mardi 30 septembre 2008

Etats Généraux de la presse: et si on laissait tomber le papier?


Question provocatrice, évidemment... Certains quotidiens ont encore de la marge (mais pas tous!).  
Et, au vu du rapport Giazzi (préambule Etats Généraux de la presse du 2 octobre voulus par Nicolas Sarkozy) qui veut laisser croire (mais qui y croit?) que l'on va régler la crise des médias face à la révolution numérique en favorisant les concentrations, on peut se demander s'il ne serait pas aussi sérieux de juste soupeser la question. Juste comme ça. Pour savoir.

Si, demain, comme la finance aujourd'hui, l'industrie de la presse papier s'effondrait... Si elle n'était plus capable de financer son outil de production. 
Impossible bien sûr... mais au cas où. Disons que... peut-être.

Alors que les rédactions papier accélèrent leur régime minceur aux Etats-Unis (dans un an en France? deux ans?) en fermant bureau sur bureau, en entamant un long et douloureux processus de licenciements massifs (plus de 8000 cette année), et en continuant de perdre des recettes publicitairs (-77 millions de $ sur le print vs + 6 millions de $ sur le web pour le Washington Post en 200è) où faut-il investir? Sur quel modèle se construiront les médias de demain? 

Il y a évidemment une révolution à faire, qui n 'est pas encore faite, et de courageux investissements à engager sur le Net pour éviter la catastrophe. Mais la question qui bloque  reste la même: le modèle économique est-il solide? Aujourd'hui, près de 70% du budget des quotidiens papier va dans la fabrication et la distribution... On pourrait même calculer qu'un certain nombre de postes éditoriaux sont directement liés au modèle papier. Et que (même si les revenus publicitaires du print sont 10 fois supérieurs à ceux du web) on pourrait donc économiser énormément de coûts en se passant de ce vieux support. 
Alors imaginons, juste pour provoquer: Et si l'on décidait d'arrêter le papier pour se consacrer uniquement au web? Est-ce ce que ça serait réaliste? A court terme? Non? Et à moyen terme?

Dans sa dernière chronique, Frédéric Filloux, s'essaie à un exercice audacieux de calcul.
Un peu aléatoire... mais qui a le mérite de poser concrètement le débat.


Il se demande: pourrait-on basculer la rédaction de 400 journalistes d'un grand quotidien national sur un site pure-web ? En gros, peut-on transposer le budget de production d'un média print vers un média web? 
A l'heure où l'on se demande comment la presse papier franchira le rubicon (hausse des coûts de prod, baisse de la diffusion et de l'investissement pub...) dans les deux prochaines années (ce n'est pas moi qui le dit mais la Deutsche Bank) les équations de l'ancien directeur de la rédaction de 20minutes.fr  pourraient en intéresser quelques-uns: 

1- Les coûts?
Filloux calcule : un  média sur le web peut produire une info de qualité équivalente à un grand quotidien papier avec une rédaction d'une centaine de journalistes (plus de la moitié de la rédaction du Monde, par exemple). Soit...

100 journalistes = 6 millions d'euros par an (60.000 € par personne).
Il ajoute, à la louche : 1 million pour la technique et l'infrastructure + 2 millions pour le marketing + 1 million pour l'administratif et le reste. 
Résultat= 10 millions par an.
C'est assez faible comme coûts de production, si je compare aux structures moins lourdes que je connais,  mais soit... considérons que l'on parvienne à trouver une organisation efficace à 10 millions impliquant une centaine de journalistes, en économisant lourdement sur les frais techniques, et externalisant au maximum.

2- Quelle audience pour générer plus de 10 millions de CA/ an?
Nouveau calcul de Filloux: 1 visiteur rapporte en moyenne 0,1 et 0,25€/mois. Pour obtenir 850.000 € par mois (10 millions/an), "il faudrait 8,3 millions de VU par mois". Ce qui est assez approximatif: on peut obtenir un CA pub équivalent avec beaucoup moins de VU, tout dépend du créneau, de la force de la marque et de la position du média sur le marché. 
En même temps, le réservoir pub n'est pas non plus extensible. La pub sur le Net pour les sites de news est encore instable. Et même 8,3 millions de VU Nielsen (ce qui est déjà énorme pour la France) ne seraient pas transformés automatiquement en 850.000 euros...

C'est donc très compliqué. Et Frédéric Filloux d'apporter deux pistes: 
- Ne pas se développer sur un grand média généraliste multithèmes mais plutôt sur le modèle : 1 thématique, 1 site. Avec des rédactions plus réduites mais un potentiel de développement plus important (ex: le Huffington Post, spécialisé dans la politique, qui dépasse le Los Angeles Times, généraliste).
- Diversifier ses revenus: s'appuyer sur le site d'infos pour développer des services. Ce n'est pas nouveau, mais toujours pertinent.

Trois bémols, cependant: 
 Et c'est la limite de l'exercice des chiffres.
1- S'il faut entre 4 et 8 millions de VU rapidement pour éponger les coûts, difficile de le faire sans marque. lefigaro.fr et lemonde.fr ne sont pas en tête uniquement parce que ce sont de bons sites d'infos.
2- Basculer sa rédaction sur le Net? Théoriquement, oui, mais quelle rédaction? Les journalistes print? Je ne connais pas de rédaction papier qui soit en mesure aujourd'hui de faire travailler tous ses journalistes sur Internet (mais je me trompe peut-être...).
3- Enfin, pourquoi une aussi grosse rédaction? 100 journalistes= 100 fois plus d'audience que 10 journalistes ? Certainement pas. Il faut aussi prendre la mesure de la nouvelle mécanique qu'implique Internet. C'est un nouveau journalisme qui émerge sur le web, mais pas forcément qu'avec des journalistes.

mercredi 24 septembre 2008

Now blogging in english


J'inaugure aujourd'hui mon blog en anglais. Une envie d'ouvrir la conversation au delà du microcosme français...
Il ne s'agit pas d'une traduction de ce blog, mais d'une production originale. Une tentative de travailler ma réflexion sur l'avenir des médias directement dans la langue de Shakespeare. Il est cependant possible que je traduise une partie de ces billets en français... vous les retrouverez donc ponctuellement ici, ainsi que sur Mediachroniques

Un immense merci à Antoine Duvauchelle pour les corrections!




What is left to journalists ?

Things have changed. The fact is that the way audience consume information changes the way information is produced and distributed. It changes the people who produce this information and how they do as well.

It changes journalism. It changes journalists. But which journalists?

Let's have a look :

1- When you need 900 journalists to run a print media then put your content online, you don't gain a bigger audience than a thirty journalists media. Anyway, even if you want, you can't build a hundred journalists newsroom because you just don't have the money to.

That's a real threat: this year, in the US, more than 8.000 journalists have been fired in the traditional medias. Will they work online ? No.


A student asked me last month: “But.. If money leaves the print press, it should go to the Internet”. Yes, but money doesn't go to news medias on the Net. It goes to services. It goes to search engines. They are new medias, that trust the ads, but they're not “news” medias. So... less money... less journalists.


2-
Jeff Mignon (in french) and Grzegorz Piechota recently asked the good question:

what is the value of journalism? Jeff asks: Do you think that a news has a value by itself or do you think that the value comes from what you do with this news? At Lepost.fr (the new experimental web media I'm in charge of), we just stopped to pay for the AFP and Reuters feeds because they didn't give any value to our production. You still need breaking news, but they're spread everywhere at the same time. You can even be informed of an event before AP and Reuters just by checking your Twitter account...


And there's a new thing: if you are a mass media, you need to send journalists to cover the event. All mass media do it. Consequently, there are thousands of journalists covering the same event at the same time, releasing the same raw news, photos, videos, at the same time. This is what I call closed medias: print, TV...


In a network environment, sending journalists everywhere just to cover news is a nonsense. Because news are shared everywhere for free, instantly, by journalists and citizens.

There's more and more news shared and spread on the network. For network medias, the job now is: how do I connect these news together to make sense emerging from it? How can I give value to news ? How can I bring new material, best links choice, emotion, analysis, sense among this Internet noise, invaded by several million of news?

Have you got the answer? So, another question: who does this job best?

Who is able to make the most accurate aggregation of news? Who can make the best analysis on the financial crisis? Who can open the hottest conversations about politics? Who will be the best expert about the iPhone (journalists or a mobile phone addict)? And even: who is the best to detect the last important breaking news released on the Internet (at Lepost.fr, we created teams of super readers who alert us whenever they read something interesting on the Net. They're simple citizens, non journalists, but super readers addicted to news...).


Participative medias, bloggers, and medias based on user generated content showed that most of the time, non journalists where more effective to give value to the news. Not because they're not journalists, but because they know what they're talking about, they can bring emotion, authenticity, knowledge. They're experts, they're witnesses, they're addicted to one matter and they know everything about it. So, maybe it is still journalism. But this new “journalism” is not only, at least, a matter of journalists. Here comes the time of shared journalism.

So, what is left to journalists?

Education of citizens to help them bring the news? Investigation?

That's not only a provocative question.

There will be more and more news, more and more “journalism”, but maybe not with the journalists we know today. And maybe not with journalists. Well... not so much.

mardi 9 septembre 2008

Le Post, un an: naissance d'un média ouvert


A une exception près, je n'ai jamais voulu parler sur ce blog de mon expérience au Post.fr. D'abord parce qu'il s'agit d'un blog personnel dont l'objectif est d'ouvrir des conversations sur l'évolution des médias et du journalisme, et qu'il est toujours compliqué de parler de son propre média sans donner l'impression de faire de l'autopromotion.

Néanmoins, cela fait un an, jour pour jour, que Le Post s'est lancé dans la grande aventure du Net. Et j'ai appris tellement de choses, sur des thématiques explorées depuis si longtemps sur ce blog, que je trouvais  dommage de ne pas les partager ici.

(Et puis on m'a demandé d'écrire quelque chose dessus, donc...)

En fait, la vraie date n'est pas exactement le 10 septembre 2007. Nous avons appuyé sur le bouton de mise en ligne, la veille. C'était un dimanche après-midi. Nous étions (moi surtout) dans un état de stress indescriptible. Je n'étais pas loin de m'évanouir. Ces moments de trac sont tellement stimulants. 

Que voulions nous faire à l'époque? Que voulons-nous faire aujourd'hui? Qu'avons nous appris durant ces 12 mois de passion?

D'abord, des chiffres: 
Le 9  septembre, nous avons reçu 1500 visites. Le lundi 10, elles grimpaient à 18.000.
Un an plus tard, nous oscillons entre 160.000 et 200.000 visites par jour, et 400.000 pages vues.
Depuis janvier 2008, le Post.fr enregistre une progression de 20% de son audience, chaque mois. Les chiffres OJD nous créditent en juillet 2008 de 3,8 millions de visites (1,5 million en janvier...), plus de 10 millions de pages vues, nous plaçantpour la première fois devant les sites de l'Express et du Point, et juste derrière celui du groupe Parisien/Aujourd'hui en France.
Même progression sur Nielsen où nous flirtons désormais avec le cap symbolique du million de visiteurs uniques.

Bref, un an après, Le Post.fr, le site laboratoire du Monde Interactif (éditeur du Monde.fr), est devenu un média sur lequel il faudra désormais compter.

En un an, il nous a fallu installer une nouvelle marque dans un paysage déjà saturé. Nous avons dû transformer ce bébé site en un adolescent vigoureux. Mais, surtout, nous voulions inventer de nouvelles pratiques.

Pourquoi, d'ailleurs, une nouvelle marque? Pourquoi un site grand public et pas un média dans la tradition d'audience du groupe qui portait le projet?

Parce que nous avions besoin de cette liberté pour explorer toutes les facettes des mécaniques nouvelles des médias sur Internet.  Nous avions besoin de casser les barrières de l'information traditionnelle : pas de hiérarchie de l'information, pas  de navigation classique,  interfacer l'activité d'une rédaction avec la production de contenus générés par l'utilisateur, voir l'information comme un réseau, sortir du mythe du "journalisme citoyen" pour tenter le pari de la contribution populaire et du journalisme collaboratif.

Pas simple. Pas toujours bien compris. Mais nous n'avons jamais laché. 

Nous avons construit Le Post comme une radio, car la radio est sans doute le média qui se rapproche le plus de la dynamique de conversation du web2.0 (ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'on a comparé les blogs aux premières radios libres) et de la dimension "live" du Net. 

Nous voulions un site qui se rapproche le plus possible du quotidien et du rythme de ses lecteurs: la Une devait aborder les sujets de conversation du moment, ceux que l'on évoque à la machine à café: l'info générale, mais aussi le dernier fait-divers, l'actu locale, l'émission de télé de la veille, un grand débat de société ou le buzz du jour. C'est de cette volonté de coller aux conversations des internautes que découle la dynamique participative.


Qu'avons nous compris finalement ?

1- Que la porte d'entrée du site, ce n'est pas la Une (moins de 20% de l'audience). L'interface de navigation: c'est Google, les autres sites, les flux rss. Et ça change tout. L'info se construit différement, elle ne se distribue plus de la même manière. Elle est liquide, atomisée, hypersegmentée, hypersémantisée (grace aux tags). Sur Le Post, les canaux de distribution des news sont trois fois plus variés que sur les sites traditionnels.

2- L'info n'est plus une info centrée sur une rédaction, elle est une info de réseau. "Do what you do the best, link to the rest" (faites ce que vous savez faire de mieux, faites des liens vers le reste): sur Le Post, la plupart des articles renvoient vers l'extérieur, vers le meilleur du web. Si un média a bien traité un sujet, nous faisons un lien vers lui. Si nous estimons qu'il faut aller plus loin, la rédaction intervient.

3- La participation à l'info est-elle un mythe? Le journalisme citoyen, oui, le média participatif non. Sur le Post, les internautes publient entre 150 et 300 contributions chaque jour. 1/4 des contenus passés en Une sont issus de la communauté. 
Les internautes vont chercher leurs infos sur le Net, les relient entre-eux, les opposent, ils mettent le doigt là où d'autres médias n'avaient rien vu. Excellents lecteurs, ils se faufilent dans les interstices d'une info saturée pour en faire jaillir du sens, et créer de nouveaux contenus. 
Ils ne font évidemment pas que de la veille d'info, ils sont aussi les premiers témoins de leur actualité. Parmi les 100.000 commentaires postés chaque mois, de nombreux témoignages ont été recueillis par les journalistes.


4- L'info échappe aux journalistes. A côté de l'info traditionnelle, jaillit une autre information, brute et non vérifiée. Le rôle des journalistes se re-dessine aux abords de cette nouvelle réalité. Nous avons besoin également d'une nouvelle traçabilité de l'info.

5- Le nouveau métier des journalistes : vérifier et trier mais aussi animer des communautés. Et éduquer les internautes à la production de l'information. Sur Le Post, tous les journalistes animent et interagissent avec des groupes de contributeurs. 

6- La fin des médias ciblés? Plateforme, site communautaire, autant que média d'infos, le Post touche toutes les cibles, toutes les niches, tous les profils. C'est l'info qui vient toucher son lecteur (média des masses), pas le lecteur qui vient s'abreuver à un site d'infos qui lui ressemblerait (média de masse). 

Un an après, le Post s'installe durablement dans le paysage du web français. Il entre dans son âge de raison. Quels nouveaux territoires explorer?

En un an d'expérimentation, le mot "nous" a pris toute sa dimension. Réseau, communauté, conversation, nomadisation, ses déclinaisons ont pris la forme d'un véritable défi:

- Le Post doit rester un média accessible, mais il peut toucher tout le monde. Parler de tout,être une porte d'entrée de la richesse de l'info sur le Net,  même sur des sujets pointus. Et pour cela s'appuyer sur la puissance de la communauté.
- Le Post est donc un média d'infos qui s'appuie sur une communauté: quelles conséquences? Comment faire plus participer la communauté à l'identité du site, à son animation et à sa ligne éditoriale? Mais aussi à sa politique de modération?
- Enfin, quels nouveaux formats d'info pour demain? Nous en avons inventé beaucoup. Et cette année, nous avons fait de la vidéo une priorité: casser les barrières en revendiquant le zapping télévisuel comme un genre éditorial. Et nous venons d'inaugurer cette saison 2 par l'expérimentation d'une nouvelle forme de journal télévisé quotidien sur le web.
- Le mobile, évidemment. Le Post est nomade, une radio participative à laquelle on se connecte de partout. Une version mobile du site devrait sortir très bientôt... et faire parler d'elle...


- Vous pouvez également lire l'interview que j'ai donnée à Laurent François sur son blog "Citizen L." (merci Laurent)