dimanche 7 mai 2006

Du "We Media" au "Me Media"

Des nouvelles du "We Media Global Forum" organisé à Londres la semaine dernière sur le thème (je simplifie) : comment Internet redistribue les cartes entre médias et consommateurs (associé à : mais comment gagne-t-on de l'argent dans tout ce bazar ?)
L'un des invités, Jeff Jarvis, en dit quelques mots énervés sur son blog (ici), tout comme mes confrères du Journalism.co.uk où l'on trouvera également de passionnantes interviews des principaux intervenants (par exemple, ici, le directeur Internet du Guardian, et ici le patron de BBC News Interactive qui évoque notamment le problème des "citizen paparazzi"). Tout ça en anglais.

"We Media", c'est l'expression utilisée (en hommage indirect au livre fondateur de Dan Gillmor, "We, the Media") pour décrire les nouveaux mode de "consommation" des médias. Car justement, on ne consomme plus les médias, on y participe : en commentant l'info, en la corrigeant, en votant pour la hiérarchiser (digg.com), en la partageant, en témoignant, ou en se proclamant soi-même "citizen journalist" ou "citizen media".
Rien de bien nouveau, donc... la question essentielle étant aujourd'hui, comme le répète Jeff Jarvis : "What should we do?" Que devons nous faire maintenant ?
Car le phénomène du "we media" (ou "media 2.0", en référence au Web 2.0) ne remet pas seulement en cause les métiers du journalisme, mais tout un ensemble économique : petites annonces gratuites (est-il trop tard pour les journaux ? s'interroge-t-on ici sur Journalism.co.uk), mode de consommation et de diffusion de la publicité (la pub a-t-elle encore besoin des médias ? se demande ici le très sérieux "Publishing 2.0"), gratuité de l'information...

Et histoire de compliquer la situation, dans l'affolement général accompagnant l'explosion du web 2.0, on assiste aujourd'hui à un glissement du "We media" ("le média partagé") vers un ego-centrage beaucoup plus agressif et révolutionnaire: le "Me media" ("je suis le média"). Apparu avec des services comme MySpace (qui permet aux adolescents de créer leur propre "média") ou YouTube (où les internautes partagent leurs vidéos), le "Me media" n'a finalement plus grand chose à voir avec l'univers médiatique que nous connaissons : c'est la chambre d'adolescent, voire l'inconscient freudien, qui remplace la salle de rédaction, et même le programme télé.

Bref, quand le roi de l'info, Rupert Murdoch (qui vient également d'acheter un site de karaoké!) a mis la main sur MySpace pour 649 millions de dollars, on s'est d'abord montré dubitatif (quel rapport avec les médias ?), avant d'applaudir le visionnaire (qu'il est sans doute)... Aujourd'hui, cependant, on commence à s'interroger (par exemple, le New York Times, ici, ou, en français, Emmanuel Parody, ici) sur la façon dont on va bien pouvoir gagner de l'argent avec ce type de média, certes générateur d'audience (70 millions d'utilisateurs), mais où les utilisateurs ne supportent aucune règle et produisent des contenus "à risque". De fait, le tarif publicitaire est aujourd'hui extrèmement bas sur MySpace: 10 cents pour 1000 pages vues.
Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de modèle économique, mais que le trafic ne suffit pas. Une des solutions envisagées par MySpace : transformer les annonceurs en membres de MySpace, qui peuvent désormais créer leur propre profil et leur page au même titre que les adolescents... lesquels peuvent alors devenir "amis" avec une marque de t-shirt ou un fim d'horreur.

Quand tout le monde devient média, cela veut aussi dire que tout devient média: le média, le consommateur et l'annonceur... D'où la question posée en clôture du forum, qui sonne presque comme un SOS : "Where is the money ?", ou "Who's going to pay for media ?".
La vie des patrons de presse va devenir très, très compliquée dans les années qui viennent...

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"We Media"/ "Me Media", on en parle aussi (toujours en anglais) dans ce post de Robb Montgomery sur Editor's Weblog (ici) .

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