Je constate régulièrement lors de mes (trop) rares rencontres avec les professionnels et les étudiants cette lourde angoisse des anciens (ce qui peut se comprendre), mais surtout des futurs journalistes face aux mutations des médias:
Face aux contenus générés par l'utilisateur le journalisme est-il en train de disparaître ?
Puisque les ",jeunes" ne semblent plus s'y intéresser (60% des ados selon une récente enquête aux USA), peut-on craindre que le journalisme soit mort?
Pire: que l'information soit morte?
Cela me fait parfois penser à ces parents, terrifiés, qui, voyant débarquer leur fils habillé en punk, s'exclamaient d'abord "On me l'a changé!". Puis: "Je n'ai plus de fils!"
Oui, l'info telle que nous l'avons connue est en train de disparaître. Pourtant, l'information n'a jamais autant circulé. Mais elle a changé profondément. Son ADN a été modifié au fil des révolutions numériques. Quels sont ses nouveaux gènes ?
1- L'info est hyper-fragmentée.
Le lecteur n'a plus la même fidélité qu'autrefois. Il picore un peu au hasard, via Google, telle info sur le site du Monde, telle autre sur un blog ou sur Yahoo News... Près des deux tiers de l'audience d'un site provient des moteurs de recherche (Google, Wikio...) de la recommandation (mail, réseaux sociaux comme Facebook), du "buzz" (liens provenants des blogs), et des flux RSS (Netvibes)...
2- L'info est une agrégation de micro-infos.
L'info sur le Net est également fragmentée dans son éditing et sa construction : une info = plusieurs infos. C'est à dire plusieurs micro-contenus séparés dans le temps, par les angles, le ton ou les formats. L'info peut être alors être plus courte, laissant à l'internaute la possibilité de se composer son propre zapping.
Conséquence : sur le Net il faut donc réfléchir en micro-infos. Raisonner comme avec
iTunes qui permet de se faire sa compilation de chansons sans avoir à acheter tout l'album.
On sort de la logique du compte-rendu complet, du dossier et de la rubrique.
Et on peut ainsi délier et relier des micro-infos entre-elles à l'infini grâce aux outils sémantiques (les fameux tags, ou mots-clefs, qui rassemblent des infos éparses par thèmes et communautés d'intérêt), géo-sémantiques (localisation de l'info), temporels (l'info par ordre chronologique) et communautaires ("ceux qui ont lu cette info ont lu aussi").
3- L'info est en direct.
Elle se délivre au fil de la journée, selon l'actualité, elle change aussi de ton, de texture, selon l'heure, selon la tension ou l'humeur du moment, selon l'humeur et les réactions de l'audience.
4- L'info est un chantier permanent.
Elle est toujours un "work in progress". Elle est immédiate, en direct, mais elle se met à jour et, surtout, s'enrichit au fil des heures avec la participation des lecteurs qui commentent, témoignent, corrigent.
5- L'info est sociale.
Ce qui est intéressant, ce n'est pas seulement l'info, mais ce que le lecteur va pouvoir en faire : apporter sa contribution en commentant ou en bloguant l'info, la partager avec ses amis, récupérer un contenu visuel (photo, vidéo, flash) pour alimenter son blog ou son facebook, corriger l'info, apporter son témoignage, sa photo ou sa vidéo, jouer avec (test, quizz...).
6- L'info est personnelle.
Elle concerne aujourd'hui la sphère personnelle du lecteur, pas une hiérarchie éditoriale.
Elle s'équilibre désormais entre hard news (les infos générales, traditionnelles), soft news (l'insolite, le people, les faits-divers et ce qu'on a appelé dans les années 90 "l'infotainment") et égo news (mes infos personnelles que je partage, et celles de ma communauté). Avec une hiérarchisation qui est laissée à l'initative des internautes et des algorythmes des ordinateurs.
7- L'info donc n'est plus hiérarchisée par le média...
...mais par la communauté, et les algorythmes de Google. C'est la conséquence de la fragmentation. Les Une se transforment de plus en plus en "fleuves" d'infos présentées par ordre chronologique (lepost.fr) ou de popularité (digg.com). Elles permettent aux internautes de picorer ce qu'ils désirent.
8- L'info est poreuse.
Face à l'explosion chaotique de l'information, le lecteur attend surtout des médias qu'ils l'aident à s'y retrouver.
Au delà de l'info exclusive, l'info tend à se mettre en réseau.
Nous sommes à l'ère du copier-coller mais surtout de l'optimisation permanente. Un blogueur n'hésite pas à reprendre les infos des autres afin d'y apporter sa touche personnelle, son témoignage ou son analyse.
C'est un peu comme si, au bac, on vous disait : "copiez, vous serez mieux noté!" Vous auriez subitement le droit de regarder par dessus l'épaule de vos voisins et vous pourriez rédiger sur un sujet: "Mon voisin de droite a écrit ça, mon voisin de gauche à fait tel rapprochement, je suis plutôt d'accord avec mon voisin de devant qui a rappelé telle grande règle (que j'avais oubliée) mais en même temps je pense que... "
L'ADN de l'information a changé. Donc l'ADN des journalistes doit changer.
Ses frontières, son rythme, sa construction... tout a été profondément modifié. Il faudra donc inventer de nouveaux process de fabrication de l'information qui tiennent compte de ces mutations.