domaine de Twitter, ce site de microblogging (petits posts de 140 signes) qui, en quelques années, s'est imposé comme le Google de l'info live.

Cela peut vouloir dire qu'il faudra remplacer ces archaïques articles-dépêches qui nous prennent tant de temps, par des "topics" (des fils de news sur un sujet) qui seront mis à jour par des micro-articles de 140 signes (brèves ou liens): par des journalistes, ou par la communauté. Ici, la valeur, ce n'est pas la mise en forme, l'illustration, mais l'immédiateté et la conversation.

- Les "wiki news", l'info façon wikipédia: sur un sujet d'actualité (aussi "chaud" que le crash d'un Airbus, ou sur une temporalité plus large comme la crise financière). Une info ressource, à forte valeur ajoutée, remise à jour avec la communauté, qui contextualise, permet d'aller plus loin, de comprendre, qui sert de ressources et éditorialise les ressources existant sur le web.
C'est aussi l'info de première main, exclusive, de l'enquête, du terrain (web et "in real life"). Le tout compris dans le cadre d'une mécanique d'info en réseau.

On passe du contenu/story au "topic", du contenu/article au process. L'info vivante, communautaire, où la mission du "journalisme" (pris comme une fonction partagée avec la communauté, pas comme un métier) est d'éditorialiser, d'enquêter, d'animer, de rassembler, de copier (si si...) et d'enrichir en permanence.

Alors, prêts à (per)muter ?

jeudi 28 mai 2009

Internet: plus de séniors, plus de CSP-, plus de provinciaux


Les internautes, dix ans après ? Le profil se rapproche de plus en plus de celui des lecteurs de la presse quotidienne régionale!

Alors qu'il était coutume de cibler sur le Net les jeunes, les CSP+ et... les Parisiens, histoire de se rassurer sur le non-cannibalisme du web vs papier ("Ce ne sont pas les mêmes lecteurs", disions nous...), aujourd'hui la donne est inversée :

Internet touche désormais tout le monde.

- Les séniors en tête: les + de 50 ans représentent désormais 29 % de la population connectée. Et le nombre d'internautes de + de 65 ans a été multiplié par 116!

- Les femmes: 48 % en 2009, contre 39 % en 1999.

- Les CSP-, cible oubliée de la plupart des sites d'infos: ils représentaient 13% de la population en ligne en 99, aujourd'hui ils sont à égalité avec les CSP+ à 34 % contre 35 %.

- La province (c'est à dire la majorité des Français): Paris représentait 35% de la population internaute en 99. Aujourd'hui, le rapport est de 20 / 80.

Un portrait d'une France connectée beaucoup plus populaire, beaucoup moins élitiste, et moins urbain (la présence des communes rurales sur le Net a été multipliée par 16 en dix ans). Quelles conséquences pour la pub et les contenus ? Quelles oppportunités pour la PQR ?

Source : Observatoire des Usages Internet (Médiamétrie) (via: JMLeRay)
Photo: Google Street View

mardi 26 mai 2009

Hyperlocal: la presse hedbomadaire régionale mieux que la PQR ?


En tout cas, elle commence à bouger. Et à jouer l'union sur le web plutôt que de tirer chacun dans son camp (vieille habitude de la Presse quotidienne régionale...).

J'ai rencontré ce matin des représentants de l'AEPHR (l'association pour l'étude et la promotion de la presse hebdomadaire régionale), récompensée récemment pour son esprit d'innovation sur le Web.
Je les croyais loin derrière, avec peu de moyens, et j'ai été (agréablement) surpris: par leur dynamisme évidemment, mais surtout par leur volonté d'avancer vite et simplement sur Internet.

La PHR, c'est 250 hebdos locaux en France et 7 millions de lecteurs. Pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont les vrais champions de l'hyperlocal. La plupart de ces journaux couvrent des bassins de population très réduits.
Quand je co-pilotais Vaucluse Matin (qui est un quotidien régional), je me suis beaucoup inspiré du dynamisme du "petit hebdo" régional, la Tribune de Montélimar, qui faisait du +5% par an avec une mise en page absolument abominable, mais avec un vrai sens de l'info de proximité, beaucoup d'intelligence et, surtout, tous les fondamentaux de l'info hyperlocale.

L'hyperlocal est l'avenir de l'info sur le Net, sans doute le secteur média où il y a le plus d'espoir de bâtir des modèles économiques sérieux (proximité, communauté, utile...).

Aujourd'hui, sur les 250 magazines, une quarantaine bénéficie aujourd'hui d'un site internet hyperlocal construit comme un gros blog. Comme celui du "Journal de Millau" ou "Le pays Briard".

Les journalistes ont transformé leur média hebdo en site 24/7, avec entre 5 et 6 infos par jour. Ils font de la vidéo postée sur Dailymotion (plus rarement, ce sont les correspondants locaux qui les envoient), leurs contenus sont géolocalisés (avec une google map) et tagués.
On peut commenter les articles (pas tous, ce sont les journalistes qui décident).
Les sites proposent un agenda participatif où chaque internaute peut proposer son info.

Ce n'est pas révolutionnaire, l'écriture web est encore inégale selon les sites, mais c'est simple et efficace. Et comme tout ce qui est simple, ça ouvre des perspectives.

Pour avancer plus vite, l'AEPHR (qui semble avoir une certaine autonomie dans ses projets) a créé un modèle de sites hyperlocaux prêts à l'emploi qu'elle propose aux hebdos depuis 2008 (pour une toute petite somme : 5000 euros, avec la plateforme de petites annonces!).
Mieux : une animatrice est chargée d'accompagner et de conseiller les journalistes dans leur passage au "live news", au tagage et à la vidéo.

Une version 2 est en chantier et devrait sortir l'année prochaine. L'évolution est clairement communautaire (c'est ce qui manque aujourd'hui sur les sites de la PHR). Un site inspiré de Facebook ou chacun pourra partager ses infos et ses photos.

Quelques chiffres:


L'audience des 40 sites est encore assez faible avec 200.000 visiteurs uniques par mois. Mais les sites viennent à peine d'être lancés. Et la progression d'audience est de 15 à 20% chaque mois.

Les vidéos ont cumulé 600.000 visites sur Dailymotion.

Ce qui marche le plus ce sont les faits divers, bien sûr. Et la vidéo e faits-divers.
Mais pas seulement: une opération sur l'élection online de la personnalité locale de l'année a également fait bondir le trafic.

Pour l'instant, pas de régie pub web. Mais c'est en cours...

A noter que la diffusion papier de la PHR est positive: 1,27% en 2008.

Que retenir de cette expérience plutôt encourageante ?

- Que l'hyperlocal, c'est l'avenir. Que la communauté hyperlocale, ça l'est encore plus.
- Que la PQR devrait s'en inspirer: créer des petits projets hyperlocaux, pas chers, légers, où l'on peut impliquer les rédactions en douceur.