lundi 15 décembre 2008
Presse écrite: les 14 constats choc des Etats Généraux
Alors que les 4 groupes des Etats Généraux de la Presse Ecrite rendent (ou ont déjà rendu) leurs conclusions et leurs propositions à l'Elysée, je vous communique celles du pôle 3 ("Le Choc d’Internet : quels modèles pour la presse écrite ?").
Il ne s'agit pas de propositions (elles n'ont pas encore été rendues publiques), mais de 14 constats énoncés par les intervenants du pôle 3 présidé par Bruno Patino.
Il s'agit de la synthèse la plus pertinente et la plus à jour que j'ai pu lire ces dernières mois. Elle résume, chiffres à l'appui (dont certains sont inédits), la situation de la presse française et mondiale face au choc d'Internet. Dans un constat clair et radical.
Un électrochoc. A méditer. Et à conserver dans vos archives...
1. L’offre globale de médias augmente plus vite que leur consommation.
L’offre mondiale de contenus médiatiques augmente à un rythme annuel de 30 % que la consommation ne peut suivre. Le nombre des chaînes de télévision a triplé en Europe dans les dix dernières années, le nombre des magazines a quadruplé en vingt-cinq ans. Chaque jour, le Web grandit de 1,5 millions de pages. Partout, audiences et annonceurs répondent à cette abondance par la fragmentation: l’attention portée à un média en particulier diminue, qu’il s’agisse d’un apport d’audience ou de publicité. Le « rendement » d’un média par unité d’audience est partout en baisse.
Robert Picard/Jönköping International Business School, Jönköping University.
2. Les annonceurs poursuivent leur retrait des médias.
La publicité traditionnelle sous forme de vente d’espace dans les médias ne représente plus qu’un tiers des dépenses des annonceurs. Ceux-ci se tournent de plus en plus vers le marketing direct, la sponsorisation, l’évènementiel ou le marketing personnel. Se produit du coup un découplage de l’information et de la publicité qui constitue un tournant historique. Ce sont les consommateurs qui apportent aujourd’hui la part majeure dans le chiffre d’affaire des entreprises de média, en raison notamment des dépenses d’équipement. Pour un Euro dépensé par un annonceur, on en compte sept dépensés par l’audience aux Etats-Unis, cinq en Europe. Le marché de la communication dépend de la demande et non plus d’une offre financée par la publicité.
Robert Picard/Jönköping International Business School, Jönköping University
3. La hausse continue de la consommation de médias va de pair en France avec une dispersion des audiences entre titres et supports.
L’offre de médias est en hausse, la fréquence des contacts entre l’audience et les médias aussi, mais ces deux tendances s’inscrivent dans une dynamique de comportement unique : l’addition de médias. L’audience se disperse de plus en plus au sein de l’offre de supports et de titres qui lui est faite. Les lecteurs de magazine ne sont pas moins nombreux, mais ils reviennent moins souvent vers chacun des titres d’une offre devenue plus large ; les lecteurs de quotidiens se distribuent sur une double gamme (payant et gratuit) ; les 15-24 ans diversifient les supports numériques pour accéder à un même contenu vidéo. Cette fragmentation de l’audience entraîne un second effet : la polarisation qui revient à se cantonner à quelques titres sur chacun des supports. A l’élargissement de l’offre, l’audience répond en se fragmentant.
Source AEPM Somme des LDP. Médiamétrie – Global TV. Robert Picard/Jönköping International Business School, Jönköping University
4. L’accès classique aux médias (TV, radio, imprimé) est minoritaire chez les 15-24 ans français.
Les « autres pratiques multimédias » (ordinateur, téléphone mobile, baladeur multimédia, jeux vidéos, etc.) constituent 50,3 % des contacts avec les médias des 15-24 ans français, contre 29,5 % pour l’ensemble de la population. Pour les trois médias classiques pris dans leur ensemble, la rupture générationnelle est réelle.
Médiamétrie – Media In Life – Lundi-Dimanche Janv-Fév 2006, 2007 et 2008, 00h-24h. Ensemble 13 ans et plus
5. Les déplacements quotidiens sont l’occasion d’une consommation de médias et de loisirs numériques où le téléphone l’emporte désormais sur l’imprimé.
Pour trois Français sur quatre les déplacements quotidiens sont une occasion de contact avec les médias et les loisirs numériques, un moment où la radio reste leader : 55 % de pénétration au sein de cette population « médiavore » en mouvement. Mais de 2007 à 2008, les positions relatives de l’imprimé et du téléphone se sont inversées. La pénétration de l’imprimé chute de 21,6 à 19 % tandis que le téléphone explose de 19 à 32,4 %. Le support téléphonique mobile dépasse le média écrit dans la consommation nomade.
Médiamétrie.Media In Life. Base Lundi-Dimanche Janv-Fév 2007 et 2008. Ensemble 13 ans et plus
6. La baisse de diffusion payante des médias imprimés est une tendance française avérée qui recouvre des réalités diverses.
La diffusion de la presse écrite payée subit une érosion amorcée bien avant la montée en puissance d’Internet. Actuellement, elle baisse en moyenne de moins de un pour cent par an. La tendance vaut pour la PQN, la PQR et la presse magazine, mais dans le détail, les situations sont diverses. A nombre de titres constant, les news progressent en diffusion ; les féminins régressent, malgré l’augmentation du nombre des titres. La PQN est en croissance quand on ajoute les gratuits à sa diffusion. Au total, la tendance baissière du « papier payant » est majoritaire, durable et continue.
Données OJD
7. La presse imprimée est une dépense mineure dans le budget d’un ménage français.
Le budget consacré aux médias (2.272 Euros par an) représente 8,5 % des dépenses d’un ménage. Plus du tiers est alloué à la téléphonie fixe et mobile, loin devant l’audiovisuel et Internet. A la différence de ces supports, la presse imprimée n’exige pas d’achats d’équipements : 172 Euros par an d’abonnements et d’achats au numéro mobilisent donc moins de 8 % de tout le budget médias. Pour les Français, le déclin de l’imprimé est une réalité devenue visible dans leur économie domestique.
Médiamétrie - Observatoire des dépenses médias et multimédias – Vague Mai-Juin 2008
8. La recette publicitaire de la presse payante s’installe dans une croissance négative.
Deux décennies de hausse des recettes publicitaire de la presse écrite, en dépit d’une perte de parts de marché au profit de la télévision, s’achèvent par un mouvement de recul. Depuis 2004, avec la montée en puissance de la publicité sur Internet, la presse écrite payante facture moins les annonceurs, en France, comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Une tendance neuve s’est installée.
Données Irep
9. Les quotidiens gratuits ont la plus grande affinité avec le lectorat français de 15 à 49 ans.
La presse quotidienne la plus récente (créée à partir de 2002) a le plus fort taux d’affinité avec le lectorat de 15 à 49 ans. Dans ce domaine, la PQN a un résultat neutre (affinité de 100 environ) tandis que la PQR affiche un fort déficit, notamment chez les 15-34 ans. Mais elle garde une pénétration bien plus forte que ses rivales. De là, l’inconfortable alternative vécue par les quotidiens français : toucher peu de monde avec un fort taux d’affinité, ou toucher beaucoup de monde
avec peu d’affinité.
EPIQ/LNM/07/08. EuroPQN/ EPIQ
10. Le gros consommateur de médias écrits ne se cantonne pas, en France, à un support unique.
Une lecture forte de quotidiens est corrélée avec un comportement actif sur Internet. De même, une lecture forte de magazines est corrélée avec un comportement actif sur Internet. Plus largement, l’intérêt pour la presse d’information générale et politique se combine avec un comportement plus actif que la moyenne sur le média Internet. Après s’être étendu aux magazines, l’intérêt pour la vie publique et spécialement la vie politique, le creuset original de la presse quotidienne, s’est donc à nouveau étendu, cette fois au média Internet.
EuroPQN/ EPIQ
11. Le média Internet continue de croître en France, en pénétration et en utilisation.
Internet progresse désormais à un rythme plus modéré : la population d’internautes est en hausse de 5 % sur un an. La barre des 60 % de Français de 11 ans et plus se connectant au moins une fois par mois a été franchie à l’été 2008. Le temps passé sur Internet atteint 25h et 3mn par mois au premier semestre, contre moins de 19 heures il y a trois ans. Les 15-24 ans frôlent l’heure de connexion quotidienne (29h 38 mn par mois). L’activité des internautes ne s’arrête pas à la consommation, elle s’étend désormais à la production et à la redistribution de contenus.
Médiamétrie//NetRatings - Domicile et / ou lieu de travail – indicateur intitulé PC time
12. Le smartphone possède un potentiel de bouleversement complet de la consommation de médias.
La définition du « smartphone » (un téléphone doté d’un système d’exploitation sophistiqué et une connexion confortable au réseau Internet) fait l’objet de débats, mais sa capacité de « disruption » est constatée partout. Sur les marchés où il pénètre, ses utilisateurs (ceux du modèle Iphone d’Apple en sont l’exemple) modifient fortement leur consommation de médias. Modification des parts respectives sédentaire/nomade ; apparition de demandes nomades fortes ; transfert de connexions Internet du PC vers le téléphone, etc. Le choc Internet du mobile peut rivaliser en impact avec celui connu sur le PC, d’autant plus que la pénétration du téléphone mobile a beau rester faible en France (83 %), elle l’emporte largement sur celle d’Internet.
Forrester Research Technographics surveys 2008
13. La recette publicitaire tirée d’un visiteur unique est vingt fois moindre que celle d’un lecteur.
La diversité de la tarification du display sur Internet (5 à 9 euros en CPM pour le branding, 0,5 euro pour le ROI) s’inscrit dans une gamme de prix sans commune mesure avec celle du papier. Le revenu publicitaire fourni chaque année par un visiteur unique mensuel varie de 1 à 3 euros, contre 20 à 60 euros pour un lecteur de presse écrite. La différenciation des univers industriel et numérique est inscrite dans leurs recettes.
Chiffres nets IRP/ chiffres bruts TNS redressés. Etude Aegis Media
14. Google est au cœur des sessions sur Internet et sa vente de publicité en tire parti.
85 % des sessions sur Internet incluent en France l’utilisation du moteur de recherche Google. La page de résultats de Google provoque dans 30 % des cas un clic sur les liens AdWords placés en colonne de droite. Ce dispositif, complété par la vente en régie des liens AdSense, permet à Google de capter 90 % de la valeur dans la publicité à ciblage contextuel. Une position dominante s’est créé dans les usages et n’est pas contestée sur le marché.
Données et estimations Aegis Media
(Illustration: pôle 3 EGPE - sources OJD)
mercredi 3 décembre 2008
Le statut d'auto-entrepreneur pour les correspondants locaux de presse et les blogueurs?
C'est l'une des propositions qui sortira de l'un des groupes "Presse et Société" (auquel je participe), et qui sera transmise à l'Elysée le 4 décembre à l'issue des Etats Généraux de la Presse Ecrite:
"Peut-on utiliser le statut d'auto-entrepreneur aux fournisseurs de contenus non journalistes, pour améliorer le statut des correspondants locaux et des blogueurs travaillant pour des sites d'info ?"
Qu'est-ce que le statut d'auto-entrepreneur?
Pour reprendre la définition du ministère:
"Le régime de l’auto-entrepreneur, qui sera disponible à partir du 1er janvier 2009, permet à tous les Français, qu’ils soient salariés, étudiants, retraités ou chômeurs... de créer leur activité en parallèle de leur travail afin de compléter leurs revenus ou de créer de façon extrêmement simplifiée leur propre activité à titre principal"(on peut aussi en savoir plus sur ce site).
Quelle est la situation aujourd'hui?
- Les correspondants locaux de presse sont soumis à un régime spécifique, défini par la loi, qui permet aux quotidiens régionaux de les rémunérer sans payer de charges salariales. Mais les conditions sont de moins en moins adaptées à la réalité: pas de lien de subordination (sinon c'est un salarié), pas de consignes sur la ligne éditoriale, pas de commande de contenus et pas de formation.
- Côté blogueurs, c'est le far west. Quand ils sont payés, ils le sont souvent sur la base d'un contrat de droits d'auteurs. Ce qui n'arrange personne non plus, et entretient toujours un flou sur le lien (salarial ou pas) entre l'entreprise et le rédacteur.
Avec ce nouveau statut, plus clair et plus souple, les blogueurs et les correspondants locaux seraient considérés comme des entreprises individuelles qui factureraient leurs prestations.
Ça me semble être une piste intéressante pour des rédactions, notamment en ligne, qui seront amenées demain à diversifier de plus en plus leurs contenus en faisant appel à des non journalistes: blogueurs, experts, rapporteurs d'infos locales ou thématiques...
Qu'en pensez-vous?
mardi 2 décembre 2008
Twitter: fiable ou pas fiable?
Je profite de la lecture d'un post très intéressant sur la fameuse rumeur qui a couru sur Twitter durant les événements de Mumbai (Bombay) pour répondre aux commentaires générés par mon dernier billet sur le sujet.
Stephane Dangel: "Comment par contre, authentifier avec un maximum de certitude une breaking news transmise par twitter ou n'importe quel autre device ?"Emmanuel Parody: "D'un autre côté Joannes a raison de pointer les erreurs et le bruit. A commencer par la pseudo intervention de la police indienne sur Twitter. A ma connaissance l'info a été démontée mais les sites qui se sont extasiés sur cette intervention ne se sont pas précipités pour corriger. L'émotion d'abord... "Certes Joannes passe à côté du phénomène mais je crois que dans ce phénomène il est beaucoup plus question d'émotions que d'informations."
Twitter, la plateforme de micro-blogging, considérée comme "la plus réactive" sur les attaques terroristes en Inde était-elle la plus fiable?
Sur son blog la journaliste indépendante Amy Garhan est une des rares à avoir enquêté sur cette fausse information qui, partie de Twitter, a été relayée par les plus grands médias, la BBC en tête, sans aucune vérification:
Selon le compte twitter "Mumbaiupdates", les autorités auraient demandé aux internautes de cesser de bloguer en live sur twitter afin de ne pas donner aux terroristes des informations qui pourraient leur être utiles. Le 26 novembre, sur le site de la BBC, à 11h, on pouvait lire:
“Indian government asks for live Twitter updates from Mumbai to cease immediately. ‘ALL LIVE UPDATES - PLEASE STOP TWEETING about #Mumbai police and military operations,’ a tweet says.”
La blogueuse a donc enquêté, assez rapidement. Une simple recherche sur twitter lui a permis de retrouver la trace de l'auteur, un certain Mark Bao, habitant Boston aux Etats-Unis. Pas à Bombay...
Ce dernier précise finalement, toujours sur son compte twitter, que finalement, l'info aurait été confirmée en vidéo par la police, mais qu'ils parlaient plus généralement de couverture en live de l'info, sans nommer spécifiquement twitter. Téléphone arabe. On en resterait donc à "couverture de l'info en live"... qui inclut la télévision.
Sauf que personne jusque là n'a confirmé la fameuse source vidéo (Bao n'a toujours pas répondu précisément aux questions d'Amy).
Quelles leçons tirer de cette rumeur relayée par Twitter et les médias?
La faute à Twitter... ou aux médias ?
Hum... voyons voir:
Evidemment, Twitter, comme toute source dite "brute" sur le Net (c'est à dire générée par les internautes, les blogueurs, les citoyens...), n'est pas fiable en soi.
Ce serait comme aller au bistrot, écouter ce qui se dit, et en conclure: "le bistrot est un média". Le bistrot est une source, les journalistes de terrain le savent bien. Pas un média. Twitter, c'est(presque) pareil.
Le problème, c'est que les journalistes traditionnels ne sont pas habitués au "fast checking" sur Internet (vérification rapide de l'information). Nombre d'entre eux sont encore un peu perdus face au web. Qui n'est pas un média, je le rappelle, mais un réseau, où s'échangent des informations, vérifiées et non vérifiées.
Inutile de se réjouir en criant: "Vous voyez? Internet n'est pas fiable!" Ce n'est pas pour cela que toutes les sources non journalistiques ne sont pas intéressantes, de grande valeur. Au delà des capacités d'auto-correction du réseau (façon wikipédia), c'est aux journalistes de se former à la vérification de l'info "brute" sur le Net. A eux de vérifer, d'encadrer les communautés pour en tirer le meilleur. C'est leur métier.
Enfin, pour répondre aux doutes émis par Emmanuel sur la qualité "informative" du "User generated content" (Sur Twitter, c'était de l'émotion, pas de l'info).
Encore faut-il comprendre ce que l'on entend par info. Est-ce de l'info de première main? Il y en a eu, mais très peu (lire aussi ici). Le reste? Beaucoup de veille d'infos en live sur les médias, ce qu'on appelle le "journalisme de liens" et qu'on ose enfin appeler de l'info.
Sur le Net, en plus de cette veille, très riche, très réactive (souvent plus réactive que celle des journalistes, c'est la force du réseau), il y avait aussi de la conversation (c'est de la valeur ajoutée d'info), mais également des photos sur place (c'est de l'info), et de l'émotion (de l'info?). Il y a aussi des témoignages de première main sur des blogs.
Oui, il y en a eu peu. Oui, il y en aura de plus en plus (avec l'arrivée du iPhone, notamment). Imaginez le même événement, aujourd'hui, en plein New York.
Il ne s'agit pas de remplacer l'info des agences par Twitter ou Flickr (la plateforme de photos), mais de les exploiter intelligemment, et de former les journalistes à les apréhender.
A lire également ce qu'en disait Francis Pisani sur son blog ce matin.
Ainsi qu'une discussion sur le sujet (en anglais): how should journalists use Twitter? (merci à Eric pour le lien)
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