On a beaucoup débattu cette semaine du projet de loi Hadopi. A l'Assemblée (où les avis sont partagés et souvent mal informés) et évidemment sur le Net (où il était difficile de trouver des pro-Hadopi...).
Que nous apprend ce projet de loi ?
La loi anti-piratage est censée ne concerner que l'industrie du disque et du cinéma, mais j'y ai trouvé de vertigineuses similitudes avec la presse.
L'esprit de la loi Hadopi en dit long sur l'aveuglement d'une industrie face à la remise en cause de son modèle industriel.
Ce modèle est pourtant en chute libre, bousculé par des usages de plus en plus massifs, inventifs, insaisissables, durables... Mais pourtant très clairs.
Ce qui me fascine et m'effraie en même temps, c'est bien cet acharnement à aller contre l'usage : partager les contenus, recopier une info (deux nouveaux mots apparus dans le angage des blogueurs: le re-blogging ou le re-twitt), avoir accès facilement aux contenus, immédiatement, gratuitement, pouvoir dématérialiser, avoir le choix, compiler, déplacer les critères de valeur... en presse comme dans l'industrie du disque, le monde est en pleine révolution. Et là où les industriels se trompent, c'est qu'il n'y aura pas de retour en arrière.
Je vous conseille la lecture éclairante de ce (long) post de Clay Shirky, sur son blog: "Journaux: penser l'impensable"... Ou comment l'industrie de la presse continue de fonctionner en refusant de voir cet "impensable" scénario:
- Les outils pour partager les contenus ne vont pas disparaître, ils vont se multiplier.
- Les murs (payants) installés autour des contenus vont devenir de plus en plus impopulaires (...)
- Les gens vont résister, ils refuseront d'être éduqués à agir contre leurs désirs.
- Les vieilles habitudes des vieux annonceurs et des lecteurs ne vont pas se transférer en ligne...
- Même une pénalisation féroce (du partage) ne permettra pas de contenir des infractions massives et continues.
- Les sociétés de hardware et de software ne vont pas regarder les propriétaires de copyright comme des alliés, tout comme il ne verront pas leurs clients comme des ennemis (...).
- Et poursuivre en justice des gens qui adorent tellement un contenu qu'ils ont envie de le partager va surtout réussir à les énerver..."
"Terrible" scénario pour cette industrie à l'agonie.
Alors au lieu de repenser le modèle industriel on préfère punir, jouer du lobby pour empêcher "l'impensable".
Dans l'affolement (Internet ne rapporte pas autant qu'on le pensait), on recommence à parler de faire payer les contenus, et de placer des protections un peu partout.
Et, avez-vous remarqué? On recommence à rendre coupable Google de tous les maux de l'industrie. Après les avoir traités de pirates (Google fait son beurre sur les contenus des autres) on voudrait les démanteler, leur demander de rendre l'argent, leur rendre la tâche moins facile, interdire interdire interdire...
Au lieu de se demander : qu'est-ce que Google nous apprend sur l'évolution de l'industrie ?
Je suis fasciné et terrifié parce que c'est à cause de cette attitude que la nouvelle génération, la génération digitale, qui travaille aujourd'hui dans l'industrie des médias, risque de se retrouver demain face à d'impossibles défis. Ou, ce qui est plus probable: au chômage.
C'est à cause de cette attitude que l'on remise ceux qui innovent, ceux qui travaillent sur "l'impensable", le plus loin possible des dispositifs stratégiques de l'entreprise. Ou on les propulse dans les départements innovation, avec généralement moins de moyens, moins d'impact, et on les oublie d'autant plus facilement qu'on ne comprend rien à ce qu'ils font. Ou parce qu'ils (encore une fois) osent considérer "l'impensable" comme une réalité.
Alors qu'ils devraient être au coeur...
Clay Shirky l'explique très bien: la révolution numérique est comparable à la révolution de l'imprimerie, après Gutenberg. Une vraie révolution, comme on n'en a que tous les six siècles.
Et "les vraies révolutions ressemblent toujours à ça: la mort des vieilles choses arrive plus vite que l'émergence de solutions nouvelles".La vieille économie détruite, l'industrie actuelle doit être remplacée par un nouveau modèle centré sur le digital. Où le papier (comme le payant) deviendrait accessoire, et où la notion de droits sur les contenus serait révisée de fond en comble.
Il faudra du temps, il y aura encore des morts. Mais si on ne se donne pas les moyens de produire des solutions innovantes (dont on ne se rendra compte de l'importance que dans quelques années), on continuera de perdre de l'énergie dans des combats déjà perdus, et on mourra debout, certes, mais sans avoir compris ce qui nous était arrivé.
Disclaimer: Comme la plupart des professionnels du Net, je fais partie des signataires du réseau des pirates opposé à la loi Hadopi.
12 commentaires:
Oui, je partage tout à fait votre point de vue.
Je suis sidéré par l'incapacité de nos législateurs et nos capitaines d'industrie à regarder vers l'avenir. Force est de constater qu'ils sont coupés des réalités.
C'est ce que j'essayais d'écrire sur ce post :
"Tenter de retarder l'inéluctable sans mettre en place les dispositifs qui permettent une juste rémunération des artistes et une évolution des métiers dans la production et la distribution, c'est se condamner à de douloureuses conséquences humaines. C'est aussi ouvrir la porte à ces dispositifs liberticides portés par des législateurs coupés des réalités et/ou très proches de certaines industries en voie d'obsolescence."
http://is.gd/nsfQ
Ce qui se passe avec la presse et HADOPI, se retrouve aussi en politique, c'est en tout cas tout le sens de mon engagement.
Bravo en tout cas pour ouvrir et organiser le débat sur LePost.
Le mot création est l’une de ces prétentions consanguines qui n’a de sens que dans les livres. La création traduit et matérialise le besoin enfantin d’existence dans le regard de l’autre qui obsède les gens sains. Car les fous, eux, ont la modestie et l’honnêteté de ne pas faire état ni commerce de leur soi-disant découvertes ex-nihilo.
Internet n’est qu’une technique de langage sophistiquée de plus qui, en promulguant la liberté extrême, a permis de définir les limites des utilisateurs et d’institutionnaliser l’autocensure comme outil démocratique. La dictature de l’instantanéité voudrait nous faire croire que nous sommes en pleine révolution, mais tout au plus il s’agit d’une vulgaire révision mécanique des 4,7 milliards d’années.
Les insultes ou jeux de l’esprit sont, quant à eux, gratuits lors de leur formulation confidentielle et payants a posteriori, via la diffusion de masse. Puisque la civilisation est l’objet de maîtrise sociale le plus high-tech, les lois qu’elle engendre ne tolèrent pas ce qui sort de son cadre mais elles pardonnent parfois pour le bon fonctionnement du système de refroidissement culturel.
La suite ici :
http://souklaye.wordpress.com/2009/03/13/creation-internet-et-insultes-gratuites/
La disparition de ce monopole de l'influence de masse sur les opinions flanque une trouille bleue à tous les élus et les responsables politiques des démocraties représentatives.
Ils ne comprennent absolument pas pourquoi l'Histoire leur joue un aussi mauvais tour et qui a pu prendre le risque insensé de construire un système de communication non hiérarchisé et tellement peu couteux à utiliser qu'une seule personne avec un équipement informatique standard et une liaison téléphonique peut très vite, en quelques semaines capter l'attention de milliers de personnes.
On dirait l'œuvre d'un anarchiste démoniaquement libertaire qui a fait exploser une marmite virtuelle qui, comme un trou noir, absorbe et détruit la crédibilité des sources officielles tenantes des pouvoirs traditionnelement établis.
Ça me réjouis l'âme. En tant qu'auteur, mes revenus sont insignifiant : environ 500 €/an. (en avantage, jamais en cash).
Et je n'ai guère de perpespective de ne gagner au plus que le tiers du smic annuel. Le pire, c'est que ça se dégrade.
Quand à mes droits sur ce que je produis, ils s'évanouissent à peine l'ouvrage diffusé. Il n'y a pas de morale à cette réalité. C'est juste le constat d'une réalité.
Pour créer, il faut être complètement barjot.
Bonjour,
Je vous rejoins complètement et vous remercie d'avoir si bien synthétisé la pensée de nombreux blogueurs et internautes.
Cordialement
C'est la différence de fond entre un manager et un entrepreneur. Un manageur manage, un entrepreneur innove. Les entreprises ne savent pas quoi faire des entrepreneurs. Je suis bien placé pour le savoir ;).
Tout à fait d'accord avec Jeff.
La loi Hadopi a dix ans de retard sur les usages et ne vise qu'à conserver une industrie sur la pente descendante. Descendre moins vite n'est pourtant pas une fin en soi puisqu'on terminera tout de même le nez dans le ruisseau.
L'industrie n'est plus celle du journal papier, mais de l'info. Tout comme l'industrie musicale a refusé de voir que la sienne était celle de la musique, et non pas du CD.
La loi création et internet me parait plutôt aller dans le sens inverse. Voyons quels signes donnera l'Europe (des textes sur le même sujet vont être votés dans les prochains jours).
Je préfère chercher des pistes d'espoirs et d'innovation.
Bien évidemment d'accord.
La grande question, c'est comment avec tous ces arguments de bon sens, nous sommes dans l'impossibilité de mobiliser dans la vraie vie sur cette question. Force est de constater que dans le virtuel les débats vont bon train, mais que l'action ne suit pas.
Hors de la vie réelle pas de légitimité ou d'impact. Voilà un échec qui devrait interpeller. Car nous avons besoin de moyens efficaces pour mener ce combat d'avant-garde dans lequel nos adversaires s'acharneront puisqu'ils se battent pour leur survie.
(et non, je n'ai pas l'âme guerrière d'ordinaire :)
En fait le problème des industriels face à internet c'est que la désintermédiation bouleverse toute les filières. les producteurs perdent le contact avec le client et perdent leur capacité de fixer les prix.
Lorsque Appel vend de la musique avec Itunes c'est lui qui fixe le prix. lorsqu'Amazon vend ses livres électroniques pour le kindle c'est lui qui fixe les prix.
Au fur et à mesure du développement du Kindle, la question du prix du livre électronique va devenir cruciale. sur le site amazon.com on peut voir des remises jusqu'à 60% du prix du livre papier. le rapport gaymard propose une réduction de 30 à 40 %. aujourd'hui les livres électroniques vendu à la fnac ont une réduction de 10%.
Les professionnels voudraient empêcher le développement de cette innovation, ils ne s'y prendraient pas autrement.
Très bon post. Etant moi aussi un professionnel du web, je constate tous les jours le fascinant nombre de gens qui s'accrochent à des modèles obsolètes.
Il y a tendance à confondre information et traitement de l’information. Si l’information est devenue de plus en plus accessible, copiable et « re-bloggable », le traitement de l’information diffère entre internet et le papier. Cette distinction est encore mal maîtrisée par les médias traditionnels, qui cherchent leur voix (voie) au cœur de cette « révolution ». Pourtant Axel Ganz disait dans une interview au Monde (19/03/2009) que les grands quotidiens vont devoir évoluer et converger vers une plus grande qualité de l’information traitée. L’approfondissement de l’information sera la valeur ajoutée du papier par rapport à l’information immédiatement disponible sur Internet. Dans ce cas, pourquoi la révolution numérique devrait-elle entraîner nécessairement la mort du papier et des modèles des médias traditionnels ? Pourquoi parler « d’agonie », « d’impossible défis », de « combats déjà perdus » alors que la solution pour une cohabitation des modèles est encore à l’étude ? L’étude de l’EPIQ de mi-mars prouve que la presse traditionnelle a encore des lecteurs et que les internautes réguliers sont les plus grands consommateurs de presse écrite. L’ensemble des modèles de l’industrie médiatique sont certes à repenser face à Internet, mais l’enterrement semble un peu hâtif. Internet élargit le champ des possibles pour les médias traditionnels, à eux d’en mesurer l’enjeu. Le « terrible scénario » peut s’écrire à plusieurs mains.
Blog intéressant :)
Comme toujours très pertinent
Au passage je teste un modèle économique de média centré autour d'une ville - en l'occurence Casablanca. Le modèle semble vertueux :
- Magazine écrit gratuit sans pub
- Magazine vidéo avec une partie du contenu payé par certains annonceurs
- Offres d'emploi, et différent services payants.
On en reparle à l'occasion ...
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