J'ai eu une discussion passionnante cette semaine avec Francis Pisani ("Transnets", un blog du Monde.fr) sur de la meilleure façon de couvrir la crise financière.
Ce thème de la crise financière constitue presque un cas d'école pour le web: c'est un événement majeur, persistant, hyper-présent sur la toile. Cela fait plus d'une semaine que tous les médias et les blogueurs en parlent. Et le web se remplit chaque jour d'une masse d'informations colossale: des infos, des opinions, des analyses contradictoires arrivent de partout, toutes les minutes, jour et nuit.
Quels outils offre Internet pour aider les lecteurs à mieux suivre et comprendre la crise? Et qu'est-ce que ça nous apprend sur nos pratiques?
La crise financière est l'événement idéal pour nous aider à envisager l'info non plus comme un produit, un contenu (l'article, le reportage) mais comme un flux.
Je veux dire : pas seulement un article ou un reportage vidéo que je publierais sur le web une fois écrit.
Mais un flux continu d'infos, d'infos fragmentées (des brèves qui s'enchainent, ou se répondent), apportant au lecteur les meilleurs éléments sur le sujet en temps réel.
Francis m'a expliqué par exemple comment il avait (sur un autre sujet que la crise) demandé à ses étudiants d'utiliser différents outils de micro-blogging pour travailler leurs reportages dans une logique de flux.
Ils ont créé plusieurs comptes twitter (par exemple ici) où ils postaient des mini articles (on appelle ça le micro-blogging) en temps réel, sur le sujet qu'ils couvraient. Ces mini-posts sont également des espaces de conversation puisque, sur twitter, chacun peut se répondre. Ils disposaient également de compte "tumblr" (un outil révolutionnaire et hyper simplifié de micro-blogging), comme celui d'Isabelle ici. Pour chaque événement, il suffit de créer une "room" (un espace) sur le site d'agrégation de flux Friendfeed. Vous avez un fil d'info interactif, vivant, mélant commentaires, reportages en live, citations et journalisme de liens (voir la room des étudiants en journalisme de Science-Po Paris ici. Le fil s'est un peu dégradé depuis le lancement, mais c'est toujours intéressant d'observer la mécanique)
Sur Lepost.fr, nous avons expérimenté cette semaine un bloc live mixant les derniers posts de la rédaction et de la communauté sur le sujet, et une liste de liens présentés sous forme de citation, envoyés en live sur Tumblr par une journaliste et des blogueurs éco. Voici le résultat:
De tous ces exemples je vois deux pratiques émerger, et se croiser:
1- L'info comme un flux : pas un produit, mais un process. Qu'il s'agisse de micro-blogging (via twitter par exemple) pour de gros événements (avec beaucoup de mises à jour et d'infos sur une courte durée de temps, voir par exemple ici le fil "élections USA" de Twitter), ou d'un post considéré comme un "work-in-progress", une sorte de chantier permanent avec des mises-à-jour plusieurs fois dans la journée.
Cette notion de flux, de process, va plus loin qu'on ne l'imagine. Il ne s'agit pas seulement de couvrir en direct : cela pousse les journalistes à envisager l'article comme un contenu inachevé, vivant, mais aussi une conversation: info en temps réel, fragmentée et interactive. On met à jour l'info le plus souvent possible (sur le même post, via plusieurs posts éclatés que l'on agrège, ou en micro-blogging), on agrège les news et les ressources publiés par les autres médias, on converse avec les lecteurs: on lit leurs commentaires, leurs corrections, leurs infos, on peut leur demander d'apporter de nouveaux documents sur le sujet. Les blogueurs peuvent aussi réagir à l'article et créer une nouvelle boucle de conversation... On est déjà dans le réseau.
2- L'info comme un réseau. "Link to the best": couvrir un événement, ce n'est pas juste écrire son propre reportage ou analyse sur le sujet. Les infos sont des infos en réseau. Si vous considérez que le journalisme c'est "donner la meilleure info au meilleur moment", alors vous devez aider vos lecteurs à accéder aux meilleurs ressources publiées sur le sujet sur le Net, au moment où elles sont mises en ligne... (Le Washington Post fait ça très bien depuis quelques jours)
Ces deux pratiques modernes fondent ce que j'appelle "l'article en réseau" ("networked article").
Le blogueur Jeff Jarvis vient juste d'écrire un post sur le sujet. Evoquant "la meilleure manière d'écrire un article", il ne dit pas autre chose (et il le dit mieux que moi) :
"1. Curated aggregation. Do what you do best, link to the rest. Here’s the best of the rest. See: MoneyMeltDown. (Faites ce que vous savez faire, faites des liens vers le reste)2. A blog that treats the story as a process, not a product, with continuing coverage and conversation, asking and answering questions, giving updates, filling in gaps: a reporter showing her work." (Traitez l'info comme un process, pas comme un produit, avec une couverture en continu et une conversation...)
3 commentaires:
Deux bonnes approches mais ce qui est navrant je trouve, c'est que le web est une fois encore trop dans le domaine de l'immédiat pour envisager expliquer, retro-informer.. On a là pourtant une plate-forme permettant de faire des liens avec des événements passés et qui pourrait utiliser son support pour amener son lecteur à envisager cette crise dans son ampleur, sa chronologie et ses ramifications.
Combien le font ? Bien peu.
J'ai juste vu sur un blog espagnol le travail d'un jeune économiste s'étant amusé à reprendre les infos " à la base " de cette crise depuis deux ans et expliquant ainsi qu'on aurait pû/dû la prévoir ! Intéressant.
Et quand vient le moment où on fait la synthèses de ces informations?
Le travail en réseau et en flux n'empêche pas la profondeur.
Vous réagissez peut-être ainsi parce que vous êtes restés sur le modèle de la télé et de la radio.
Sur le Net, on est dans un univers multidimensionnel.
On peut très bien travailler en flux permanent, et retenir un post qui synthétise et renvoie vers l'essentiel. Et, éventuellement, des ressources.
Les hyperliens, l'accès par moteur de recherche, permettent de travailler en flux et de renvoyer vers des ressources plus stables et de travailler, par contraste, des zones de retenue pour le recul et l'analyse.
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