jeudi 12 novembre 2009

Médias : le web sert-il vraiment à quelque chose ?


A entendre quelques patrons de médias au fil de mes rencontres ou interventions en conférence, c'est le sentiment qui domine. Puisqu'il semble acquis (sic) que le web ne servira pas à financer les budgets déficits des journaux ou les budgets des télés, ni même à remplacer le modèle, j'ai la nette impression que la tendance en France dans les médias est au repli. Et qui dit repli, dit pas d'investissement véritable. Pire: pas d'innovation. No future le web ?

Ce que j'entends :

1) "Il n'y a pas de modèle économique viable pour les médias sur Internet. Un visiteur unique rapporte dix fois moins qu'un lecteur. "

2) Donc : "Ne perdons pas d'argent sur le web, il n'y aura pas de retour sur investissement. Le web reste un complément, mais n'a pas à être au coeur de la stratégie."

3) Ce n'est pas nouveau mais ça revient très fort: "Tout ça c'est la faute à Google qui se fait de l'argent sur nos contenus. Google doit payer." Ou: "On va bloquer Google qui ne pourra plus indexer nos infos".

4) "Le Kindle d'Amazon c'est l'avenir de la presse écrite: Il faut juste attendre que ça se démocratise et on pourra à nouveau vendre nos journaux sur Internet."

5) "Le mobile est un réseau beaucoup plus viable que le web: il y a de vrais espoirs de modèles économiques puisque l'on peut faire payer les gens sans douleur, comme sur iTunes".


La réalité:

1) No pub ? Il y a plusieurs idées reçues et contre-vérités dans ce message.



- Oui, si l'on compte en visiteur unique, en passant du lecteur à l'internaute, la recette annuelle est divisée par 20.

- Non, si l'on compte en pages vues. Les calculs d'Olivier Bonsart de Ouest France montrent qu'une page sur le web rapporte plus qu'une page papier. Le problème c'est le trafic, pas assez important. Ce qui ne résout pas le problème, mais permet au moins de relativiser.

- La pub traditionnelle sur Internet est ringarde et inintéressante. Les agences et les régies pub bloquent sur ce modèle (le fameux "display") depuis des années et n'ont pas fait leur révolution, alors que de plus en plus d'annonceurs sont aujourd'hui prêts à se bouger. Il y a encore énormément à expérimenter sur Internet: transformer les marques en média, jouer les médias sociaux, faire du participatif maîtrisé, faire du clef en main, inventer inventer inventer. Mais qui osera bousculer les toutes puissantes agences ?

2) No future ? Arrêtons de considérer Internet comme un média.



Internet est une manifestation du réseau digital, dans lequel nous devons aujourd'hui inclure le mobile. Les médias doivent se mettre en réseau, mettre la digitalisation des contenus et des process au coeur de leurs stratégies. Et envisager les modèles économiques comme un ensemble. Considérer le réseau comme un accessoire, c'est signer son arrêt de mort, son bannissement de la sphère du consommateur et de l'annonceur.

3) No Google ? En 2009, la presse se cherche encore des coupables. Au lieu de s'inspirer du modèle Google, elle en fait un bouc-émissaire.



Ce mois ci Ruppert Murdoch (Wall Street Journal, Fox...) a menacé Google de ne plus rendre les contenus de ses médias accessibles par le moteur de recherche, qu'il traite de pilleur. Réponse de Google : pas de problème!
Suicide mode d'emploi...

4) No free model ? Autre option, très "Murdoch Style" aussi: faire payer les contenus actuels. Aucun modèle grand public ne fonctionne réellement, mais tout le monde en parle. Tout le monde travaille dessus. C'est évidemment très compliqué. Même Murdoch temporise...



Ce n'est pas le principe du payant qui pose problème. On peut faire payer des tas de choses sur le web, à commencer par des services. Le problème, c'est de vouloir faire payer l'info: dans un environnement où toute info est publique et accessible gratuitement (chez l'émetteur de l'info ou ailleurs) en 30 secondes, quelle est la valeur de l'info ? Que faire payer ?

En France, j'ai vu passer des projets, parmi les sociétés de journalistes, qui me font hurler de rire frémir: "Les éditeurs de presse pourraient s'accorder, au sein des associations professionnelles nationales et internationales, pour renoncer collectivement à la gratuité de l'information en ligne." Help !



La solution finale (si j'ose dire) ? Le e-paper. Là, c'est sûr, les gens vont enfin acheter le journal!
Pour preuve: le succès du Kindle d'Amazon (très relatif, aucun chiffre n'est disponible), lancé récemment en France.
Miracle en vue ?
Le problème est encore celui de la valeur de l'info, donc de son prix. La valeur d'une info, même présentée sous la forme d'un journal traditionnel sur un écran agréable, n'est pas comparable à celle d'un livre numérique dont le contenu reste (pour l'instant) difficilement soluble sur le réseau .

5) No web ? Ah, le iPhone! Le graal des patrons de médias ! D'abord parce qu'ils ont enfin entre les mains un objet qu'ils comprennent. Le iPhone est à l'Internet ce que la Wii a été au jeu-vidéo. C'est l'émergence d'une économie des "casual" internautes. Tout le monde comprend la Wii, même les séniors.



Le mobile va en effet bouleverser l'écosystème de l'info parce qu'il accélère les logiques du réseau, mais aussi parce que l'outil est beaucoup plus proche de l'utilisateur, beaucoup plus accessible que l'ordinateur.
Il est vrai que les mobinautes paient facilement les applications iPhone. Pour autant, ce n'est pas un modèle en soi, ni un modèle unique.
Et les usages mutent à vitesse Grand V sur le mobile. Pour l'instant, une appli par média. Demain: à nouveau les agrégateurs ?

Et vous, vous en pensez quoi ?

16 commentaires:

Rosselin a dit…

Le Net peut enrichir beaucoup les médias traditionnels.

Il est désormais au coeur de l'info et du débat. Les médias traditionnels doivent travailler avec. Produire et éditer leurs contenus avec lui.

L'existence des médias traditionnels se justifie dans le futur parce qu'ils seront un des moyens de restituer l'info et le débat qui circule et s'enrichit sur le réseau.

JR

Adriano Farano a dit…

Mes dernières rencontres confirment le désarroi ambiant chez les patrons de presse. Mais sont-ils vraiment à blâmer ? Et puis ils ne sont pas les seuls : les pure players aussi se plaignent des mauvais scores de la pub : aux confrères de rue89 on avait parlé du "nirvana" du 1M de VU avant de se rendre à l'évidence.
Chez cafebabel.com nous avons du internaliser la publicité - et nous avons pu le faire grâce à générosité de la Knight Foundation (qui sponsorise également le community-funded spot.us). Nous avons fait ça parce que - et je vous rejoins - les agences, tout comme les régies, ne sont pas prêtes à une e-pub de qualité, conversationnelle (cf. Federated Media aux USA).
Le problème n'est donc pas celui d'une guerre de religion entre les apôtres du gratuit et les chantres du payant. L'urgence - celle de la construction du modèle économique - se situe plutôt, pour moi, à deux niveaux :
- nous les webby devons faire preuve de pédagogie pour que les patrons de presse ne tombent pas dans le réflexe de la Ligne Maginot
- eux, les "vrais", devraient ouvrir leurs portes à la culture web, faire du métissage entre grands groupes et nouvelles idées.
Pour moi, c'était ça votre expérience chez Le Post, non ? Et votre modèle économique tient la route, d'après ce que j'entends.

Pierre Chappaz a dit…

Bravo pour tes analyses qui sont toujours aussi pertinentes Benoit. Je suis de plus en plus pessimiste sur l'avenir des groupes de medias traditionnels. Ils sont culturellement inaptes à épouser le web, comme IBM était incapable de prendre le virage du PC, ou Microsoft celui d'Internet. Au-delà du gap culturel qui les handicape, il y a effectivement les chiffres: il est difficile, presque impossible, pour leurs financiers, leurs commerciaux et leurs dirigeants, de considérer Internet comme LA priorité quand le chiffre d'affaire du papier est tellement plus important. En plus, en France, ils sont drogués aux subventions publiques. Quand ils se réveilleront il sera trop tard.

Olivier Bauchat - ProXiti a dit…

Le Net est désormais incontournable. Tous les autres médias (Presse, TV, Radio) y font constamment référence.

Comme le souligne Rosselin, il est maintenant le coeur non seulement de l'actualité, mais aussi de l'analyse et de la référence.

Il est aujourd'hui inconcevable de construire une stratégie pour un média sans placer la présence web au centre.

Évidemment cela nécessite de bousculer les paradigmes et les idées reçues de ceux qui contrôlent encore les vieux médias.

Derrière cela, le point principal, le nerf de la guerre, c'est le financement de l'information qui doit rester comme vous le soulignez, gratuite pour exister.
Et pour cela il faut aller trouver de nouveaux relais de croissance.

Je plaide pour ma paroisse, mais l'Hyperlocal en fait partie et vous devez bien le savoir pour l'avoir expérimenté en PQR.
Aux Usa, de nombreuses initiatives sont menées sur ce terrain. (cf Jeff Jarvis)

Le mobile est un leurre pour les médias. L'information, tout comme la publicité y sera contrôlée par google qui y a déjà posé sa patte en rachetant admob.
Pour le moment, c'est apple qui semble dominer, mais les autres fabricants vont évidemment répliquer en proposant des OS plus ouverts avec des applications gratuites. Sans compter que Free va prochainement arriver sur le créneau et bousculer les monopoles en place.

Le financement de la vieille presse à coup de subventions gouvernementales ne pourra pas la sauver indéfiniment. Nombreux sont ceux qui vont rester sur le bord du chemin parce qu'ils n'auront pas osé ou su innover à temps.

M. Raphaël, vous qui êtes d'ordinaire plus volontaire, on perçoit dans vos propos comme une certaine amertume.
Il faut avoir espoir en l'avenir, il y a tellement d'opportunités à saisir et de grandes choses à construire dans le domaine de l'information sur le net.

Unknown a dit…

Ce n'est pas que nos patrons sont moins bons qu'ailleurs mais, face à Google qui investit tous les domaines d'activités possibles et pertinents (n'oubliez pas que Google Analytics informe Google de toutes les tendances utilisateur), les patrons peuvent se sentir démunis. Pourtant avec des ressources humaines ceci n'est pas un si grand problème :)

fredericsidler a dit…

Le lectorat est hyper fragmenté. Le web n'est qu'un canal de distribution supplémentaire. Il faut continuer à livrer du papier à ceux qui le veulent, mais surtout être présent dans les nouveaux médias. C'est clair que si l'éditeur ne connaît pas son lectorat, c'est difficile à imaginer.

Le problème est que pour limiter la casse, les éditeurs coupe dans le personnel et pour continuer à faire un 32, 36, 40 pages comme avant, les sécrétaires de rédaction vont chercher de plus en plus d'informations dans les fils d'agences (AFP, ATS, etc.) Le contenu est donc du contenu que l'on a déjà vu à maintes reprises et qui n'intéresse personne.

Enfin, les journalistes "old school" ne sont toujours pas ouverts à la critique et il est souvent impossible de répondre à un article via des commentaires. L'engagement du lecteur est très important, car c'est lui ensuite qui va devenir l'ambassadeur de votre marque.

Unknown a dit…

Le problème, c'est qu'on est encore en plein dans la transition. La situation est donc TRES difficile pour les "pure players", qui sont encore des avant-gardistes. Les mieux lotis devraient être les journaux papiers, qui peuvent (et DOIVENT) donner à fond dans l'innovation web, tout en se reposant sur les revenus du papier qui subsistent, en attendant que le nouveau modèle économique se définisse (régies pub qui petit à petit vont adapter leur offre, audience web qui va mécaniquement augmenter avec la prochaine génération): certains semblent prendre le virage (NYTimes, The Guardian, Elpais), d'autres (comme le dit Pierre Chappaz) se réveilleront trop tard (aïe les français...). Reste le problème des journalistes "old school", qui freinent l'innovation sur le web... mais ceci dit, je vois plutôt ça comme un signe positif: si ce sont eux le problème majeur, y'a qu'à attendre qu'ils partent. Transition longue et difficile... il faut laisser le temps faire son œuvre.
@adriano: exactement, pédagogie d'un côté et ouverture de l'autre, et dans quelques années on y verra plus clair.

Anonyme a dit…

Pourquoi est-il si problématique de parler de la modération sur LePost? Pourquoi tous les messages qui posent la question de savoir si elle est effectivement sous traitée à une société de Puteaux, qui délocalise à l'Ile Maurice, au Maroc à Madagascar ou ailleurs sont-ils systématiquement supprimés? C'est pourtant pas interdit par la Charte.
Je viens vous poser la question ici, car il n'y a aucun moyen d'avoir la réponse sur LePost. Excusez du dérangement.

JA_FS a dit…

... le modèle qui consiste à attendre que les anciens arrêtent de tout bloquer... on a vu plus innovant ! même si je suis d'accord avec vous à propos de la situation en France...

même au Washington Post ça bloque en ce moment : http://seekingalpha.com/article/174676-washington-post-print-heads-vs-web-heads?source=feed

Dominique Bannwarth a dit…

Les journalistes détiennent à mon sens une part importante de responsabilité dans l'évolution non seulement de la presse, mais aussi et surtout du rapport du citoyen à cette denrée universelle mais irremplaçable: l'information.
Bien sûr, on entend dans les groupes de presse, petits et grands, des réflexions sur l'inefficacité en terme de revenus de remplacement des développements sur internet par rapport aux métiers traditionnels (notamment du papier). Bien sûr, le marché publicitaire n'est pas ce gâteau qui grossirait miraculeusement pour permettre à tout le monde - même en période de crise - de compenser des pertes sur des marchés traditionnels par de nouveaux centres profits...
Non, au fond, ce qu'il faut certainement se dire aujourd'hui, c'est qu'il faut complètement réinventer le rapport du média aux consommateurs et aux citoyens. Internet, la téléphonie mobile, l'e-paper, les readers... ce ne sont que des éléments d'une boîte à outil dont il faut évidemment tenter toutes les fonctionnalités. Mais l'essentiel d'un métier ce n'est pas l'outil, c'est la création de l'artisan, de l'ouvrier, de l'ingénieur... Autrement dit, inventer de nouvelles pratiques journalistiques, sur tous ces nouveaux supports, repenser complètement nos organisations, nos moyens, ajouter de nouvelles compétences aux ressources humaines (pas seulement investir dans les technologies mais aussi former aux pratiques)...
Tout cela ce sont bien sûr des mots. Mais si les journalistes se remettent vraiment en question, sans que cela ne servent simplement aux éditeurs d'alibi pour dégraisser et réduire les masses salariales, nous pouvons certainement relever ce défi. Mais il faut sûrement y aller très vite...

Julia a dit…

Bonjour,

Je fais partie de l'association dixiemefamille.com et je compte sur le web pour la faire connaître.

Elle met en relation des personnes via internet pour qu'elles mutualisent leurs compétences afin d'aider une dixième famille en situation de détresse sociale.

A l'occasion du Téléthon elle organise un événement le 5 décembre au théâtre Kiron (75 011). Sans ressources financières, nous envoyons nos invitations par le web et nous espérons fédérer de nombreuses personnes autour de ce projet.

Internautes, vous êtes d'ailleurs cordialement invités à relayer l'info et à participer à notre événement inédit et solidaire.


Plus d'infos sur ce lien :

: http://www.dixiemefamille.com/public/inc/include_jg/programme%2024-11.htm

Merci,

Julia

Olam haba a dit…

Je crains que la pub et l'actualité ne forment un couple maudit tout du moins sur le web.
Des sites comme "le journal du net" ou "l'internaute" semble tenir la route sur le plan financier.

yadongbizz a dit…

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