samedi 29 mars 2008

La mort des journaux... et d'un certain journalisme?

A lire, si vous avez du temps ce week-end, ce (très) long article du New Yorker annonçant la mort des journaux papiers et de leurs modèles: économiques et éditoriaux.

La crise est d'abord financière : les revenus des grands journaux s'effondrent aux Etat-Unis. Les rédactions subissent les coupes dans leurs effectifs comme une peau de chagrin.
"Pas encore morts" (titre du Guardian à propos de la presse écrite), certes, mais pas loin, "les journaux ont perdu 42% de leur valeur en trois ans", constate Eric Alterman du New Yorker.

Moyenne d'âge (en hausse) du lectorat américain : 55 ans. Seuls 19% des 18-34 ans déclarent ouvrir un journal de temps en temps.

La crise est également morale :
Moins de 20% des Américains déclarent croire la plupart des infos que publient les médias. Ils étaient 27% cinq ans plus tôt.

Dans le même temps, le Huffington Post, un média "pure-web" lancé en 2005 par Arianna Huffington, truste les places d'honneur de la presse en ligne (il annonce 11 millions de visiteurs uniques par mois). Il dépasse même d'une courte tête le Los Angeles Times, mais avec 40 fois moins de journalistes...

Le principe du Huffington Post: syndication et conversation. Ouvert aux commentaires, le site agrège le meilleur de ce qui se dit dans les médias, et fait reposer sa force éditoriale sur le débat, grâce à une escouade de blogueurs politiques.

La suite?
“Si l'argent de la pub continue de migrer vers le Online (et il continuera), HuffPost proposera de plus en plus de reportages en ligne (...) Des reportages vigoureux qui inclueront du 'distributed journalism' (participatif)", prédit Arianna Huffington qui croit à une convergence des modèles papier et web.

Le New Yorker raconte comment Internet est en train de faire ressurgir un vieux combat qui, dans la première moitié du vingtième siècle, avait vu s'affronter deux concepts de l'information et de l'opinion publique:

Walter Lippman, grand journaliste, militait pour une sorte de "despotisme éclairé" du journalisme. Une élite révélant, à un lectorat considéré comme passif face à l'actualité (et donc facilement manipulable par le pouvoir), les coulisses et les mécanismes des événements.

En face, le philosophe John Dewey, s'il ne croyait pas non plus à la sagesse populaire innée, croyait aux vertus du débat et de la conversation.
"Alors que Lippman voyait l'opinion publique comme une somme d'opinions individuelles, un peu comme un sondage, Dewey l'abordait plutôt comme un focus group", ajoute le New Yorker.

Surtout, Dewey remettait en cause le savoir des élites, trop éloignées des préoccupations quotidiennes de ceux qui ne sont pas de leur caste.
"L'homme qui porte les chaussures sait mieux que quiconque là où elles lui font mal, même si l'expert en chaussure est sans doute le mieux placé pour savoir comment résoudre le problème."

70 ans plus tard, Internet a fait vaciller le journalisme du modèle Lippman (info descendante, expertise), modèle dominant jusqu'ici, vers une vision plus proche de celle de Dewey (conversation et partage d'expérience).

Et donc fait vaciller le modèle de la presse écrite.

Et ouvert un vrai débat:

50 journalistes + 1 communauté peuvent-ils remplacer 500 journalistes?

- Dessin: Arianna Huffington terrassant la presse écrite - source The New Yorker)
- Lire également, sur le même sujet, l'article d'AFP-Media Watch sur la "mullet strategy" du Huffington Post

(Merci à JF)

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent post. Reste qu'on peut toujours s'interroger sur qui produira l'info exclusive dans la presse du futur. Le Huffington post repose tout de même sur le commentaire d'actus produites par d'autres.
Paradoxalement on peut aussi y voir une possible articulation web papier

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec Emmanuel.

Il me semble que le net français n'est pas encore ou très peu producteur d'informations, encore moins exclusives...

Mais exactement de la même manière que la télévision et ses JT dont les rédacteurs en chef constituent depuis toujours le menu avec sur leurs genoux les titres de la presse écrite.. Les faits divers sont "made in" Le Parisien, les sujets internationaux sont ceux traités par le Monde ou du Figaro... sans parler des dépêches AFP...

D'où ma question... Est ce que ce système d'agrégation (au sens large) que joue le net n'entraine-t-il pas un appauvrissement de l'information, de ses sources... ? Est ce qu'à circuler autant sur la toile, l'information ne tourne-t-elle pas en rond ?

Autre remarque. Je trouve que les partisans de l'information sur le net, ont une approche un peu trop "mathématique" du journalisme. Un bon sujet, il me semble, n'est pas une corbeille que l'on remplit de toutes les informations que l'on trouve... Ce n'est pas non plus un simple jeu comptable. Un sujet = 1 info + 1 info + 1 info...

Le journalisme demande selon moi des qualités d'appréciations, de jugements, de culture générale. Et surtout, une capacité à faire des choix... et à aller sur le terrain... à "manipuler" de la matière humaine.

Et c'est là il me semble le grand défi du journaliste on-line. Savoir utiliser l'informatique uniquement comme un outil technique, mais ne pas rester un sédentaire, le cul vissé sur son écran.

Utiliser les outils virtuels pour raconter le réel !

Anonyme a dit…

Bonjour Benoit et merci pour ce lien et la synthese tres digeste du papier du new yorker.
Un petit rectif : ce ne sont pas 19 pour cent des 18-35 qui disent ouvrir un journal de temps en temps mais 19 pc des 18-35 ans qui disent lire un quotidien.
Comme le disent Emmanuel et Jean35 se pose le problème de la production d'info. L'affaiblissement de la presse traditionnelle c'est le renforcement du rôle des agences de presse mais aussi de celui des emetteurs d'info (gouvernement, entreprises institutions etc.)...

jb ingold a dit…

Il me semble que le web français d'actualité politique produit beaucoup de nouveaux sites. Essentiellement d'opposition rue89/bakshik/mediapart.

Il y a eu des scoops politiques. Rue89 a eu un bon buzz et a atteint un certain public à travers la révélation d’informations inédites.

Par contre les outils d’organisation de la communauté ne sont pas mis en place.

A la conférence WeMedia j’ai discuté avec des gens de topix voici mes notes à ce sujet car je crois qu’elles se rapportent directement à ce sujet :
Racheté par un consortium de journaux locaux et Gannet sur la base d’une estimation à $64M.
Comcast 6.2 millions d'utilisateurs / 12 selon le site.

Le projet initial était l’agrégagation de news locales thématisées plus ou moins automatiquement. La pompe a été amorcée avec des fedds locales médias puis autorités locales et enfin blogs locaux.

Face une demande spontanée topix s’est ouvert aux commentaires. S’est même devenu l’activité centrale avec une vitalité extraordinaire (100 000 commentaires/ jour). Le site est donc devenu un hub de conversation locale. Les commentaires anonymes sont autorisés (intéressante étude à ce sujet).

En fin de compte Topix a dépassé sa spécialité initiale d’agrégateur. De plus en plus de matière est apportés par les utilisateurs locaux. 60% des billets sont créés par des utilisateurs et 60 % des ces informations sont à priori originales (en tout cas ne renvoient pas à un autre site internet média traditionnel ou autre).

Des compétences particulières sont nécessaires. Topix a bien sur une équipe de modération mais aussi des outils ouverts aux utilisateurs pour permettre une administration et édition assez fine. Les internautes sont invités à devenir des éditeurs locaux. http://www.topix.net/member/editor-application?node=fr/paris

Topix anime l’activité de commentaires pour les sites de certains de ces investisseurs. Et encore plus intéressant revendent une couverture hyper locale à CNN, Ask, Infospace and My AOL.

Le marché en fin de compte est celle de la publicité locale tenue par la presse. On peut s’attendre à ce qu’ils soient mal positionnés face à des géant comme yahoo et google. Yahoo est présent depuis un moment et google a lancé en février une dimension locale à son service de news en Amérique.

Yahoo a retiré la fonction de commentaire et google est peu suceptible de devenir un producteur d'information. Je fais le pari que la différence se ferra peut-être au niveau des commentaires et l’UGC.

Anonyme a dit…

Dans un monde d'information "fragmentée", "liquide" ou "atomisée", l'information viendra-t-elle de "producteurs individuels", s'affrontant les uns les autres, dans une compétition acharnée pour l'audience, au coup par coup, pour tenter de placer un par un leurs "articles blockbuster" dans le top des reprises par les autres blogueurs et les moteurs de recherche de l'info (et en tentant de vendre un petit peu de pub à leur profit au passage), à l'image de ce que voit venir Michael Scherer, sur Time ? (http://www.time-blog.com/swampland/2008/03/the_internet_effect_on_news.html)

Pendant que d'autres journalistes (peut-être les mêmes ?) trouveront un complément de revenu dans des digg-like de nouveau type, tel Publish2, annoncé par Techcrunch, où les articles sont soumis par les lecteurs, mais l'évaluation est faite par des journalistes professionnels ? (http://www.techcrunch.com/2008/03/31/publish2-to-launch-digg-variation-as-journalist-resource/)

Dans un tel monde, difficile de financer une enquête à l'étranger, ou sur le long terme, et prime absolue au sensationnel et au marketing rédactionnel...

Consovigie a dit…

très bon sujet. En tant que journaliste, il me semble que la question de la production de l'information est indissociable de celle de la valeur. Nous assistons pour le texte à un phénomène déjà entamé par exemple en production photo/video. Sur un événement, les témoins shootent et revendent leurs photos. L'AFP a même développé un site web qui commercialise les photos d'évenements réalisés par des "amateurs". Pour le texte, la tendance est identique, sauf que... un journaliste est astreint à la vérification, à l'enquête. Pas au commentaire uniquement. Ce à quoi nous assistons en fait, c'est au développement (ou peut être au retour) à un journalisme d'opinion.

Or, qui demain produira les enquêtes ? Qui sera rémunéré pour faire ce travail ? Qui vérifiera l'information ? Le risque est effectivement comme l'a montré une étude britannique que l'essentiel des informations ne finisse par n'être que du "repatouillage" mais en aucun cas de la production. Croyez moi, c'est déjà beaucoup le cas, y compris dans la presse écrite. La fragilité du modèle économique (qui repose de plus en plus sur la publicité) conduit à une réduction des effectifs des journalistes dans les rédactions, et donc à un appauvrissement de la production (donc de la vérification) des informations.

Ce que nous pouvons craindre, c'est la victoire totale du marketing et des relations publiques sur l'information.
Dans un monde où l'information semble avoir perdu toute valeur, assistons nous à l'effondrement de ce que l'on appelait le 4ieme pouvoir ? Si demain, le rôle de médiation de la presse est remis en question, c'est aussi le fonctionnement du système démocratique qui risque d'en pâtir. Et si la crédibilité ne se monnaye plus... si le travail des journalistes ne mérite plus salaire, alors tout le monde pourra se réclamer journaliste, écrire n'importe quoi pour devenir n'importe qui.

michel a dit…

il s'agit en fait de l'émergence d'un nouveau média n'effaçant pas les autres existants mais venant les compléter; il s'agit surtout de veiller à la qualité de l'info
ex Smallbrother.info, aaliens