vendredi 21 juillet 2006

Faut-il tuer les journaux payants ?

A lire, le post qui fait débat dans la blogosphère média cette semaine : l'analyse de Jeff Mignon (ici) sur l'avenir de la presse quotidienne payante en France. Pour Jeff, la presse papier payante n'est plus rentable.

"S'il n'y avait pas les banques ou de généreux investisseurs, la très grande majorité de ces grands noms de la presse serait rayée de la carte média. L'équation est simple : leur nombre d'acheteurs et leur chiffre d'affaires publicitaires ne suffisent pas à couvrir leurs coûts."

Et de proposer deux solutions : devenons un gratuit. Ou : "Arrêtons de payer des millions en papier, encre et distribution et devenons une entreprise web. Et, proposons une version papier sur mesure aux lecteurs attachés à cette forme de support et qui seront prêts à payer le prix fort pour ça."

Le problème est peut-être plus complexe.

Oui, la presse quotidienne payante n'arrive (globalemment) pas à faire d'argent avec son seul journal, mais elle en fait avec d'autres produits, d'autres supports. Surtout en presse régionale où l'on constate même parfois que les éditions qui perdent le plus de lecteurs sont parfois les plus rentables...

Alors, on pourrait se dire : supprimons le journal payant puisqu'il ne rapporte pas assez d'argent ! Mais on prend alors le risque de saborder la marque.
Or, les études montrent que (sur le plan local surtout), la marque de ces médias reste un atout essentiel pour construire le paysage multi-médias de demain.

Un média est un ensemble. Si le journal gagne de l'argent sur d'autres produits, c'est d'abord parce qu'il est ce média régional, ce quotidien papier qui anime encore le quotidien des habitants. Il y a un lien affectif, enraciné, entre les journaux et leur environnement. N'importe quelle entreprise rêverait de ce lien là.

Demain, sans doute, le journal papier disparaîtra ou sera gratuit. Mais pas aujourd'hui.
J'achète encore le journal, parce que quand je vais boire mon café, quand je prends le train, quand je me vautre sur mon canapé ou que je prends mon petit déjeuner, je trouve plus pratique, plus agréable de lire sur du papie, pour l'instant. Je ne vois pas l'intérêt de faire disparaître ma marque du bistrot et du métro.
Quant au gratuit, je suis d'accord avec toi. Je pense même que l'on a pas encore exploité tout le potentiel de ce modèle économique.

Mais il y a encore une place pour le journal papier payant, pour l'instant. Je dis bien pour l'instant. Il faut être pragmatique. Pas prophète. Tant qu'il y a un lectorat sur ce support, pourquoi s'en aller ? Faut-il faire du journal payant un produit de niche, comme le propose Jeff ? Demain, peut-être. Mais aujourd'hui ? Quand Ouest France (qui a stabilisé ses ventes) approche le million d'exemplaires, je ne pense pas que l'on puisse déjà parler de marché de niche.

En même temps, l'expérience de Tamedia à Zurich est intéressante. En pleine restructuration, le groupe a relancé l'entreprise en sortant un gratuit (20 minuten) et en ciblant les cadres pour son quotidien payant national, avec hausse du prix.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Benoît

Je rebondis du blog de Jeff au tien pour continuer à réagir sur cette question qui devrait à mon sens occuper tous les patrons de presse en ce moment ... (est-ce le cas ?).

Ton analyse me semble tout à fait pertinente et l'abandon du papier ne se justifie pas à ce jour pour toutes les raisons que tu cites.

En revanche, quid du passage à la gratuité ?
Cela tuerait-il la marque ou l'amoindrirait-il ?
Cela cesserait-il d'animer la quotidien des habitants ?
Cela casserait-il le lien affectif et enraciné entre le journal et ses lecteurs ?

Car sinon, l'équation "ne devient" qu'économique, et je serais curieux d'en connaître tous les paramètres pour pouvoir la poser justement :
- pré-presse : coût identique (en admettant qu'on travaille à contenu et équipe constante)
- impression : plus coûteuse en gratuit si on fait l'hypothèse qu'on augmente la diffusion
- distribution : ? je ne sais pas ... circuits différents en tout cas (plus d'abonnement notamment)
- revenus des ventes et abos : perte sèche ...
- revenus publicitaires : plus élevés normalement avec l'augmentation de la diffusion, mais dans quelle proportion ?

L'exercice vaut-il le coup d'être tenté ? Sais-tu si il a déjà été fait ?

Benoit Raphael a dit…

Le fait de passer au gratuit casserait-il la marque et son enracinement ? A priori non, tout dépendra, notamment, du mode de distribution et du contenu, qui sera forcément différent (les cibles ne sont pas les mêmes), et de l'image véhiculée par les journaux gratuits.

Sur le modèle économique, je pense qu'il faut forcément réduire les coûts, au moins en pré-presse. A Métro ou 20mn, le journaliste écrit son papier, le corrige et le met en page. On gagne deux postes par opération, c'est énorme.
Actuellement, la pub finance moins de la moitié des couts de production d'un journal. Un journal coûte plus cher à produire que son prix de vente. La marge est très faible.

Je connais des exemples de journaux qui sont en train de réflechir au passage au gratuit. J'ai rencontré récemment le patron d'un quotidien algérien qui envisageait de réduire le prix de son quotidien pour passer progressivement au gratuit. Mais le journal est dans un contexte de forte concurrence, et a perdu beaucoup de parts de marché.
Tout dépend du contexte.
IL m'expliquait notamment : les journaux en français, ça doit être gratuit, par contre les journaux en arabe peuvent rester payants parce que les gens sont prêts à payer... A méditer.

Anonyme a dit…

Ma principale inquiétude concernant le passage au gratuit concerne la qualité rédactionelle: les journaux payant compressent déjà les coûts au maximum, usant et abusant des stagiaires et pigistes payés au lance-pierre. Les gratuit dans leur mode de fonctionnement actuel battent des records en la matière, employant une rédaction réduite à sa plus simple expression pour reécrire des dépeches d'agence. Quid du travail de journaliste dans tout ça?
Ajouter le fait que c'est la publicité qui décide ou non de la parution d'un journal (cf les fêtes de fin d'année ou les grauits disparaissent purement et simplement: il n'y a plus d'actualité, pendant ce temps?). On obtient un paysage de l'information absolument catastrophique. Je n'ai pas de solution miracle à apporter, mais je pense que l'approche économique qui préside à la destinée des gratuits en particulier, et de l'immense majorité de la presse en générale, est dangeureuse.

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec toi, Jeff quand tu dis que les gratuits sont des journaux de qualité. Mais il n'en reste pas moins qu'ils proposent une info mainstream, notamment pour toucher le plus grand nombre, levier clé de leur business model.
Si un journal comme Libé passe au gratuit, il sera obligé de fonctionner de même. Cela peut marcher d'un point de vue économique - à condition qu'ils trouvent leur propre positionnement à côté des autres gratuits du marché - mais d'un point de vue éditorial, ce serait le signe d'un appauvrissement en termes de différenciation des contenus.
A mon sens, il serait malheureux qu'un pays comme la France ne puisse pas disposer dans son paysage médiatique d'un quotidien de gauche et d'un quotidien de droite dignes de ce nom.
Et finalement, c'est sur le blog d'un cadre de la presse payante que s'organise cette discussion de qualité ;-).

Anonyme a dit…

Autant pour moi, je n'ai pas été très clair: je ne voulais pas dire que la presse gratuite était forcément de mauvaise qualité. Mais qu'elle était encore moins indépendante de la publicité que ne l'est la presse payante déjà bien malmenée par ses annonceurs (ou par les hommes politique, par exemple ministre de l'intérieur... ). Ce qui m'inquiéte c'est cette faiblesse congénitale. La presse gratuite se doit de servir ses maîtres. A quand un dossier sur la nocivité des antennes relais pour téléphone portable dans un journal gratuit, si Orange ou SFR sont annonceurs?
Par contre je suis entièrement d'accord sur l'importance des nouveaux supports, de type blog, qui pourraient bien devenir les nouveaux lieux d'expression des idées politiques. Il y a un siècle ou deux, on créait un journal pour porter des idées ou suciter un débat. Aujourd'hui, on ouvre un blog. Moi j'aime beaucoup ça, même si je ne sais pas où celà va nous conduire...
Et je suis 100% d'accord avec Danielle sur le besoin de voir en France un quotidien de gauche et un quotidien de droite digne de ce nom.

Benoit Raphael a dit…

Sur l'indépendance des journaux payants : un journal qui ne marche pas, qu'il soit payant ou gratuit, est un journal fragile. Il faut donc dépasser ce débat.
Faut-il un quotidien de droite et un de gauche ? Faut-il un quotidien ? Pourquoi séparer, encore une fois, les supports ? Ce sont les médias (comme moteurs d'information) qu'il faut renforcer, pas les supports.

Faire de Libé un journal gratuit ? Pourquoi pas ? A condition d'inventer un nouveau concept de gratuit. Le marché n'est-il pas déjà saturé ?

Anonyme a dit…

Tout cela est très intéressant et je partage vos analyses sur l'avenir incertain d'une certaine presse quotidienne payante. Je pense néanmoins que vous oubliez dans vos analyses des facteurs clé de succès des gratuits et/ou d'échec des payants un élément essentiel du mix qu'est la distribtution. La presse quotidienne payante est handicapée par un réseau en voie de disparition notamment dans les grandes villes et par un portage de plus en plus cher (sur ce point nous n'avons pas encore mangé notre pain noir !). Les gratuits eux après être allé à la rencontre du public le laisse aujourd'hui venir vers une structure beaucoup moins honéreuse. On pourrait aussi évoquer les coûts de fab....

L'Abrincate a dit…

http://bboeton.wordpress.com/2006/12/13/les-gratuits-la-betise-humaine-et-les-ados/