mercredi 31 mars 2010

Les mirages de l'iPad


Qu'on ne s'y trompe pas : je serai l'un des premiers à faire la queue pour acheter l'iPad à 9h, samedi à New York.
Un produit créé par un homme qui est à l'origine de 4 révolutions des usages , ne peut pas être boudé. Steve Jobs est en effet le créateur du Macintosh, de l'iPod, de l'iPhone. C'est même lui qui a "fait" les studios Pixar.
Bref. Quand Steve Jobs sort un nouveau jouet, il n'est pas naïf de se dire qu'il a peut-être encore mis le doigt sur le point de rupture d'une nouvelle révolution.
Mais de quelle révolution parle-t-on?
Depuis la présentation de l'iPad lors de la dernière keynote, une sorte de frisson irrationnel parcourt la sphère des médias traditionnels: avec l'iPad, les non acheteurs de journaux et de magazines papier vont enfin se remettre à acheter nos produits.
J'ai même entendu (de mémoire): Le web, c'est fini. C'était un mauvais cauchemar. Nous allons pouvoir nous remettre au travail comme avant et vendre nos journaux. Le iPad, c'est le nouveau kiosque à journaux.

C'est tout le mal que je leur souhaite. Pas plus que vous je ne m'amuse du fameux "Papercuts" qui, faute de financement (et d'innovation) jette sur le pavé des milliers de journalistes aux US. En France, je rencontre de plus en plus de rédac-chefs papier en recherche d'emploi, de réductions d'effectifs dans les rédactions, de désarroi face à une révolution qui bouleverse les modèles sans apporter de solution économique viable.

Soit.
Je suis également impressionné par la démonstration de Sports Illustrated, ou par celle de Wired, un peu moins par celle de VIV, qui me fait penser à nos bons vieux CD Rom...

Je suis convaincu que les perspectives de micropaiement offertes par le système iTunes sur iPhone (et demain sur iPad) ouvrent une nouvelle voie pour faire payer les utilisateurs.

Je trouve également passionnant le succès (aux US) du Kindle d'Amazon: 35% des livres achetés sur Amazon sont des e-books. Ce qui est énorme. Et prouve que la digitalisation de la lecture est désormais irréversible.

On se dit que pour les journaux, l'équation serait idéale, inespérée: même si Amazon et Apple se prennent une belle commission sur les ventes, les quotidiens économiseraient le coût de la fabrication et de la distribution (soit une économie de 60 à 70%).

Sauf que...

1- Un livre n'est pas un journal. L'usage est différent. Le contenu est différent, évidemment. Mais l'usage, surtout, est différent.
Demandez vous pourquoi la vente de la version e-paper du journal Libération sur iPhone, pourtant simplifiée par le micro-paiement iTunes et une belle interface, ne marche pas. Et je ne parle pas de la future appli du Monde, sur le même modèle.

2- Il y a de plus en plus d'applications de médias. Nous passons de l'infobésité (trop d'infos) à l'appli-bésité (trop d'applications iPhone). Trop d'infos= besoin de tri. Il sera difficile de vendre un quotidien ou un magazine tout-en-un comme avant à des lecteurs habitués à picorer les contenus au fil de la journée, au fil des suggestions de leurs twitter, facebook (qui a dépassé Google News en renvoi de trafic), netvibes... Dans la Top List des applications iPhone, on voit de plus en plus d'agrégateurs d'infos qui sélectionnent les meilleurs contenus des sites et des journaux. Des sortes de Google News pour iPhone...

3- Le marketing des applications iPhone va ressembler de plus en plus à celui de l'édition des livres ou des jeux vidéos: si vous voulez vendre votre appli, vous devez la placer dans le Top10 dans les 3 première semaines. Sinon elle tombera dans les limbes de l'Appstore. Vous devrez également placer votre produit sur d'autres appli, sous forme de pub, ou d'appel contextualisé par exemple, pour essayer de tenir le plus longtemps possible. Ce phénomène va aller en s'accentuant.

4- La vraie révolution de l'iPad (et de l'iPhone), est bien celle de l'interface. Nous sommes passés de l'ère du site web, à celle du portail, puis à celle de l'info liquide. Les supports nomades tactiles signent le retour de l'interface. Une interface qui ressemble à la "vraie vie", qui nous rapproche des gestes quotidiens... Le quotidien "The Sun" ne se trompe pas quand il compare le papier à l'iPhone dans cette vidéo parodique.
Ce n'est en effet pas tant le contenu que l'on va vendre, que l'usage appliqué à ce contenu facilité par l'interface.

5- Sauf que l'iPhone et l'iPad sont des outils connectés.
Ce qui nous ramène à l'info liquide, en live, hyperdistribuée sur les médias sociaux. Mais à travers une expérience utilisateur révolutionnée par l'interface.

6- Cela veut dire que:

- Ce ne sont pas les journaux ou les magazines portés sur e-paper (avec des vidéos et une architecture CDrom) que l'on va vendre, mais des interfaces agréables et élégantes qui donneront un accès de qualité (expérience, valeur ajoutée, tri...) à une information en réseau.
- La durée de vie de ces appli va faire que ces interfaces risquent d'être "jetables", le contenu restant liquide, et qu'elles devront être en permanence packagées et repackagées, comme on le fait aujourd'hui pour des hors-séries et les verticaux.
- Il faudra penser ces interfaces tactiles connectées comme des produits en soi, qui tirent parti de ce nouvel environnement. Et pas simplement faire un portage du papier à l'iPad, ce serait reproduire l'erreur des journaux dans les premiers temps du web.
- Il faudra notamment recruter des game designers, ces professionnels de l'expérience utilisateur dans le jeu vidéo.

7 - Si la presse écrite ne fait pas ça, si elle ne comprend pas quelles révolutions des usages entraînent le succès des smartphones et des tablettes tactiles (posez vous la question: qu'est-ce qu'un produit d'info sur un device tactile nomade en réseau?), d'autres le feront. Et prendront la place des leaders, comme les pure-players l'ont fait sur le web.

Bref, l'i-Pad sauvera peut-être la presse, si la presse arrête de s'accrocher à ses anciens modèles.

mardi 30 mars 2010

Pour une charte des droits sur Internet (Jeff Jarvis)


Je relaie ici la proposition de Jeff Jarvis (auteur de "What Would Google Do") de rédiger, à l'instar de la charte des droits de l'homme, une "charte des droits dans le cyberespace".

Sa proposition est évidemment à discuter et à enrichir. Mais l'inscription d'une telle charte à l'Onu par exemple, permettrait d'installer un certain nombre de réalités. Et de faire comprendre qu'Internet n'étant pas juste un média, mais un accès à un réseau d'échanges d'informations, d'idées et de contenus, la protection de l'accès à ce réseau est devenue indispensable.
Pas très à la mode, ça, en ces temps troublés d'Hadopi et d'Acta.

Voici les propositions de Jeff, et mes commentaires:

1- Nous avons le droit de nous connecter
"C'est un préalable et une condition incontournable au principe de liberté d'expression: avant de pouvoir nous exprimer, nous devons pouvoir nous connecter.
Hillary Clinton définit ce droit comme "l'idée que les gouvernements ne devraient pas empêcher les citoyens de se connecter à Internet, aux sites, ou entre eux". "

En France, on voit que ce droit est sensiblement remis en cause depuis la loi Hadopi qui prévoit de couper l'accès à Internet aux internautes qui auront téléchargé illégalement des contenus. Couper Internet, c'est couper l'accès à l'information. C'est comme couper l'eau. Ajout (merci Authueil): C'est d'ailleurs ce qu'avait exprimé le 10/06/09 le Conseil constitutionnel saisi après le vote de la loi Hadopi 1, reconnaissant ce droit fondamental (assimilé au droit à la liberté d'expression et de communication).
A l'aune de la reconnaissance de l'accès à Internet comme un droit, cette mesure sévère pose toujours la question de la proportion entre la sanction et l'infraction (si tant est qu'on ne discute pas la caractérisation même de l'infraction: pirater ou partager?).

2- Nous avons le droit de nous exprimer
"Personne ne doit pouvoir léser notre liberté d'expression. Les contraintes à cette dernière doivent être limitées au minimum."

La question pouvant être celle-ci: les canaux de diffusion de l'info se rapprochant de plus en plus des mécanismes du peer-to-peer (d'internaute à internaute VS diffusion de masse), du privé-public, le principe de neutralité du Net doit-il nous inciter à donner plus de souplesse aux conversations sur le réseau qu'on ne le donne médias ? Ou pas, tout étant public donc soumis aux mêmes règles de publication ? Ou alors, a minima, devons-nous mettre en place des règles de publication préalable à toute expression libre (une connection préalable à un forum fermé par exemple permettrait de passer de la sphère publique au "privé collectif"...)? Ou bien doit-on tout laisser ouvert et mettre en place une charte de balisage, comme je le proposais dans mon dernier post ?

3- Nous avons le droit de nous exprimer dans nos langues.
"La domination de la langue anglaise s'est estompée au fil de l'arrivée de nouveaux langages sur le Net. Ce qui est une bonne chose. A condition que, dans cet Internet polyglote, nous puissions bâtir des ponts entre les langues. Nous voulons parler dans nos propres langues, mais aussi nous parler entre nous".

C'est l'un des grands enjeux de ces prochaines années. Et un levier de développement non négligeable des médias Internet notamment, dont les modèles économiques souffrent de l'étroitesse des marchés nationaux. De nouvelles technologies permettent désormais de traduire simultanément des vidéos (en analysant le texte) dans plusieurs langues. Reste à améliorer les traductions en temps réel, un peu comme cela se pratique dans les congrès, le Web étant une sorte de conférence transnationale. Pour cela, il faudra s'appuyer sur les algorithmes et les communautés.

4- Nous avons le droit de nous assembler
"L'Internet nous permet de nous réunir sans passer par des organisations et de collaborer. Cette possibilité est menacée par certains régimes, autant que la liberté d'expression."

C'est une des particularité d'Internet: la mise en réseau simultanée des données et des individus a ringardisé le mode d'organisation des associations loi 1901, jusqu'aux traditionnelles manifestations dans la rue. Plus liquides, ces capacités de réunion offertes par Internet sont à la fois plus puissantes (parce que diffuses et spontanées), mais aussi plus fragiles (moins organisées).

5- Nous avons le droit d'agir
"Ces premiers articles sont une suite : nous nous connectons pour nous exprimer et nous assembler, et nous nous assemblons pour agir, et c'est comme cela que nous allons changer le monde. Pas seulement mettre en avant les problèmes, mais se donner les moyens de les régler. Voilà ce qui menace les institutions qui voudront nous stopper."

6- Nous avons le droit de contrôler nos données
"Vous devez pouvoir accéder aux données vous concernant. Ce qui vous appartient vous appartient. Nous voulons qu'Internet opère comme un principe de portabilité, ainsi vos informations et vos créations ne seront pas prisonnières d'un service (privé) ou d'un gouvernement, ainsi vous garderez le contrôle. Sans oublier que quand le contrôle est donné à quelqu'un, il est retiré à quelqu'un d'autre. Le diable se cache dans ces détails. Ce principe fait allusion au copyright et à ses lois, qui définissent et limitent le contrôle ou la création. Ce principe pose également la question de savoir dans quelle mesure la sagesse du peuple appartient au peuple..."

La question du contrôle des données personnelles est plus sensible aux Etats-Unis qu'en France où la loi 'Informatique et liberté" protège les citoyens. En partie, seulement, face à la mondialisation des services sur Internet et à la complexification des échanges sur le réseau.
Plus sensible: la protection et le contrôle de nos créations. De quoi sommes nous propriétaires, que pouvons nous contrôler dans un univers d'échanges et de work in progress, où tout contenu s'enrichit de l'apport des autres ?

7- Nous avons de droit à notre propre identité
"Ce n'est pas aussi simple qu'un nom. Notre identité numérique est faite de nos noms, adresses, discours, créations, actions, connections. Notez également que dans les régimes répressifs, maintenir l'anonymat (c'est à dire cacher son identité) est une nécessité. Ainsi l'anonymat, avec tous ces défauts, son passif et ses trolls, doit-elle également être protégée en ligne pour protéger le dissident et ceux qui dénoncent les pratiques illégales ou immorales dans leurs entreprises ou institutions. Notez enfin que ces deux articles - contrôle de nos données et de nos identités - constituent un droit à l'intimité."

Ces deux articles font référence à la protection mais surtout au contrôle de nos données, de notre identité, de notre vie privée. Ce qui, dans un monde googlisé et facebookisé est de plus en plus délicat. Le Net est transparent, infiniment transparent, ce qui est une bonne chose pour la liberté des citoyens face aux institutions, et pour l'accès à la connaissance et à l'information, donc au pouvoir, donc à la démocratie. Mais ce peut être également terrible pour l'individu s'il n'a pas les moyens de se protéger. Toutes ces questions sont loin d'être réglées. Le risque étant qu'au nom de la protection de l'intimité, on restreigne le droit à l'information. Passionnant débat.

8- Ce qui est public est un bien public
"L'Internet est public. En effet, c'est un espace public (plus qu'un medium). Dans notre précipitation à vouloir protéger l'intimité, nous devons faire attention à ne pas restreindre la définition de ce qui est public. Ce qui est public appartient au public. Rendre privé ou secret ce qui est public sert la corruption et la tyrannie."

C'est tout l'enjeu de la révolution qu'apporte Internet, en bousculant les frontières entre le public et le privé.
Dans quelle mesure la vie privée des hommes politiques, comme leur état de santé ou leurs liaisons, sert-elle l'information ? La question est loin d'être tranchée.

C'est également tout le débat en France sur l'ouverture des bases de données publiques aux citoyens, dont pourraient s'emparer les médias pour développer ce qu'on appelle le datajournalism. Contrairement aux Etats-Unis, les données sont quasi-inaccessibles en France, ce qui constitue pour beaucoup une entrave au droit à l'information.

Mais, au-delà, cette question concerne également celle de la valeur de l'information, de sa propriété, et de ce que peuvent en faire les citoyens. A partir du moment où une information a été publiée, dans quelle mesure puis-je la reproduire pour la partager ? La pratique du partage fait partie de l'ADN d'Internet, elle bouleverse les lois du copyright. Quand les majors et les médias parlent de "copie illégale", les internautes parlent de partage.
La généralisation du "RT" (rendu populaire par Twitter: re-tweeter, c'est à dire re-bloguer, reprendre l'info à l'identique pour la partager tout en la sourçant) va dans le sens d'une indispensable libéralisation du partage de l'information. Ce qui pose la question de la valeur de l'info et de qui la finance, si tout le monde peut la partager gratuitement.

9- L'Internet doit être construit et piloté de façon ouverte
Il doit continuer d'être construit et opéré sur la base de standards ouverts (comme HTML, PHP...). Il ne doit pas être contrôlé par aucune entreprise ou gouvernement. Il ne doit pas être taxé. C'est l'ouverture de l'Internet qui lui donne sa liberté. Et c'est cette liberté qui définit l'Internet.

Internet=liberté. Liberté=Internet. Internet est une précieuse découverte, un incroyable outil d'émancipation et de développement qui doit continuer d'être préservé.
Si les dérives que cette liberté entraîne parfois (et auto-corrige souvent) appellent à une prise de conscience collective, elles ne doivent pas justifier la prise de contrôle des échanges digitaux par un gouvernement ou un lobby. La force d'Internet est d'être un réseau, un nouvel espace, qui échappe aux individus et aux personnes morales. Son déploiement à grande vitesse pose donc continuellement la question du contrôle. Pas seulement du Net (pour les gouvernements et les entreprises), mais aussi de notre propre liberté (pour les individus).

C'est pour cela qu'avant de commencer à parler de devoirs, il faut commencer par les droits. C'est toute la vertu de la proposition de Jeff Jarvis.
Source : "A Bill of Rights in Cyberspace" (Buzzmachine)

mercredi 10 mars 2010

Bruni-Biolay: les limites du bistrot Internet

Loin de moi l'idée de tirer sur Internet. Pas mon genre.
Encore moins de faire la morale aux blogueurs et aux webjournalistes qui se sont amusés autour de cette "loverumor", cette #brulaybullshit au sommet.
Ce qui est intéressant dans la façon dont cette rumeur, qui circulait dans toutes les rédactions (et qui ne s'appuie sur aucune information avérée), est devenu un buzz international via Twitter et quelques médias internationaux peu scrupuleux, c'est ce qu'elle nous dit des usages du web, de ce réseau en mutation.
Et quelles leçons que nous pouvons en tirer.

Alors que la rumeur enflamme le web (voir le graphique Google Trends, ci desssous, reproduit par le site StreetPress qui montre une montée en flèche des requêtes Google sur le sujet) tout le monde y va de son couplet: Internet aurait une nouvelle fois la démonstration de son ADN poubelle. C'est faux. Internet a fait la démonstration de sa "floutitude"... de son insaisissabilité. De son statut à part, liquide, hybride. Et cela devrait entraîner bien plus de réflexion, voir d'humilité, que de leçons de morale.


Jean-Michel Apathie en profite pour allumer le feu. Sur son blog, il s'en prend à ces "amateurs" (comprenez: les blogueurs), "certains internautes" comme il dit, colporteurs de rumeurs, qui osent critiquer les journalistes alors qu'ils feraient bien pire.

Lisez plutôt :
"Des esprits férus de modernité opposent volontiers Internet et le journalisme, les internautes et les journalistes. Les seconds seraient au mieux lourdaux ou paresseux, au pire à la solde des pouvoirs quand les premiers enfin seraient libres et courageux. Le problème des premiers c’est qu’ils ne s’embarrassent de rien, ni de règles ni même de la plus élémentaire des morale. Ils véhiculent tout, le plus drôle comme le plus bête, le vrai comme le faux, le beau comme le moche, sans réfléchir à quoi que ce soit."

Mon ami Guy Birenbaum, que l'on ne peut pas accuser d'être anti-blogueurs (il est plus... sélectif, disons), s'en désole
:
"Les défenseurs les plus acharnés du net – dont je fais partie – ne se rendent parfois pas compte du mal qu’ils lui font. Depuis quelques jours, quelques pyromanes peu inspirés utilisent toutes les ressources du net (Twitter, blogs, etc.) pour propager LA rumeur."

LA rumeur, c'est bien entendu cette prétendue love-affair au sommet de l'Etat qui, à défaut d'être vérifiée, encore moins confirmée, est passée du statut de private joke à une net-polémique.

Je vous recommande à ce propos l'excellent décryptage de Gilles Klein sur "l'itinéraire d'une rumeur". Où l'on comprend, avec un mélange de fascination et d'effroi comment une poignée de tweets (messages postés sur le site Twitter) potaches s'est transformée, outre-manche, outre-atlantique (jusqu'en Inde) en "information".

Que s'est-il passé ?
La rumeur courait dans toutes les rédactions depuis plusieurs semaines déjà. Jusqu'à ce que des journalistes l'évoquent sur Twitter, dès le 26 février.


Ce qui est intéressant, c'est qu'aucun d'entre-eux ne présente la rumeur comme une information. La plupart du temps, on est dans de la conversation entre "amis" (entre "amis Twitter" s'entend!).

Quand Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate.fr, que l'on ne peut pas soupçonner de chercher le caniveau tweete avec humour : "Benjamin Biolay, c'est bien le mec qui...", ou quand Salam93 du Post.fr s'amuse (sans évoquer la rumeur) des allusions cachées chez les présentateurs d'I-Télé, il n'en faut pas plus pour qu'un internaut en tire des conclusions évidemment hatives.

Sur le site de journalisme citoyen Agoravox, l'auteur recoupe ce qui, pour les intéressés, n'étaient que des clins d'oeil amusés, et en conclut qu'il s'agit d'un début d'information:
"Si l’on recoupe ce tweet avec les allusions d’une journaliste de i>télé hier soir (vidéo ci-dessus), les choses se précisent", tranche-t-il. Ce qui est complètement faux. Mais l'auteur prend Internet pour ce qu'il n'est pas. Un média.
Sauf que l'important n'est évidemment pas ce qu'est Internet en réalité, mais la façon dont il est perçu par la plupart des gens. C'est à dire, quand même, un média. Certes, chaotique, mais une forme de média.

Plus intéressant encore, ce blog sur le site du grand quotidien "Le journal du dimanche", qui est un simple contenu amateur hébergé sur la plateforme du site comme chez beaucoup de médias. Sauf que le billet amateur apparait commune une info sur Google News (qui n'est pas géré par un journaliste, mais par un algorithme) :


Depuis, le JDD a supprimé le post. Trop tard.
Il n'en faut pas plus aux médias étrangers pour évoquer un "reportage du grand quotidien français".


Faut-il les blâmer ? Oui, parce que mes confrères d'outre-manche n'ont pas pris la peine de vérifier l'information. Mais oui-et-non parce que la présentation du blog n'est pas claire. La confusion des genres est évidente.

Et, au bout du compte, que nous apprend cette histoire ? Que le web est une poubelle ? Non.
Que les journalistes web sont des inconscients ? On voit bien que la propagation de la rumeur n'a pas été le fait d'un seul tweet, d'un seul billet, mais d'un enchaînement de contenus qui, pris séparément, étaient finalement assez cryptiques, mais qui, de fil en aiguille, par le courant fou du réseau, s'est transformé en quelque chose de beaucoup plus structuré.

Bienvenue dans le monde de l'info en réseau.

Ce que l'on apprend, c'est que l'on n'a pas fini d'apprendre justement. Internet, qui n'est pas un média, est une sorte de bistrot. Mais qui n'est pas qu'un bistrot. C'est un réseau au sein duquel les frontières entre discussion privée, publique, information, publication, réseau public/privé n'est pas encore claire.
Et qu'Internet mute à une telle vitesse que les usagers n'ont pas le temps de se forger des armes pour apprécier à leur juste valeurs les contenus et les humeurs qui s'échangent sur le Net.

Tiens, Facebook, c'est quoi au fait ? Un réseau privé ou public ? Qu'est-ce que je peux dire à mes amis au bistrot que je ne peux pas dire à mes amis sur Facebook ? Oui mais si je connecte mon facebook à mon blog ? Et Twitter alors ?
Compliqué.

Ce qui est passionnant, encore, c'est que même les avis sur la propagation de la rumeur (qui est parfaitement contraire à la loi actuelle) ou même sur la simple conversation publique/privée autour du sujet, sont partagés.
Sur son blog, le journaliste Olivier Bonnet (dont le billet a bizarrement été modéré sur LePost), trouve le buzz exemplaire, pour une fois:
"Pas d’accord, Messieurs, c’est le juste retour de bâton : après avoir vendu à l’opinion la love story conte de fée entre le président et la chanteuse mannequin, complaisamment exposée dans le but d’améliorer l’image de Sarkozy et d’en tirer des bénéfices politiques, qu’il souffre aujourd’hui que la même opinion apprenne la suite (gênante) de l’histoire. Pris au piège du storytelling, confronté à la prosaïque réalité."

Je ne sais pas s'il a raison ou tort. Je pense aussi, comme Guy Birenbaum, que certains amateurs et professionnels ont joué avec le feu.
Non, ce que je trouve intéressant, c'est que le débat a eu lieu.
Et pour qu'il ait lieu, il fallait qu'il "sorte" sur Internet. Ce qui pose des problèmes de déontologie, de moralité et de légalité... certes.
Mais.

Internet n'a pas fini de nous suprendre.

Alors que faire ?

Ce que nous apprend cette histoire, c'est que nous allons devoir travailler sur la clarté du web. Internet est un espace en création, en mutation collective. Il n'est pas étonnant, il n'est pas malsain non plus, que des conversations comme celle qui agite les moteurs de recherche aujourd'hui, se retrouvent dans les réseaux sociaux et les forums. Parc qu'Internet est un réseau, pas un média. Le problème, c'est que les balises se mettent en place moins vite que les usages.

Il va falloir sans doute "baliser" Internet, à défaut de vouloir en faire à tout prix un espace de publication traditionnelle. Quand je vais dans un bistrot, je sais que je vais dans un bistrot, et je sais faire la différence entre ma station de radio et mon bistrot.
Sur le Net, c'est plus compliqué.

Qui devra créer ce balisage ? La communauté, comme cela s'est toujours fait ? L'Etat ? Les journalistes ?

La discussion est ouverte.

mardi 9 mars 2010

La jurisprudence Tiscali va-t-elle tuer les blogs ?


On n'a pas assez parlé des conséquences de la jurisprudence Tiscali. Les répercussions directes de cet arrêt de la Cour de Cassation (la plus haute juridiction) sur les hébergeurs de blogs, de forums ou de vidéos, mais aussi sur les médias qui cherchent à se lancer dans le participatif, sont pourtant loin d'être anodines.

A l'occasion d'un petit-déjeuner organisé par Médias et Liberté, j'ai rencontré ce matin l'avocat Pierre Saurel, spécialiste de ces questions, avec qui j'ai évoqué l'impact de cette loi sur l'avenir des médias sociaux.

Que dit cette jurisprudence ? Dans un arrêt rendu le 14 janvier 2010, la cour de Cassation remet en cause le statut d'hébergeur de la société Tiscali en tenant cette dernière pour responsable des contenus postés sur les pages personnelles des internautes qu'elle hébergeait.

Le statut d'hébergeur est défini par l'article 6.I.2 de la loi LCEN (Loi sur la confiance dans l'économie numérique) du 21 juin 2004: les prestataires d'hébergement (plateformes de blogs, sites d'enchères comme eBay...) ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait des informations qu'ils stockent s'ils n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère.

En gros: un hébergeur de blogs ne peut être tenu pour responsable a priori des propos tenus par les blogueurs sauf s'il a été alerté du caractère illicite des contenus. Dans ce cas, il se doit d'agir avec diligence...

Dans l'affaire Tiscali, la Cour de cassation propose une interprétation très stricte de la loi, et considère que, dès lors que l'hébergeur de blogs propose autre chose que de simples prestations techniques de stockage, en l'occurrence de la publicité sur les pages personnelles des utilisateurs, il perd son statut d'hébergeur.

Ce qui revient à dire que, dès lors que vous affichez de la publicité sur vos blogs, vous passez d'hébergeur à éditeur. Vous êtes donc directement responsable de tous les contenus hébergés chez vous: posts, commentaires, vidéos, tweets, flux rss...

Depuis janvier 2010, donc, les hébergeurs de contenus générés par l'utilisateur, médias ou simples hébergeurs, sont placés directement sous la menace de centaines de procès. Pour y échapper, ils doivent dès aujourd'hui:

- Ne plus afficher de publicité sur les pages de leurs blogs, ni permettre l'affichage de publicité (Google ads, notamment) par les blogueurs eux-mêmes.

- S'ils ne le font pas, ils doivent alors modérer a priori tous les contenus de ces blogs. C'est à dire: interdire la publication tant que le contenu n'a pas été contrôlé par un modérateur.

Mais on peut même aller plus loin: tous les commentaires devraient être modérés a priori, puisque des publicités sont également affichées sur les pages où ils figurent.

L'ambiguité de l'arrêt de la Cour de cassation laisse également penser qu'à partir du moment où l'hébergeur propose des services allant au-delà des simples fonctions techniques de stockage (par exemple une fonction permettant de faire buzzer son contenu sur Facebook?), il risque de perdre la protection offerte par le statut d'hébergeur.

C'est compliqué, mais presque gérable pour des médias , le modèle économique et éditorial ne repose pas exclusivement sur l'hébergement de blogs. Il leur suffira de ne pas afficher de publicités sur leurs blogs, sauf s'ils ont été vérifiés par la rédaction ou modérés.

Ce sera par contre beaucoup plus difficile (sinon impossible) pour les plateformes d'hébergement de blogs comme Overblog ou Blogger, mais aussi les sites d'agrégation de blogs comme Wikio, dont le modèle repose sur la publicité.
Des systèmes de filtres existent (et Google est le plus actif dans ce domaine), mais ils coûtent très cher et ne suffisent pas à passer au travers de toutes les gouttes.

Wikio avait pourtant été rassuré par un jugement rendu par le tribunal de Nanterre le 25 juin 2009, lequel le délestait de la responsabilité d'éditeur.
Mais l'arrêt Tiscali change tout.
Ce qui explique la colère de son patron, Pierre Chappaz. Le Net-entrepreneur relève sur son blog que "si toutes les fois qu'un citoyen publie un contenu illégal, c'est non seulement lui qui est attaquable mais aussi les services qui distribuent ce contenu (plateformes de blogs, forums, facebook, google, wikio ...), ces services ne peuvent plus exister. Sauf à mettre en place une censure massive."

La question est bien là. Comment réagira désormais un hébergeur lambda devant les contenus publiés par ses blogueurs s'il se sait responsable a priori de tout ce qui est stocké chez lui ?
Comment réagira-t-il face à la subtilité d'un billet de blogueur d'attaquant à un homme politique ou à une entreprise ? Prendra-t-il le temps (s'il en a les compétences et les moyens...) de tout vérifier ? Ne sera-t-il pas tenté de refuser de publier tout contenu lui paraissant dangereux ?

C'est l'application du principe de précaution à la liberté d'expression.

Un principe déjà pratiqué a posteriori cette fois par un certain nombre de plateformes d'hébergement de vidéo au moindre mail de protestation...

Pierre Chappaz souligne par ailleurs que "le conseiller en charge des questions de propriété littéraire et artistique de la cour de cassation est Marie-Françoise Marais, la présidente de la HADOPI. "...

Pas étonnant.
Le ton est donné. Le contenu généré par l'utilisateur est dans le collimateur des gouvernements et des industries de la culture et des médias.

Et la tendance n'est pas prête de s'inverser.

On assiste en effet depuis quelques mois à une remise en cause de plus en plus violente de ce que d'aucuns n'hésitent pas à appeler la "poubelle du Net". Une hallali qui s'arme de l'instauration d'un contrôle de plus en plus agressif des contenus circulant sur le web: loi Hadopi (contre le piratage), remise en question du statut d'hébergeur (une commission travaille d'ailleurs en ce moment à la réforme de la loi LCEN) et, plus largement, de la neutralité d'Internet (la discussion est en cours au gouvernement)...
Le tout au nom de la protection des personnes et des biens.
Il est légitime de ne pas vouloir faire du Net un espace de non-droit.
Le problème, c'est la disproportion et l'inadéquation de la réponse à ce qui est, et restera quoi qu'on fasse, une révolution inéluctable des usages.

Selon le dernier rapport d'Ipsos, les Français veulent de plus en plus à se prendre en main, ils exigent le "juste prix" (quand ils ne refusent pas tout simplement de payer), réclament de la transparence et revendiquent un droit de contrôle sur le politique, les produits et les services.
Ils réclament aussi le droit de copier-coller, car l'une des révolutions les plus dramatiques apportées par le numérique et Internet, c'est cette capacité à copier n'importe quel contenu, texte, photo, vidéo, audio, et de l'envoyer à n'importe qui dans le monde.

Ce que médias et lobbies appellent le "piratage", la nouvelle génération le nomme "partage", et le pratique comme la chose la plus naturelle du monde. Ce pouvoir du copier-coller qui remet en cause tout le système de production de la société de consommation et d'information, est l'attaque la plus violente contre l'industrie culturelle et des médias.

En face, les moins agiles sont entrés dans une guerre de tranchée dont l'enjeu est clair: la reconquête du contrôle. La maîtrise des circuits de production et de distribution. Les récentes lois Hadopi (contre le piratage) et Loppsi (qui instaure une surveillance par l'Etat des ordinateurs privés par l'installation de "mouchards"), tout comme la remise en question du statut d'hébergeur (qui fragilise les nouveaux acteurs de la production et de la distribution des contenus) vont dans ce sens.

C'est une réaction naturelle, souligne Eric Scherrer qui, sur son blog, rappelle le combat désespéré des anciens copistes face à l'industrie de l'imprimerie, il y a... 600 ans.

Depuis, la révolution a fait son chemin.

Mise à jour : l'arrêt Tiscali, précise Pierre Chappaz dans les commentaires, se réfère à une loi antérieure (lire l'avis de Me Rouillé-Mirza ici), les faits s'étant déroulés avant le vote de la loi LCEN. Cela veut dire que la jurisprudence peut encore s'infléchir, lorsqu'il s'agira d'affaires postérieures à 2004. Rassurant ? Pas vraiment.
1) Un arrêt de la Cour de Cassation n'est jamais innocent.
2) Les arguments de l'arrêt Tiscali ne sont pas vraiment contredits par la LCEN. Cet arrêt marque une tendance, qui pourrait être validée par une simple mise à jour.
3) La tendance est clairement au renforcement des textes sur ce sujet. Cela fait un moment que le gouvernement veut réviser la loi LCEN. La réflexion est toujours en cours.

mercredi 3 mars 2010

Des envies...



Quitter un média que l'on a fait naître, ce n'est jamais simple. Mais je quitte Le Post avec le sourire.
C'était une aventure extraordinaire, une aventure humaine avant tout, lancée en 2007 avec Bruno Patino, alors président du Monde Interactif, Dao N'Guyen (qui travaille désormais au Wall Street Journal à New York), Yann Chapellon (qui est en train de révolutionner la PQR dans le Sud-Ouest), Jean-François Fogel (l'une des plus incroyables rencontres de ma carrière), Thomas Doduik (qui a, depuis, mis un peu de "Post" au Figaro.fr où il opère) et une poignée de jeunes journalistes pionniers, Violaine Domon, Pierre Godon, Antoine Daccord (aujourd'hui au Figaro.fr), Alexandre Lemarié, Alexandra Apikian (passée chez Premiere.fr), Angélique Vernier, et mon ancien adjoint Alexandre Piquard, qui assurera l'intérim.

Bruno Patino m'avait dit, la veille de mon embauche qu'il fallait désormais envisager l'info comme une expérience. "Gaming the news", c'était l'un de ses leitmotiv.

Nous avons fait tellement de chemin, depuis.

Volontairement populaires, parce que nous voulions travailler toute la richesse du contenu généré par l'utilisateur afin d'y apporter de la valeur, mais en allant chercher le plus large public, pas seulement les blogueurs, mais aussi ceux n'étaient pas à l'aise avec ces nouveaux modes d'expression.
Comme nos voisins lancés à la même époque (Rue89, Mediapart, Arrêt-sur-Images, Bakchich...) nous avons défriché le terrain des nouveaux usages de l'information.
J'ai personnellement beaucoup appris, sur ce journalisme que nous devons continuer de conjuguer au pluriel.
J'ai surtout beaucoup appris en travaillant avec les internautes qui, sur LePost, sont venus apporter leur contribution. Les blogueurs, Guy Birenbaum en tête, premier à nous rejoindre (avec pas mal de courage), mais aussi les plus de 40.000 membres du site qui, anonymes hier, ont trouvé leur public, parfois leur voie (ou voix?). Ils l'ont fait avec l'aide des journalistes du Post.
Mais ils nous ont aussi aidés à nous remettre en question en permanence et à trouver, nous aussi, notre voix/e.
Et 3 millions de visiteurs uniques.


Aujourd'hui, je pars, en plein accord avec la direction du Monde Interactif. C'est un choix personnel.
Une page se tourne. Un nouveau livre s'ouvre. Pour le Post. Et pour moi. Je pars avec mon sac d'écolier, rempli d'envies à partager.

Je ne vais pas lister mes idées, mes rencontres, mes projets. L'avenir conserve jalousement ses surprises.

J'ai envie de continuer à réfléchir, bien sûr, mais surtout de continuer à bâtir de nouveaux modèles pour l'information. Avant tout, j'ai envie de contribuer à trouver des solutions pour monétiser le journalisme digital. Les pistes sont là, encore vacillantes. La publicité, le tout-gratuit, ne suffira pas.
Sans financement, pas de journalisme. Et dans le mot "journalisme", j'inclus les journalistes, mais aussi les blogueurs, experts, analystes et témoins du quotidien qui, chaque jour, contribuent à tisser la toile de la nouvelle information.

Heureuse coïncidence, ce billet de Seth Godin aujourd'hui: Don't try harder, conseille-t-il, but "try different".

(merci @proxiti pour la référence).

(Crédits photos : Magali Lacroze, Thibaut Binetruy)