mercredi 25 juin 2008

Télé sur le web: et si FullHdReady avait raison?


La nouvelle a fait rapidement le tour du Net: FullHdReady, le zappeur le plus célèbre du web (plus de 11 millions de téléchargements de vidéos en 72 jours, et plus de 80.000 par jour) a été banni de la plateforme vidéo Dailymotion, mardi 24 juin.

Informaticien de 47 ans, FullHdReady avait publié sur son compte Dailymotion plus de 2300 extraits d'émissions de télévision (parmi elles, la fameuse annonce de la fausse-mort de Pascal Sevran par Laurent Ruquier sur France 2). Une activité intense (plus de 6 heures par jour) et très appréciée des internautes, notamment des blogueurs. Ces derniers pouvaient en effet, grâce au lecteur embarqué de Dailymotion, publier sur leurs blogs des séquences d'actu filmée ou de plateaux tv afin d'en débattre avec leurs lecteurs.

On comprend évidemment la situation délicate dont découle l'argumentaire normatif de Dailymotion: afin de monétiser leur audience acquise en grande partie grâce aux internautes rippeurs d'émissions de télé - comme FullHdReady ou Hakim93200 (dont le compte vient aussi d'être supprimé)-, les plateformes historiques d'hébergement sacrifient désormais leurs anciens "alliés" pour survivre. Elles n'ont pas le choix.
"Certaines chaînes ne veulent pas que leur contenu soit repris et diffusé, d'autres s'en accommodent. Dans le cas de FullHdReady, nous avons reçu beaucoup de notifications et nous avons supprimé son compte", rapporte le Pdg de cette start-up française, concurrente de YouTube.

Cependant, doit-on s'arrêter là?
Finalement, que nous révèle le phénomène FullHdReady? Lisez plutôt les réactions de soutien largement majoritaires des internautes à l'annonce de son bannissement :


"Merci FullhdReady pour tous ces bons moments enregistrés !" (Ozap)

"Ce que je comprends pas c'est que les chaines se plaignent alors que ce sont des 'extraits' des émissions et jamais des émissions en intégralité. A ce compte là on devrait interdire "Le Zapping" de Canal et autres principes du genre. Et puis surtout ça fait selon moi plus la pub des émissions qu'autre chose. Par exemple à force de voir des vidéos de Zemmour, l'internaute pourrait être tenté de regarder l'émission de Ruquier en entier... Enfin bref, la seule chose que j'ai vraiment envie de dire, c'est merci pour le boulot et les vidéos misent à disposition. Bravo fullhdready, et j'éspère à bientôt sur le net ;)" (Ozap)

"Dailymachintruc n'applique pas la loi, mais, l'interprète. Et la notion du droit à l'information ? Pas un mot. Dailybidule se moquerait-il d'un des piliers de la DÉMOCRATIE ?" (Le Post)


c'est lamentable ! Grâce au St Bernard, nous avions toute" l'actualité à portée d'oeil ! je n'arrive pas ^à accepter ce genre de punitions/privations ! Zyva Full HDReady ! ” (Le Post)





A observer le succès de FullHdReady et les témoignages de soutien qui ont accompagné son éviction, on ne peut que constater que cet informaticien passionné de télé répond à un véritable besoin d'information. Il remplit un vide. L'actu est n'est pas seulement devenue télévisuelle, c'est la télévision elle-même qui est devenue génératrice d'actualité.

Lorsqu'une personnalité fait une déclaration tonitruante sur un plateau de télévision, lorsqu'une chaîne d'info en continu diffuse des images d'une catastrophe, ou l'interpellation du président par un marin-pêcheur, l'internaute a pris l'habitude d'aller sur Internet pour en voir un extrait, et en débattre dans les commentaires ou les forums.
Et il va chez FullHdReady parce que les médias traditionnels ne proposent pas ce service d'information.

Sur Internet, les médias et les blogueurs (ils sont nombreux) qui pratiquent le zapping ne rentrent pas "légalement" dans le cadre du droit de citation. Sans accord des ayant-droits (les télévisions, notamment), ils se heurteront toujours à l'épineuse question des droits de diffusion. Et pourtant... ne remplissent-ils pas, à leur manière, une mission d'information? Leur tort est d'être en avance sur les pratiques de demain. Mais c'est souvent ainsi que les choses avancent. Quand les médias piétinent, les usages bousculent.

Ce n'est pas le seul exemple sur le Net.

Le débat mérite donc d'être posé, sinon on continuera à reculer. En interne, les professionnels de la vidéo sur le Net (y compris ceux qui modèrent sur leurs plateformes) reconnaissent la réalité et la pertinence de ces usages, tout en regrettant l'incohérence de la situation. Alors?

Lorsqu'un événement survient sur les chaînes de télévision, les internautes ont-ils droit à l'information ou est-ce le droit de diffusion qui prend le dessus?

Le site d'infos Le Post, qui a vocation à étudier les nouveaux usages en matière d'information pour expérimenter de nouveaux formats a décidé, depuis un mois, d'accompagner l'activité de FullHdReady.

A sa manière, FullHdReady a certainement contribué à la promotion de certaines émissions de télévision, en livrant en pâture à la viralité du Net les extraits les plus croustillants, les phrases polémiques, les images marquantes, amusantes ou choquantes... Son immense succès montre qu'il répond à un vrai besoin.

Pour le Post, il offre aux lecteurs son regard sur le paysage audiovisuel français, sa sélection, son zapping. Un peu comme celui de Canal+, mais adapté aux formats du web: pas un seul zapping monté, mais des exraits fragmentés, éclatés sur la toile.

Il suit désormais, sur les conseils de la rédaction du Post, un format clairement défini et respectueux du média (court extrait, citation systématique des sources...).

C'est un format que Le Post voudrait poser comme modèle de base, dans le but de travailler, avec les ayant-droits, à une normalisation de cette pratique désormais couramment pratiquée par les sites d'info.

Les médias d'information sur le Net n'ont pas intérêt à piller les télévisions. Par contre, leur mission d'information dans ce nouvel environnement qu'est le Net, les amène à répondre à la demande des internautes. Pourquoi ne pas travailler sur des accords? Tout le monde serait gagnant.

L'intérêt des chaînes de télévision, dans leur bataille contre ceux qu'elles appellent les "pilleurs" d'images est, on peut le comprendre, de maîtriser la dispersion de leurs contenus.
Mais leur intérêt est également de participer à la conversation sur Internet. Le tout est de le faire de façon plus encadrée.
LCI et TF1 commencent à prendre en compte ce nouvel écosystème: ils diffusent désormais sur leur plateforme Wat.tv des extraits de leurs programmes, qu'ils mettent ainsi à disposition des blogueurs pour faire "buzzer" leurs contenus.

(Disclaimer : je suis rédacteur-en-chef du Post, filiale du Monde Interactif)
(Ce Post a été également publié sur Le Post.fr)

dimanche 15 juin 2008

Quand les journalistes apprennent aux blogueurs à devenir des médias


Tandis qu'en France, crise oblige, les journalistes continuent de regarder d'un oeil méfiant les blogueurs, ces "médias amateurs", aux Etats-Unis, la société des journalistes professionnels (society of professional journalists) organise des sessions à 25$ la journée pour former les blogueurs aux bases... de leur métier!

L'objectif est avant tout de les aider à se protéger légalement: s'ils ne sont pas professionnels, ils n'en sont pas moins des "publishers", des médias. Ces trois dernières années, plus de 100 jugements ont été rendus contre des blogueurs pour un total de 17 millions de dollars, rapporte Robert Cox, president de la "Media Bloggers Association". 60% pour diffamation, 25% pour des infractions aux droits d'auteur, et 10% pour des atteintes à la vie privée.

L'autre objectif est également de les sensibiliser sur leurs droits, sur la liberté d'informer, mais aussi de leur apprendre les techniques de base du métier de journaliste.

Cinq sessions au programme donc:

  1. L'éthique journalistique
  2. La loi
  3. Où trouver les bonnes infos, les bonnes sources
  4. Les techniques de base du reportage
  5. Tour d'horizon des technologies à utiliser

Autrement dit, tous les outils pour faire de ces blogueurs amateurs et potentiellement concurrents des médias dignes de confiance.

Voici le crédo de la société des journalistes professionnels (SPJ):

"Plus il y aura de couverture de l'information, mieux le monde se portera. Avec l'Académie du journalisme citoyen, la SPJ veut aider à toute personne voulant pratiquer le métier, de le faire efficacement, et de façon responsable.
La SPJ entend aider les participants à comprendre comment les pratiques responsables les aideront à atteindre leurs objectifs et les aideront à gagner une solide réputation journalistique au sein de leurs communauté et dans le monde."

D'aucuns diront que ces journalistes se tirent une balle dans le pied. D'autres répondront qu'ils refusent au contraire de se mettre des oeillères et essaient d'apporter une pierre au nouvel édifice de l'information.

A l'heure où les grandes rédactions commencent à licencier leurs journalistes après avoir taillé autant qu'elles le pouvaient (syndicalement) dans les effectifs techniques, où 40% des grands journaux américains perdent aujourd'hui de l'argent (Jeff Jarvis), et où l'on commence à se dire que cette masse grossissante de journalistes sur le bord de la route ne pourra jamais être absorbée par Internet, l'initiative de la SPJ est particulièrement intéressante... et symptomatique du changement profond, très profond, qui est en train de s'opérer dans la profession.

A lire (et voir) également, la session de formation en ligne pour les "journalistes citoyens" sur le site de Knight Citizens News Network, ainsi que la vidéo d'introduction de Jeff Jarvis, professeur de journalisme et blogueur. Il explique en substance que les blogueurs doivent apprendre à rester "safe" (à se sécuriser) et qu'ils doivent surtout continuer de publier toujours plus...

Enfin, un exemple intéressant de journalisme citoyen local est à découvrir sur ce site d'infos à but non lucratif: sur ChiTown Daily News, 77 bénévoles relaient l'info hyperlocale à Chicago. Le fondateur fait participer ses journalistes citoyens aux sessions de formation de la SPJ...

Quel rôle reste-t-il donc aux journalistes ?
On peut déjà se dire que:

  • Il y aura sans doute plus d'infos, mais moins de journalistes qu'avant
  • L'apport et la distribution d'informations sera de plus en plus partagée entre les citoyens et ce que nous appellons aujourd'hui "médias"
  • La notion même de média va encore évoluer profondément
  • Les journalistes, qui n'ont plus le monopole de l'info, n'auront peut-être plus le monopole du tri et de la vérification.
  • Ils perdront aussi le monopole de ce nouveau rôle qu'on veut leur faire jouer: animer des communautés, faire circuler les infos de la communauté. La communauté s'en charge parfois toute seule. Des outils comme Friendfeed vont dans ce sens.

Et s'il fallait raisonner autrement? Ne pas se demander s'il reste encore un métier de journaliste, mais considérer dans sa globalité ce nouvel environnement d'informations. Et s'interroger sur la meilleure manière de le faire fonctionner pour que la liberté d'informer en sorte renforcée. Une chose est sûre, semblent-dire Jeff Jarvis et la SPJ: plus ils y aura de citoyens pour couvrir l'information, mieux le monde se portera. Une fois que l'on a posé cela, quelles nouvelles règles, quel nouvel écosystème mettre en place pour que cette liberté ne se transforme pas en brouillard, source de toutes les manipulations ?

Que pensez-vous de tout ça?