La crise est d'abord financière : les revenus des grands journaux s'effondrent aux Etat-Unis. Les rédactions subissent les coupes dans leurs effectifs comme une peau de chagrin.
"Pas encore morts" (titre du Guardian à propos de la presse écrite), certes, mais pas loin, "les journaux ont perdu 42% de leur valeur en trois ans", constate Eric Alterman du New Yorker.
Moyenne d'âge (en hausse) du lectorat américain : 55 ans. Seuls 19% des 18-34 ans déclarent ouvrir un journal
La crise est également morale :
Moins de 20% des Américains déclarent croire la plupart des infos que publient les médias. Ils étaient 27% cinq ans plus tôt.
Dans le même temps, le Huffington Post, un média "pure-web" lancé en 2005 par Arianna Huffington, truste les places d'honneur de la presse en ligne (il annonce 11 millions de visiteurs uniques par mois). Il dépasse même d'une courte tête le Los Angeles Times, mais avec 40 fois moins de journalistes...
Le principe du Huffington Post: syndication et conversation. Ouvert aux commentaires, le site agrège le meilleur de ce qui se dit dans les médias, et fait reposer sa force éditoriale sur le débat, grâce à une escouade de blogueurs politiques.
La suite?
“Si l'argent de la pub continue de migrer vers le Online (et il continuera), HuffPost proposera de plus en plus de reportages en ligne (...) Des reportages vigoureux qui inclueront du 'distributed journalism' (participatif)", prédit Arianna Huffington qui croit à une convergence des modèles papier et web.
Le New Yorker raconte comment Internet est en train de faire ressurgir un vieux combat qui, dans la première moitié du vingtième siècle, avait vu s'affronter deux concepts de l'information et de l'opinion publique:
Walter Lippman, grand journaliste, militait pour une sorte de "despotisme éclairé" du journalisme. Une élite révélant, à un lectorat considéré comme passif face à l'actualité (et donc facilement manipulable par le pouvoir), les coulisses et les mécanismes des événements.
En face, le philosophe John Dewey, s'il ne croyait pas non plus à la sagesse populaire innée, croyait aux vertus du débat et de la conversation.
"Alors que Lippman voyait l'opinion publique comme une somme d'opinions individuelles, un peu comme un sondage, Dewey l'abordait plutôt comme un focus group", ajoute le New Yorker.
Surtout, Dewey remettait en cause le savoir des élites, trop éloignées des préoccupations quotidiennes de ceux qui ne sont pas de leur caste.
"L'homme qui porte les chaussures sait mieux que quiconque là où elles lui font mal, même si l'expert en chaussure est sans doute le mieux placé pour savoir comment résoudre le problème."
70 ans plus tard, Internet a fait vaciller le journalisme du modèle Lippman (info descendante, expertise), modèle dominant jusqu'ici, vers une vision plus proche de celle de Dewey (conversation et partage d'expérience).
Et donc fait vaciller le modèle de la presse écrite.
Et ouvert un vrai débat:
50 journalistes + 1 communauté peuvent-ils remplacer 500 journalistes?
- Dessin: Arianna Huffington terrassant la presse écrite - source The New Yorker)
- Lire également, sur le même sujet, l'article d'AFP-Media Watch sur la "mullet strategy" du Huffington Post
(Merci à JF)