dimanche 26 octobre 2008

La rédaction du futur? 35 personnes!


Je reviens du sommet "New business models for news" (les nouveaux modèles économiques de l'info") organisé par Jeff Jarvis à la CUNY graduate school of journalism (New York). Journée passionnante, à quelques années lumières des réflexions franco-françaises sur l'avenir de la presse
L'objectif était de réunir les acteurs les plus dynamiques des médias (CNN, New York Times, Washington Post, mais aussi glam.com, google ou encore l'excellent Alan Mutter...) pour travailler ensemble, dans le cadre d'ateliers concrets, sur le "concrècomment on fait?"

Le groupe auquel je participais était consacré à l'efficacité des rédactions : quelle organisation, quels effectifs pour le média du futur? 

Point de départ de la réflexion: comment articuler le print et web? Doit-on réfléchir en rédaction multi-plateformes, ou séparées? 
Gros débat, compliqué, vite balayé par Jeff Jarvis: Imaginez qu'un grand quotidien régional mette la clef sous la porte. Vous avez une opportunité ou pas ? Tout le monde hoche la tête: "Ah oui!" (ce qui, soit-dit en passant, est plutôt rassurant sur l'état d'optimisme des médias américains malgré la crise)
Deuxième question de Jeff Jarvis: "Ok. Vous faites un journal + un site web ou juste un site web?"  Réponse toujours unanime, bien résumée par l'un des convives: "Si je devais créer un média, je ne m'embarrasserais pas du print, god damn not! Je zapperais tout de suite la partie newspaper..."
Autre petite phrase d'un confrère du Washington Post: "Pourquoi perdre du temps réfléchir à l'organisation print-web? C'est un débat du passé. On ne sait même pas s'il y aura encore des journaux dans 5 ans..."
(A des années lumières du débat français, je vous dis...)

Quoi qu'il en soit, nous avons réfléchi à la taille de la rédaction de demain... et fait tomber les chiffres.
On était parti avec un staff de 200 personnes ("un minimum", estimait un confrère du NY Times...)
Pour finalement tomber à... 35 !

Pour quelle raison?
- D'abord le prix : 60.000 dollars par an, par personne. Faites les comptes. Multipliez par 200 et essayer de voir comment vous pouvez financer tout ça... sur le web. 
35 personnes, ça fait un  budget éditorial de 2,6 millions de dollars par an. Plus réaliste (aux US...).

- Autre explication: l'information en réseau. Le journalisme de liens, le journalisme participatif, les partenariats... le modèle de l'info a changé. Et recompose les rédactions autour de centres nerveux plus ouverts, mais aussi plus réduits. Et centrés vers leur savoir faire. "Do what you do the best, outsource the rest... or link to the rest" (Faites ce que vous savez faire, externalisez le reste ou faites des liens vers le reste...)

Voici la composition proposée par le groupe:

- 20 content creators (reporters, mobile journalists...)
- 3 community managers (animateurs de communauté)
- 2 programmers, developpers (développeurs éditoriaux)
- 2 designers 
- 3 editors, copy editors (éditeurs, sécrétaires de rédaction)
- 5 producers (terme assez flou pour désigner d'autres producteurs de contenus, comme les bloggers apparemment...)

En résumé: on concentre les équipes sur le reportage, les créateurs de contenu exclusif. L'un des vieux fondamentaux du métier : "il faut sortir des infos". Que tout le monde visualise, ici (moins en France), comme des MoJo: mobile journalists. Des journalistes locaux, équipés d'un laptop et d'une caméra, qui envoient des contenus exclusifs. 



Ce qui a d'ailleurs entraîné un autre débat: a-t-on besoin encore d'une salle de rédaction? Un des participants a donné l'exemple du média hyperlocal qu'il avait monté avec 6 journalistes équipés d'ordinateurs portables et de caméras, qui discutaient via skype... "Faut-il aussi un encadrement", interrogeait-il? L'info étant atomisée, hiérachisée par Google... Levée de boucliers dans la salle. Pas sûr qu'on aille jusque là. Mais la question se reposera peut-être demain.

Personnellement, j'aurais équilibré un peut plus le staff en gonflant le pool "community managers". Ou alors en donnant à chaque reporter un rôle de "community manager" et en lui demandant de produire également des liens en plus de ses sujets ("link to the rest"...). 

J'essaierais de poster, demain, un petit florilège de ce que j'ai vu et entendu au summit... En attendant, Jean-Marie Leray a fait, sur son blog, un résumé intéressant de l'intervention de Jeff Jarvis jeudi matin, à partir de ce qu'il a vu et lu sur Internet.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

je n'ai pu m'empêcher de remarquer que le fil rss ne reprenait plus l'intégralité des billets.
Est-ce une nouvelle volonté éditoriale ou bien un changement technique qui peut être modifié?

Benoit Raphael a dit…

La raison est simple et technique: les billets sont repris automatiquement sur le blog collectif mediachroniques.
Il fallait donc qu'ils apparaissent en résumé pour ne pas bousculer la mise en page de l'autre site...

Unknown a dit…

Je suis assez circonspect sur les chiffres de la rédaction idéale...

Je vois mal comment, avec 20 journalistes on peut donner de l'info de qualité et sortir des scoops avec assez de fréquence pour obtenir une vraie réputation qui va bien.
Je vois mal comment, avec 3 SR/Editeurs de Une, on peut donner des pages de qualité, lisibles et sans faute d'orthographe.
Je vois aussi mal comment on peut garder une audience avec 2 programmeurs/développeurs, Internet étant aussi volatil.
Et je partage votre avis sur le nombre de community managers nécessaire à amener une vraie vie sur le site.

Ceci étant dit, il n'est pas précisé si on parle d'une rédaction pour un média très local (en quel cas, ok pour 35 personnes, mais 60 000 dollars??) ou régional/national (en quel cas ok pour 60 000 dollars mais 35 glandus??)

Benoit Raphael a dit…

Fait-on un meilleur média avec 200 journalistes qu'avec 35?
Y a-t-il un rapport direct entre le nombre de journalistes et la qualité de l'information qui est proposée aux lecteurs?
L'équation n'est pas si simple, surtout si l'on tient compte du nouvel environnement de l'info aujourd'hui.
Quand nous avons réfléchi sur l'efficacité des rédactions, nous l'avons fait en pensant à l'information vue comme partie d'une information en réseau.
Qu'est-ce que cela veut dire? Que nous sommes sortis de l'ère du mass média, qui se devait de tout couvrir pour son lecteur.
Les rédactions doivent se concentrer sur ce qu'elles savent faire: l'info exclusive, du reportage de fond, "sortir des infos" comme l'explique si bien nos confrères du Télégramme et de l'Express. "Do what you do the best, outsource and/or link to the rest", ce qui signifie : "Faites ce que vous savez faire le mieux, et externalisez ou faites des liens vers le reste".

Nous devrions donc voir apparaître des rédactions plus réduites, centrées sur leur coeur de métier, leur valeur ajoutée, et s'inscrivant dans un réseau pour le reste. On voit d'ailleurs que dans le schéma proposé, les 2/3 de la rédaction sont composés de reporters/enquêteurs.
Le reste: animation de la communauté (le fameux journalisme participatif), éditing, blogueurs... et donc: production externalisée à des unités de productions, des indépendants (sur la base de modèles qui peuvent aller de la fourniture gratuite de contenus à l'achat en passant par le partage de revenus), info "remachée" (ou "curated news" en anglais, une info externe mais vérifiée, contextualisée, mise en perspective...) et journalisme de liens.
L'info sera-t-elle de moins bonne qualité? Là, ce n'est pas le nombre de contributeurs qui baisse, mais la taille du coeur de la rédaction, qui s'inscrit dans un réseau et son concentre sur ce qui fait son exclusivité.

Evidemment, rentrent dans l'équation des contraintes de modèle économique.
Construire un média pour les 10 prochaines années avec un budget de 12 millions d'euros par an pour le staff éditorial, est apparu comme irréaliste aux différents responsables présents.

Unknown a dit…

OK avec votre commentaire, cependant...

Sortir un scoop (et ceci n'en est pas un) demande de la chance OU du temps. Et aussi, la plupart du temps, une ultra-spécialisation associée à un carnet de contacts conséquent. Comment, à partir de ce constat, fait-on vivre un site de news si les 20 journalistes en quete de scoop (what we do best...) mettent 3 mois pour en sortir un?
J'imagine mal Woodward et Bernstein prendre 3h pour bosser sur le watergate et ensuite aller chercher un autre truc ailleurs. Ca prend du temps. Idem pour Plenel, il a du bosser sur le Rainbow Warrior plus qu'une soirée arrosée avec une source bien informée...

Du coup, comment concilier une telle recherche de scoops avec 1) la nécessité de sortir une info RAPIDEMENT (qui demande aussi du monde qui veille sur les curated news, j'imagine?) 2) aussi peu de journalistes en train de rechercher les-dits scoops...?

C'est peut-être pas pour rien que les rédactions web ont autant de mal à sortir des scoops du coup (et se reposent autant sur leurs supports papier)?? Donc oui, en ce qui me concerne, la quantité permet la qualité, à défaut de réellement la faire.

Jeff Mignon a dit…

@Jeremie
Sans faire de caricature et de comparaison... qui aurait cru un jour qu'il serait possible de devenir le leader mondial de la publicité en ligne... sans chef de pub (ou presque) pour vendre la pub en question ? Qui ? Pas moi. Pourtant c'est ce que Google fait.

Anonyme a dit…

Je ne veux pas faire le rabat-joie, mais je lis avec plus ou moins d'attention ce blog ainsi que d'autres similaires (ecosphere, etc.). Franchement, votre auto-satisfaction à observer la mort des journaux papier me paraît un peu ridicule. Je sais bien que le quotidien papier est menacé de disparition à court ou moyen terme, mais à la place on aura quoi? Je ne veux pas être désobligeant avec Benoît Raphaël, mais lepost.fr c'est tout de même pas ce qu'on attendait des nouveaux médias, si?

Est-ce qu'il n'y aurait pas une énorme, passez-moi l'expression, branlette mentale à parler de la mort des médias traditionnels, et une incapacité tout aussi énorme à proposer quelque chose de neuf. Lepost, c'est quoi? C'est le France Soir des années 1960... Alors je doute que Benoît ait l'âge de connaître ça, mais je suis assez stupéfait qu'on puisse se dire qu'on peut se passer de journalistes pour produire... ça. Se passer de journalistes, moi je trouve ça très bien, mais alors dans ce cas que ce soit pour faire quelque chose de «riche», pas de «pauvre» (au sens du contenu). Comme l'Autre journal, par exemple.

Sinon, on a quoi? Backchich? Rue89? Ok, ce sont des médias pas inintéressants, mais franchement vous croyez que vous allez passer 40 ans à vivre dans ce zapping permanent de l'info, dans la ruée vers le scoop minuscule, dans ce rythme de lecture effrené qui ne laisse que des traces évanescentes dans un cerveau?

Vous ne croyez pas qu'un jour, il va y avoir des gens qui vont en avoir marre de passer 2 heures devant un écran tous les jours pour y gober des milliers d'infos pour la plupart sans aucun intérêt?

Alors on peut passer des heures à discuter de la mort du print, de à combien-on-fait-une-rédac-web, mais enfin à un moment il faudra bien que quelque chose de réellement intéressant soit produit, non?

Benoit Raphael a dit…

- Loin de moi l'idée de poser lepost.fr comme le modèle de la presse de demain. Dans son mécanisme, cependant, il explore indéniablement de nouveaux territoires, et aidera, je l'espère à contribuer à la nécessaire mutation des médias. Le Post.fr est un média populaire, je ne vais pas à chaque fois m'excuser de ne pas faire arte.tv ou les cahiers du cinéma.
- Je ne me rejouis pas de la mort du quotidien papier. Je constate l'assèchement d'un modèle économique et culturel.
Je pense à l'avenir, je crois que le vrai danger pour la démocratie, ce sont les milliers de licenciements chez Gannett en décembre (3000), qui viennent s'ajouter aux 8000 licenciements dans la presse écrite aux Etats-Unis depuis le début de l'année. Si on ne construit pas les modèles de demain aujourd'hui (et construire veut dire investir, faire des choix), la liberté de la presse sera effectivement en danger.
- Il y aura toujours une demande pour un média qui retienne le temps, arrête le rythme frénétique de l'info pour prendre le temps de l'analyse, du récit, du reportage. Maintenant, une fois qu'on a dit ça, on fait quoi? Le cinéma d'auteur en salle a été relancé grâce à l'explosion des multiplexes (que tout le monde a décrié comme le symbole du nivellement culturel) parce qu'ils ont ramené les gens au cinéma, ils ont réinjecté de l'énergie de la machine.
Je ne me réjouis de rien, j'essaie de contribuer à mon petit niveau(à travers mon expérience au post, à travers mes réflexions)à faire tourner à nouveau la machine média.
Quand elle tournera à nouveau, alors il y aura assez d'énergie pour voir émerger des médias différents, qui répondront à tous les niveaux et besoins d'information.