Je trouve cette image terrible. Il s'agit de la rédaction du pure player espagnol d'infos Soitu.es, qui a fermé ses portes aujourd'hui, le 27 octobre 2009.
Elle me rappelle celle-ci:
La salle de rédaction du Rocky Moutain News, le quotidien régional de Denver, qui a cessé d'imprimer le 27 février 2009.
Même malaise. Mêmes visages dans le vide.
La différence entre les deux médias, c'est que le second était devenu le symbole d'une vieille presse à la dérive, fauchée par la révolution du web et par la crise.
Le premier représentait l'avenir. L'info sur le web, innovante, en prise avec sa communauté.
Je me souviens des fondateurs de Soitu.es. Ils étaient passés dans les locaux du Post.fr, au Monde Interactif, pour voir comment nos journalistes travaillaient avec les internautes. Ils n'avaient pas encore lancé Soitu. C'était fin 2007.
Beaux sourires. Beaux visages.
Ce qui est terrible dans cette image c'est qu'elle nous montre que la révolution qui, 600 après Gutenberg, frappe le monde de l'information, ne fait pas que des morts du côté du papier. Elle tue aussi les initiatives web. Et elle continuera de le faire.
Parce que les modèles économiques ne sont pas encore calés. Qu'il faut du carburant pour tenir dans cette phase indispensable d'innovation.
C'est ce dont les amis de Soitu.es ont manqué.
Le site était financé par le groupe bancaire BBVA, lui aussi touché par la crise, rappelle Pierre Haski sur Rue89. Gumersindo Lafuente, directeur de Soitu.es, a regretté de ne pas avoir réussi à convaincre l'établissement bancaire d'un principe important :
« Des projets qui naissent dans des secteurs nouveaux à un moment troublé nécessitent de la patience pour trouver leur place. »
Oui, il faut du temps. Entre 3 et 6 ans pour un média en ligne pour être rentable. Lancer des projets. Expérimenter et combiner les modèles économiques, se tromper, corriger, avancer.
Il faut aussi et surtout de la compréhension (j'allais dire une "vision") de la part de ses actionnaires. Mais en ces temps de crise plus qu'avant, la tendance dans les médias est à l'irrationnel et au repli sur soi.
C'est terrible parce que des journalistes se retrouvent au chômage. Terrible parce que le repli sur sa marque ou sur les vieux modèles ne fait que retarder le moment fatidique. Et qu'à ce moment là, quand les dernières gouttes de carburant auront été gaspillées par les groupes de presse, il n'y aura aucune alternative pour prendre le chemin du nouveau monde qui se dessine.
C'est aujourd'hui qu'il faut y croire.
Un ami consultant me confiait hier: "Je trouve les patrons de presse terriblement déprimants".