mercredi 7 juin 2006

Moscow 2006 : les journaux, ces nouveaux médias

Je trouve enfin un peu de temps libre pour rédiger un premier post sur les passionnants débats qui animent le 59e congrès mondial des journaux et du 13e World Editors Forum de Moscou depuis lundi matin (le temps que durera la batterie de mon portable...).

Durant ces trois jours, le rendez-vous annuel de l’Association mondiale des journaux s’est fait le miroir fidèle, mais optimiste, des affres de questionnement dans lesquels sont plongés les patrons de presse aujourd’hui. Même si les situations dans chaque pays sont très différentes (différents niveaux de modèles technologiques et démocratiques), le monde de la presse montre le visage d’une industrie plongée dans la crise la plus violente de son histoire. La crise est sans précédent, mais elle sourit aux audacieux. Et les audacieux, dans ce domaine, sont plutôt britanniques, américains, espagnols, autrichiens ou scandinaves, certainement pas français, et ils sont venus donner un peu d’espoir durant ces trois jours aux bons vieux journalistes et patrons de presse terrifiés (mais ils sont de moins en moins nombreux) de voir leur métier « disparaître ».

Le métier n’est pas en train de disparaître. Il mute. Et il mute dans le bon sens. Parce qu’il est obligé d’intégrer aujourd’hui la concurrence de médias révolutionnaires agrégateurs de contenu (comme Yahoo News ou Google News) ou participatifs (FlickR,Wikinews) et la volonté (la liberté plutôt) du consommateur de choisir ce qu’il veut, de participer, et de réclamer de la transparence.

On se rend compte de deux choses : l’avenir est aux producteurs de contenu mais pas en tant que mass media, aux portails d’agrégation d'informations, mais aussi aux « médias » qui s’occupent de leurs communautés, locales ou culturelles. Le journal généraliste dont l’essentiel de l’offre consiste à présenter de façon hériarchisée une information que l’on peut avoir par ailleurs n’a pas d’avenir : il faut trouver de nouvelles fonctions. La clef de ces fonctions c’est l’info locale et la communauté. Les journaux doivent s’occuper de leur communauté. On se rend compte que les mieux placés pour prospérer sur ce marché encore vierge, ce sont les quotidiens régionaux. Les nationaux auront plus de mal.

Il est donc inutile de s’inquiéter inutilement. La seule inquiétude que l’on peut avoir, ce n’est pas sur le potentiel extraordinaire des quotidiens dans ce nouveau monde, mais sur leur capacité à se réformer. Cette révolution dont on parle a d’ailleurs déjà atteint un stade avancé dans certaines rédactions « traditionnelles » comme à la BBC, au Washington Post, à El Correro ou encore chez le lauréat du « Newspaper of the Year 2006», le quotidien régional autrichien « Vorarlberger Nachrichten », honoré ce matin lors du congrès mondial des journaux.

Les exemples sont de plus en plus nombreux, si bien que l’on peut déjà constater les « dégâts » cette mutation: et il y a de quoi être enthousiaste. Je sors de ce congrès avec une énergie incroyable. Ce qui est en train de se passer dans ces rédactions est passionnant. Ces « vieux » médias innovants n’ont pas perdu leur « âme », je veux dire par là qu’ils continuent d’essayer d’informer leurs lecteurs avec méthode, à trier, à comparer et à mettre en perspective. Sauf qu’ils ont désormais mis à la disposition des lecteurs une batterie impressionnante d’outils de reportage, de témoignage, de participation et de conversation.
En permettant aux gens de participer à l’info, « nous avons élargi nos sources et rajouté des couleurs à notre palette d’infos», résume Steve Herrman, redacteur en chef de la BBC News Interactive (sans doute l’un des médias les plus novateurs dans ce domaine), projetant sur l’écran un patchwork bouleversant de contributions des internautes. Cette projection, à elle seule, a démontré que loin d’être une porte ouverte sur la médiocrité, le « tous journalistes », lorsqu’il est intelligemment animé et filtré, apporte surtout un sursaut qualitatif.

Ces audacieux, comme je les appelle, ont également gagné la confiance des internautes en jouant le dialogue et la transparence. Mais pas seulement. Les nouveaux outils dont ils se sont dotés (blogs, vidéo, hypertexte, conversation…) ont aussi rendu leurs propres rédactions particulièrement créatives (à noter que la tendance est l’intégration des rédactions web et print) : le journaliste écrit quand l’info mérite d’être écrite, et filme lorsque l’image parle d’elle-même, il peut également filmer les coulisses de l’info, il peut expliquer le processus de l’info ou ce qu’un journaliste ressent face à l’événement. Mais il peut aussi renvoyer vers d’autres témoignages, ou modifier son point de vue après les commentaires des internautes qui, bien souvent, sont aussi des spécialistes. Il peut également désormais connaître avec précision ce qui intéresse et ce qui n’intéresse pas le lecteur.

C’est ce nouveau « multi-média » que les différents intervenants on tenté de dessiner, lors de ce rendez-vous, un « média » au carrefour de la convergence (des pratiques rédactionnelles) et de la fragmentation (des infos), qui est aussi une formidable opportunité pour les journaux de reprendre la position centrale que leur avait "volé" la télévision il y a quelques années.
Mais il faudra se réformer, se restructurer en profondeur, pour passer d’un modèole industriel lourd à des structures plus légères, adaptées à ces nouveaux modèles économiques, qui génèrent moins de revenus, mais plus de marges.

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Ce n'était qu'une longue synthèse... Je reviendrai évidemment en détail sur les différentes interventions et retours d'expériences du congrès et du forum dans les prochains jours.
En attendant, je vous invite à vous rendre sur le site de l'événement (
ici, en français) et surtout sur le blog du World Editors Forum (ici, in english).

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