Quel contenu pour les journaux papier, demain? C'est l'un des axes de réflexion des Etats-Généraux de la presse qui occupent une centaine de professionnels (dont je fais partie) depuis le début du mois.
Si la question pouvait paraître relativement simple il y a dix ou quinze ans (nous étions encore dans l'ère du mass média) il est aujourd'hui extrêmement difficile d'y répondre. Presque impossible. Pourquoi? Parce que le principal problème de la presse écrite aujourd'hui, ce n'est pas son contenu, mais son usage.
La question de fond n'est pas: que lire dans un journal? Mais: pourquoi lire un journal?
Je ne veux évidemment pas dire qu'il ne faut pas s'intéresser au contenu, mais qu'il faut d'abord se préoccuper de l'usage.
Parce que je ne connais pas aujourd'hui un seul contenu publié sur le papier qui ne puisse pas se retrouver sur Internet. On peut même faire ses mots croisés sur le web... A partir de là, on se rend bien compte que la question du contenu est secondaire ou qu'elle découle d'abord de l'usage.
En tout cas, on ne peut pas dissocier les deux.
D'abord, la question de l'usage. Et je vais rester sur la problématique de la presse papier payante (la presse gratuite est confrontée moins brutalement au problème du contenu, son principal souci c'est la distribution et la recherche d'annonceurs).
Qu'est-ce qui fera que, demain, j'achèterai un journal? Vais-je d'ailleurs l'acheter tous les jours ou de temps en temps (la tendance est au picorage), ou juste le week-end (meilleurs chiffres qu'en semaine)?
A considérer qu'il reste encore une chance au média papier (bois ou numérique, peu importe) de survivre ces dix prochaines années... sur quelle base éditoriale asseoir cette survie?
1- La mobilité?
Je me souviens avoir dit à un ami, en plaisantant, qu'il restait un ultime atout au journal papier parce qu'il était le seul média que l'on pouvait lire aux toilettes. Il m'a répondu : "ah non, moi j'emmène mon macbook aux toilettes!" Et à l'époque, le iPhone n'existait pas encore...
Plus sérieusement, il est encore des situations où lire un journal reste pratique, même si l'arrivée des supermobiles (iPhone) et des mini-pc (on attend toujours le mini-macbook...) réduit considérablement son avantage physique, et rend d'ailleurs presque obsolète l'utilisation du e-paper.
Plus sérieusement, il est encore des situations où lire un journal reste pratique, même si l'arrivée des supermobiles (iPhone) et des mini-pc (on attend toujours le mini-macbook...) réduit considérablement son avantage physique, et rend d'ailleurs presque obsolète l'utilisation du e-paper.
Encore un atout, donc, mais en sursis.
2- La hiérarchisation?
L'argument n'est pas idiot. Internet agit de plus en plus comme un fluidificateur de l'info qui se fragmente et fonctionne en flux. Le média papier permet une hiérarchisation claire de l'info et une navigation finalement assez pratique et attrayante. Bien que fermée. Mais c'est peut-être justement là son intérêt: l'hypersélection, l'hyper-hiérarchisation dans un univers de chaos éditorial et de flux.
D'où l'intérêt, peut-être, d'investir dans le traitement graphique (pas artistique, mais clair) et dans la mise en scène de l'info sur le papier.
3- Le budget?
Pour l'instant, aucune rédaction web n'est capable de rivaliser, en terme de ressources humaines, avec une rédaction papier. Ce capital humain est destiné à décroître violemment dans les prochaines années (voire les prochains mois...), mais il reste largement supérieur.
Le problème, c'est qu'il est mal exploité. Et même si certains journaux (pas tous...) ont fait de nombreux efforts, on est encore sur un modèle "mass média": un contenu qui se veut exhaustif (avec, du coup, une uniformisation massive via la surexploitation des dépêches d'agence), un journalisme de compte-rendu, d'illustration de l'info...
En réduisant notamment les breaking news dont tout le monde se fiche sur le papier, et les rubriques inutiles sur le golf et le voyage, on devrait pouvoir exploiter plus efficacement ce budget (tant qu'on en a encore) pour renforcer notamment l'investigation, le journalisme de scoop, principale valeur ajoutée du print aujourd'hui. Même s'il est désormais de tradition de publier le scoop d'abord sur le web, cela n'a, me semble-t-il, jamais eu d'impact négatif sur les ventes papier (au contraire, même).
Une exception : la presse locale. Son atout principal: l'exclusivité de l'info hyperlocale (l'info départementale, elle, est concurrencée par le net, les télés et les radios). Là encore c'est une question de budget (d'ailleurs, pourquoi continue-t-elle à perdre de l'argent à payer des journalistes pour traiter l'info nationale?). Impossible, pour l'instant, de concurrencer sérieusement la PQR sur le Net. Au moins sur ses fondamentaux (hyperlocal, petits faits-divers, locale miroir...). Mais ça ne durera pas (notamment sur le sport local).
On me dira: le recul, l'analyse... oui, plus pertinent (si l'on se place dans une démarche de cohérence temporelle) que les breaking news. Mais le Net est aussi un média du recul et de l'analyse. On trouve aujourd'hui plus d'analyse et de richesse sur la crise financière sur le Net (notamment à travers les blogs et twitter) que dans la presse papier (malgré l'excellent dossier du Monde papier sur le sujet ce dimanche...). C'est d'ailleurs un des principaux soucis de la presse professionnelle.
Reste ensuite une ultime problématique à régler: si l'avenir du contenu dans la presse papier passe par un marketing de l'usage et une hypersélection et hiérarchisation des contenus, cette dernière pourra-t-elle rester un média de masse? Et si non, quel modèle économique (vive les services!)?
Il y a sans doute quelque chose à faire avec la communauté, également: la conversation (mais comment?), le participatif en jouant sur la visibilité et la dimension noble véhiculée par le papier (toujours cette idée de sélection et de hiérarchisation)...
On pourrait également s'interroger sur la personnalisation du contenu (jusqu'où peut-on techniquement aller?)...
Il n'y a pas de réponse toute faite, il n'y a que des scénarios qui, tous, encore une fois, découlent de l'usage.
Et j'écris ce billet dans le but d'ouvrir une conversation.
Et je ne pose même pas la question de l'intérêt de faire perdurer le support papier! Ni de la prétendue complémentarité des supports web et print (je n'y crois pas, d'ailleurs)... Ce n'est pas le but de l'exercice.
N'hésitez pas à me contredire ou m'apporter vos contributions dans les commentaires, j'essaierai de les faire remonter lors des Etats Généraux.
3 commentaires:
Sur Internet, on passe beaucoup de temps à chercher. A lire. On connaît mal les sources, qui sont souvent discrètes et qui disparaissent dans les agrégateurs de flux et les link blogs. Mais au final, on est maître de ce qu'on lit. C'est une première expérience de lecture.
Dans un journal, c'est une autre expérience de lecture. On découvre une sélection subjective faite par d'autres. On n'est plus maître de ce qu'on lit. Le choix a été fait par une équipe (professionnelle ou non) qui a son regard sur l'actualité. Mais qu'est qu'on gagne en temps ! Et en confort ! Et parfois en "regard"... L'important pour le lecteur, c'est de bien savoir qui est l'éditeur (ie cette équipe responsable du choix et de la hiérarchie).
C'est l'idée de mon nouvel hebdo (qui sort d'ailleurs ce vendredi 17). Son slogan résume bien les choses : "l'info qui fâche, on la cherche sur le net, on la trouve dans Vendredi".
Une chose est sûre : les journaux papier vont durer, parce que cette seconde expérience de lecture est irremplaçable. Mais ils sont désormais complémentaires du net et non l'inverse, comme le pensent encore beaucoup d'éditeurs de presse papier.
JR
Intéressant à ce titre de voir Le Monde titrer en Une sur le succès de lemonde.fr !
Les revenus publicitaires fondent d'un côté mais ne réapparaissent pas de l'autre même si la fréquentation se compte en millions de personnes.
Il va donc devenir très difficile de faire vivre une rédaction de quotidien papier dont les méthodes mêmes de production entraînent une obsolescence par rapport au contenu "chaud".
A mon humble avis, le "print" doit trouver sa voie/voix sur l'analyse et la mise en perspective et pour ce faire, le format quotidien paraît condamné.
http://3dcom.wordpress.com/2008/10/13/les-temps-changent/
je suis tombee sur votre blog par hazard, et m'a attiree beaucoup, surtout que j'enseigne l E-journaliam...
courage et en avant
sanaa
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