Voici ma contribution, apportée hier, à l'atelier "quels contenus pour la presse écrite?" des Etats Généraux de la Presse Ecrite. Un peu décalée par rapport aux autres interventions, mais bon... certes, il y a des solutions concrètes à court et moyen terme et il faut les travailler. Mais peut-on parler de contenu pour la presse écrite sans tenir compte du contexte actuel? Internet n'est pas qu'un nouveau format, il a entraîné une profonde mutation de la société française. Et donc son rapport à l'information.
D'abord 3 constats concernant le papier:
1) La presse papier n'est pas victime d'érosion, elle est menacée de décrochage dans sa diffusion. Il sera dramatique. C'est déjà le cas aux Etats-Unis. En France, la presse devrait suivre la tendance, avec un an de retard. Le décrochage se fait déjà sentir en 2008 pour un certain nombre de grands quotidiens, avec des chutes entre 5 et 10%.
2) On ne gagne plus d'argent sur la vente seule du journal papier.
3) Le gratuit n'est pas LA solution. Il répond à une demande, mais le marché est déjà saturé. Et il s'appuie sur la mobilité... qui est la grande révolution du i-Phone.
Des chercheurs de l'institut d'études du futur de Copenhague ont dressé la liste de ce qui ne fera plus partie de notre environnement en 2020. Et parmi eux: les journaux papier.
Plus récemment, à la conférence de l'Association mondiale des journaux, on évoquait leur disparition dans 5 ans...
Difficile de jouer les mediums. Et il y a toujours des exceptions. Ce que l'on sait: c'est un format qui va mal, qui coûte encore trop cher mais qui reste pertinent, parce qu'il n'y a pas, aujourd'hui, de réplique totale au papier. Le problème, c'est: jusqu'à quand pourrons-nous encore le financer?
Considérons donc le comme un format comme un autre: rationalisons les couts de fabrication, mais aussi la distribution désastreuse, et les coûts éditoriaux. Mais surtout, osons nous poser la question:
Et si le papier disparaissait? Impossible? Posons nous quand même la question.
Dans ce cas, posons nous autre question: sans papier, qu'est-ce qu'un journal?
Alors, qu'est-ce qu'un journal?
- Une relation à l'audience, comme le conseille Rob Curley, un des artisans les plus talentueux de la presse locale aux Etats-Unis? Que dit-il: dans newspaper, il y a news et il y a paper. Un jour, il faudra choisir son camp.
Choisissons les news.
Et là encore, posons nous la question: qu'est-ce que l'information. Qu'est-ce qui a changé dans l'information aujourd'hui?
Beaucoup de choses.
Penser les contenus pour demain, c'est penser une nouvelle architecture de l'information qui tienne compte des réalités.
Voici donc deux nouvelles réalités :
1) Nous sommes en train d'ouvrir les yeux sur un nouveau monde et, que réalisons-nous? Qu'une partie de l'info se fait déjà sans nous, les médias traditionnels. Aux USA, même les sites des grands journaux sont en recul, ce qui n'est pas rassurant.
2) L'information s'inscrit désormais dans un réseau. Pourquoi est-ce important de réaliser cela? Parce que les revenus demain s'inscrivent également dans cette logique de réseau. Regardez Google: Google truste aujourd'hui la publicité sur le Net, et dévore la publicité locale. Il le fait sur la base de contenus qui ne lui appartiennent pas. Google met en lien contenus et lecteurs. Et a bâti un réseau de publicité dessus (lire à ce sujet les réflexions de Jeff Jarvis)
Qu'est-ce que cela veut dire? Que nous assistons aujourd'hui à la fin du mass média. Nous nous dirigeons vers une info partagée: une info hyperfragmentée, qui sera produite non plus par de grandes rédactions mais par une multitude de mini-médias, parfois personnels, et qui devra, dans la même logique, être hyper distribuée, notamment via les mobiles. Une information en réseau.
Je pense que nous ne survivrons pas si nous nous considérons seulement comme des mass médias fournisseurs de contenus, même à haute valeur ajoutée. Les journaux doivent s'inscrire dans cette logique de réseau: donner la meilleure info au meilleur moment (et j'ajouterais même: au meilleur endroit), mais ce ne sera pas forcément une info produite par la rédaction du média.
Nous devons devenir des réseaux de valeur où transiteront, de manière filtrée, partagée, l'information infos en provenance de différentes sources et de différentes communautés. Et, bien sûr, donner à ce réseau une couche de journalisme de qualité, de journalisme d'investigation notamment, qui viendra augmenter la valeur ajoutée et l'attractivité de ces réseaux d'infos.
C'est donc une nouvelle architecture de l'information que nous devons construire, en ne jetant pas le papier dans la corbeille, mais en le repositionnant intelligemment, c'est à dire à la périphérie, et en concentrant les aides et les investissements vers la mutation et la diversification de nos industries.
Je n'ai pas parlé de contenu? Si , je n'ai fait que parler de contenu. Car ce qui précède la définition du contenu, c'est bien la question de l'usage. Pourquoi et dans quelles conditions consomme-t-on l'information aujourd'hui, et qu'est-ce ça nous dit en terme de contenus et de formats?
7 commentaires:
"Et si le papier disparaissait? Impossible? Posons nous quand même la question. Dans ce cas, posons nous autre question: sans papier, qu'est-ce qu'un journal?"
Je crois que vous êtes un des rares à poser la question sous cette forme là.
Article plein de lumières merci.
-- Yohan
Bon raisonnement avec une conclusion qui coule de source mais que tu te gardes d'asséner: pour faire ce que tu dis il n'y a nul besoin d'aides de l'Etat.
Et je suis bien d'accord :-)
Effectivement il n'est pas besoin d'aide de l'Etat pour expérimenter sur internet mais des CPM plus élevé :)
Pour le papier il est plutot nécessaire de laisser des expérimentations de prix facial plus bas.
Actuellemet les quotidiens s'adressent à une élite. Demain les professions intélectuels seront les premieres à basculer au e-paper.
Il faut anticiper et laisser faire les bild à la française et des équipes à 0,5€
J'ai bien peur que le schéma que vous proposez nuise à la diversité et la pluralité des médias, ainsi qu'à leur identité. Sans compter que les sources censées composer la nébuleuse d'infos que vous semblez prôner seront certainement trustées par quelques grands.
Ensuite, je vous ai trouvé un peu vague sur le rôle, la place que vous accordez aux vrais journalistes. Je n'aime pas ce terme de "couche". Si c'est pour ne se contenter que de hiérarchiser l'info provenant de sources diverses et leur donner une pseudo crédibilité journalistique, ce n'est pas ma vision du métier.
Prenons un peu de recul pour analyser le phénomène du "tous journalistes". Les gens qui se prétendent journalistes le font avant tout pour servir leurs intérêts, comme un lobbyiste le ferait auprès d'un parlementaire, ou une source "qui souhaite rester discrète" auprès d'un journaliste. J'en appelle aux fondements de ce métier : enquêter, croiser, vérifier, synthétiser... les blogueurs font-ils tout cela ??? je ne crois pas...
Maintenant vous avez raison et les chiffres sont têtus : la presse est en crise, la presse doit être repensée dans sa forme et son contenu. Les prix sont trop élevés. Mais rien ne remplacera à mon sens le plaisir de lire un vrai journal papier en complément d'infos glanées par-ci par-là sur le net. Pas vrai ?
"Autour du nid, son entité et son confort fragile, jusqu'à quel degré de fragmentation et diversité peut-on concevoir des éléments, tout en gardant une signification d'ensemble, un usage non subi?
Dans quelle mesure peut-on s'affranchir de la dimension symbolique, esthétique et du plaisir de l'objet à consommer?
La forme suit-elle la fonction ou bien l'inverse? Cette question n'est-elle pas absurde quand on veut servir la liberté d'interprétation des utilisateurs et accepter l'éclatement d'un systeme en plusieurs centralités d'agrégations de contenu?
Et quand il s'agit de travail collaboratif ouvert et d'impliquer les utilisateurs dans la conception, peut-être qu'il est simplement question d'un laboratoire où réalité et réalité potentielle se mêlent en toute fertilité avec plusieurs temporalités.
La cohérence reposera alors sur le calibrage de la structure et le rythme de la trame, c'est la vie!"
Il semblerait aussi...
Du point de vue de la simple lectrice auditrice visionneuse de presse écrite orale et tout et tout que : l'érosion première a été le sentiment largement partagé de ne plus avoir accès à une information de qualité.
Référence à un article majeur, ancien [90's] du Monde diplomatique, intitulé 'Journalisme de référence, Journalisme de révérence'.
Quand coté public on sait ne plus être réellement en France, à moins de ne lire que le Canard Enchainé, face à un journalisme d'investigation, de qualité, à la manière anglo-saxonne.
Motivation première des internautes qui sont plus à échanger les infos à la source qu'on ne semble le percevoir.
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