jeudi 10 janvier 2008

Médias: les 8 nouveaux gènes du nouvel ADN de l'information


Je constate régulièrement lors de mes (trop) rares rencontres avec les professionnels et les étudiants cette lourde angoisse des anciens (ce qui peut se comprendre), mais surtout des futurs journalistes face aux mutations des médias:

Face aux contenus générés par l'utilisateur le journalisme est-il en train de disparaître ?

Puisque les ",jeunes" ne semblent plus s'y intéresser (60% des ados selon une récente enquête aux USA), peut-on craindre que le journalisme soit mort?

Pire: que l'information soit morte?


Cela me fait parfois penser à ces parents, terrifiés, qui, voyant débarquer leur fils habillé en punk, s'exclamaient d'abord "On me l'a changé!". Puis: "Je n'ai plus de fils!"

Oui, l'info telle que nous l'avons connue est en train de disparaître. Pourtant, l'information n'a jamais autant circulé. Mais elle a changé profondément. Son ADN a été modifié au fil des révolutions numériques. Quels sont ses nouveaux gènes ?



1- L'info est hyper-fragmentée.


Le lecteur n'a plus la même fidélité qu'autrefois. Il picore un peu au hasard, via Google, telle info sur le site du Monde, telle autre sur un blog ou sur Yahoo News... Près des deux tiers de l'audience d'un site provient des moteurs de recherche (Google, Wikio...) de la recommandation (mail, réseaux sociaux comme Facebook), du "buzz" (liens provenants des blogs), et des flux RSS (Netvibes)...




2- L'info est une agrégation de micro-infos.


L'info sur le Net est également fragmentée dans son éditing et sa construction : une info = plusieurs infos. C'est à dire plusieurs micro-contenus séparés dans le temps, par les angles, le ton ou les formats. L'info peut être alors être plus courte, laissant à l'internaute la possibilité de se composer son propre zapping.


Conséquence : sur le Net il faut donc réfléchir en micro-infos. Raisonner comme avec iTunes qui permet de se faire sa compilation de chansons sans avoir à acheter tout l'album.

On sort de la logique du compte-rendu complet, du dossier et de la rubrique.
Et on peut ainsi délier et relier des micro-infos entre-elles à l'infini grâce aux outils sémantiques (les fameux tags, ou mots-clefs, qui rassemblent des infos éparses par thèmes et communautés d'intérêt), géo-sémantiques (localisation de l'info), temporels (l'info par ordre chronologique) et communautaires ("ceux qui ont lu cette info ont lu aussi").


3- L'info est en direct.


Elle se délivre au fil de la journée, selon l'actualité, elle change aussi de ton, de texture, selon l'heure, selon la tension ou l'humeur du moment, selon l'humeur et les réactions de l'audience.



4- L'info est un chantier permanent.


Elle est toujours un "work in progress". Elle est immédiate, en direct, mais elle se met à jour et, surtout, s'enrichit au fil des heures avec la participation des lecteurs qui commentent, témoignent, corrigent.


5- L'info est sociale.


Ce qui est intéressant, ce n'est pas seulement l'info, mais ce que le lecteur va pouvoir en faire : apporter sa contribution en commentant ou en bloguant l'info, la partager avec ses amis, récupérer un contenu visuel (photo, vidéo, flash) pour alimenter son blog ou son facebook, corriger l'info, apporter son témoignage, sa photo ou sa vidéo, jouer avec (test, quizz...).


6- L'info est personnelle.


Elle concerne aujourd'hui la sphère personnelle du lecteur, pas une hiérarchie éditoriale.


Elle s'équilibre désormais entre hard news (les infos générales, traditionnelles), soft news (l'insolite, le people, les faits-divers et ce qu'on a appelé dans les années 90 "l'infotainment") et égo news (mes infos personnelles que je partage, et celles de ma communauté). Avec une hiérarchisation qui est laissée à l'initative des internautes et des algorythmes des ordinateurs.



7- L'info donc n'est plus hiérarchisée par le média...


...mais par la communauté, et les algorythmes de Google. C'est la conséquence de la fragmentation. Les Une se transforment de plus en plus en "fleuves" d'infos présentées par ordre chronologique (lepost.fr) ou de popularité (digg.com). Elles permettent aux internautes de picorer ce qu'ils désirent.



8- L'info est poreuse.


Face à l'explosion chaotique de l'information, le lecteur attend surtout des médias qu'ils l'aident à s'y retrouver.


Au delà de l'info exclusive, l'info tend à se mettre en réseau.


Nous sommes à l'ère du copier-coller mais surtout de l'optimisation permanente. Un blogueur n'hésite pas à reprendre les infos des autres afin d'y apporter sa touche personnelle, son témoignage ou son analyse.


C'est un peu comme si, au bac, on vous disait : "copiez, vous serez mieux noté!" Vous auriez subitement le droit de regarder par dessus l'épaule de vos voisins et vous pourriez rédiger sur un sujet: "Mon voisin de droite a écrit ça, mon voisin de gauche à fait tel rapprochement, je suis plutôt d'accord avec mon voisin de devant qui a rappelé telle grande règle (que j'avais oubliée) mais en même temps je pense que... "



L'ADN de l'information a changé. Donc l'ADN des journalistes doit changer.


Ses frontières, son rythme, sa construction... tout a été profondément modifié. Il faudra donc inventer de nouveaux process de fabrication de l'information qui tiennent compte de ces mutations.

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Je vais chipoter sur le ^point7 : je pense que le media hierarchise toujours l'info, la question est de savoir ce qui la contrôle.

Dans le cas d'une automatisation, l'algorithme est le produit d'une intentionalité et d'un calcul humain.
Dasn le cas d'un univers contributif à la Digg, l'ordre est le fruit d'un consensus imposé par le plus petit dénominateur commun de la foule. Le résultat ne produit d'ailleurs pas systématiquement un niveau de satisfaction acceptable.

Au final je fais le parie qu'on découvrira vite qu'assumer le risque d'une hierarchisation de l'info n'est pas si inefficace qu'on le pense. Mais c'est peut être mon ADN qui prend la poussière, avec le temps...

Anonyme a dit…

Je crois, et j'adhére, trés volontiers à tes réflexions Benoît. Avec le recul, convaincu, aujourd'hui, je suis ; mais trés sincérement avec une profession dans le turbo-compresseur de la mutation, de plus en plus dévalorisée, ces nouvelles phases de traitement de l'information, dés demain, seront-elles encore vraiment valables, et que penser d'aprés demain ? Ne focalise-t-on pas trop sur l'information et son traîtement au détriment du professionnel qui, humblement, la met en forme ? A peine paré d'une nouvelle peau de "transmédia-golgoth", qui est nécessaire j'en conviens, le métier de journaliste est-il capable de supporter une nouvelle (trop rapide ?) mue et les lecteurs (papier & web) le subir ?

hubert guillaud a dit…

Je ne suis pas convaincu par cette vision un peu concentrique qui tenderait à montrer qu'il n'y a qu'une façon de faire de l'info puisqu'elle est hyperfragmentée, directe, sociale, personnelle, poreuse, etc.

Oui, elle l'est : mais cela ne veut pas dire qu'elle l'est exclusivement, ni que ces critères soient nouveaux.

Anonyme a dit…

Entièrement d'accord sur la mutation génétique, qui correspond à un nouveau mode de consommation de l'info, de la future ère du "copier" que nos jeunes vont apporter de plus en plus. Il n'y a qu'à voir l'explosion de photos publiées sur le web sous des licence "crative commons". Il y a 10 ans, on était encore accrochés bec et ongles à notre sacro sainte propriété intellectuelle...et voilà que se balladent des trucs libres de droit qu'on peut réutiliser à sa guise. C'est plus globalement, et à mon sens, un bouleversement de la notion de propriété qui s'opère peu à peu. Les technologies engendrent de nouveaux usages puis de nouveaux modes de faire et de penser. Pas sûre que nos confrères en soient tous persuadés pour l'instant...

Anonyme a dit…

Question subsidiaire : de quoi vont vivre les journalistes demain si il n'y a de moins en moins de médias (écrits) pour leur proposer un contrat ?

Je pense qu'ils doivent se poser les mêmes quesion que les musiciens "de quoi les musiciens vont t'il vivre si il n'y a plus de maisons de disque pour les prendre sous contrat".

1) Les nouvelles plateforme comme rue89, agoravox, mediapart, lepost ou leurs successeurs finiront par proposer problement une rémunération de la pige. Ils devraient devenir comme une sorte d'iTune ou la pige est un morceau de musique.

Je pense que cela finira par arriver, juste une question de rémunérer le talent face à la concurence.

2) Le journaliste va devoir intégrer quelques notions de commerce pour pouvoir se "vendre" lui même : on aura toujours besoin de professionnels de l'écriture il faut juste trouver les bons clients.

Anonyme a dit…

Intéressant découpage. Toutes ces caractéristiques sont justes.

L'hyper fragmentation est peut-etre l'élément qui inquiète le plus. Hyper fragmentation signifie manque d'attention, zapping continuel... Et aussi une autre façon de voir le monde: non plus comme un tout cophérent, mais comme un chaos en mouvement.

Eric

Benoit Raphael a dit…

@ Emmanuel : Je suis d'accord avec le "chipotage":) Le fait que l'info soit dé-hiérarchisée, ne veut pas dire que tout doit l'être. C'est juste une réalité. Qui permettra aux médias de se déterminer. Il y aura des médias qui joueront sur ce terrain, et d'autres qui s'affirmeront en jouant justement la hiérarchisation.

@ Hubert : Même réponse :) Constater n'est pas enfermer. Connaître une réalité permet de se positionner. Il y a effectivement mille façon de faire.
Et, commme toujours, il y a beaucoup de vieilles recettes qui vont ressurgir...

D'ailleurs, quand on y réfléchit bien, on constate que nombre de ces "nouveaux" gènes nous ramènent à de bonnes vieilles pratiques, notamment radio.

jb ingold a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
jb ingold a dit…

Très intéressante réflexion! A diffuser sur mon réseau facebook et atelier des médias :)

Après un échange de mail je comprends que vous prévoyez une dimension de personnalisation géographique.

Traditionnellement la PQR hiérarchise moins service et information que la Presse Nationale.

On peut penser sur le web que cette déhiérarchisation devrait-être encore plus féconde.

De votre expérience qu'en a-t-il été ? Qu'en est-il ?

Unknown a dit…

C'est effectivement ce qui se passe aujourd'hui.
On aime ou on aime pas.

Par contre l'article laisse croire que c'est l'unique mutation de l'information. Je pense qu'il y en a d'autres.

Anonyme a dit…

Bien vu Benoit, excellente analyse qui fait un bon tour d'horizon de toutes les raisons de l'incapacité dans laquelle nous sommes de prédire ce que seront vraiment les medias ne serait-ce que l'année prochaine.

Anonyme a dit…

Ne fragmente pas l'information qui veut ! Une certaine population ne peut pas encore "consommer" l'information de la sorte... mais ça va venir, surtout chez les jeunes générations.

Anonyme a dit…

Bonjour,
voilà je vous explique je dois faire un devoir et réponde à la question suivante: La presse écrite est elle mise en danger par Internet ? j'aimerai avoir vos avis, vos conseils car je ni connais pas grand chose .c'est grace à mes recherches que j'ai trouvée ce site.

Benoit Raphael a dit…

"La presse écrite est elle mise en danger par Internet ?"

Il est un peu tard pour se poser la question :)

C'est un vieux débat.


Ce qui a changé, ce sont les pratiques du lectorat.

La presse n'est pas mise à mal par Internet. Elle doit juste s'adapter à ces nouvelles façons de consommer l'information. S'adapter à son lectorat.

C'est plutôt une bonne nouvelle, quand on y pense. Il y a plus d'opportunités que de dangers.

Internet a apporté beaucoup à la libre circulation des opinions, des expériences et des infos.

Vincent a dit…

Bonjour, vous avez oublié un point important et je ne l'ai pas vu sauf erreur de ma part.

La confiance et les lecteurs.

Nulle part il en est question ce qui donne l'impression de journalistes qui parlent aux journalistes. Je n'irais pas lire quoi que ce soit si on ne me montre pas patte blanche.

L'histoire montre surtout que le journalisme a perdu son pouvoir au détriment du capital. Et quand les politiques ont commencé a attaquer le statuts des journalistes, les reléguant aux statuts de lecteur de flux, pas un français n'a bougé pour les défendre. On pourrait se demander pourquoi ... Les journalistes étaient-ils trop "acoquinés" avec les instances politiques et capitaliste ? Je le pense ... Le succès du journalisme de demain, c'est aussi et d'abord la transparence pour recréer de la confiance après d'auditeurs qui ne vous suivent plus . L'industrie du divertissement ayant déjà drogué les teenagers, bcp sont accrocs à la bêtise et ne savent plus se servir de leur intellect ou du moins rechigne à le faire. Comment aller vous les intéresser ? Noyauter l'industrie du jeu vidéo ? Noyauter l'industrie du porno ? Ou l'éducation nationale ? Il faut se dépêcher car le système éducatif tend de plus en plus à se privatiser. C'est N.Sarkozy qui le veut, et quand dieu veut . . . On imagine bien que des groupes de pressions derrières lui pourrait le pousser à faire vite. Les pouvoirs auparavant dilués ont été ramenés progressivement vers un centre. Votre entreprise, aussi belle soit-elle, me parait difficile .